Adrienne Alix : "Nous souhaitons diversifier les contributeurs de Wikipedia"

"nous accomplissons un travail de vulgarisation de qualité vers le grand public que les institutions culturelles ne sont pas toujours prêtes à faire" A.Alix

 

Rencontre avec Adrienne Alix, directrice des programmes de Wikimedia France.

Vous êtes directrice des programmes de Wikimedia France. Quelle est l’origine de cette association et quelle est sa vocation ?
Wikimedia France est née en 2004 et fait partie d’un ensemble d’associations nationales qui ont pour objectif de soutenir Wikipedia ainsi que les différents projets Wikimedia. Wikimedia France a été fondée avec des contributeurs de Wikipedia.
Aujourd’hui, l’association compte environ 350 membres et 5 salariés. Nous sommes financés par la levée de fonds qui est lancée chaque année sur Wikipedia. Nous partageons l’argent récolté entre la Wikimedia Foundation qui finance la partie technique (serveurs, bande passante, techniciens…) et Wikimedia France pour payer les salariés et lancer nos différents projets. Nous utilisons également cet argent pour soutenir des projets dans le monde francophone.

Combien les levées de fonds rapportent-elles ?
En 2008, nous avions collecté environ 50 000 euros. En 2011, nous avons collecté près d’un million d’euros !

Comment expliquez-vous que ces appels à dons rapportent autant d’argent ?
Une des raisons réside dans le fait qu’il n’y a pas de publicité sur Wikipedia. Les internautes apprécient ce modèle sans publicité et sont prêts à donner de l’argent pour le conserver. Ensuite, Wikipedia est perçu comme un projet généreux et humaniste. Enfin, certains internautes veulent soutenir l’esprit de la connaissance libre et des licences libres. Il faut d’ailleurs noter que dans le monde entier, nous constatons une augmentation des dons en faveur de Wikipedia.

Quels liens Wikimedia France entretient-elle avec Wikipedia ?
Wikimedia France n’a aucun pouvoir éditorial sur Wikipedia pas plus qu’elle n’est responsable de son hébergement. La responsabilité éditoriale repose sur les contributeurs eux-mêmes et l’hébergement revient à la Foundation Wikimedia.
En revanche, nous sommes un point d’entrée pour les relations publiques de Wikipedia. Par ailleurs, nous menons des missions pour soutenir le développement des connaissances libres, ce qui passe notamment par Wikipedia. Nous organisons également des conférences et des ateliers et faisons de la pédagogie. Une part de notre travail consiste à trouver de nouveaux contributeurs et de nouveaux contenus.

Justement, les contributeurs de Wikipedia sont très majoritairement des hommes…
En effet, près de 90 % des contributeurs de Wikipedia sont des hommes ! Ce taux se retrouve dans tous les pays où nous avons mené des enquêtes… Le profil type des contributeurs est très marqué : un homme, âgé de 25 à 35 ans, avec un très haut niveau d’études, généralement dans le domaine scientifique.

Cela a-t-il un impact sur les contenus ?
Cela a en effet une influence sur les articles et la façon dont ils sont traités. Par exemple, les articles sur les logiciels sont très nombreux alors que les contenus sur l’artisanat, la mode ou la littérature sont sous-représentés. Nous ne savons pas précisément si cette absence féminine est due à l’outil informatique ou à une forme d’autocensure que les femmes auraient intégrée quant à leur légitimité à contribuer à Wikipedia. Il ne faut pas oublier non plus les corvées de famille qui retombent souvent sur les femmes.
Nous essayons donc de diversifier le profil de nos contributeurs en nous adressant aux femmes, aux personnes plus âgées, aux artisans…

L’affaire Philippe Roth, qui n’a pas été autorisé à modifier un article consacré à son propre roman, n’illustre-t-elle pas les limites des procédures de validation de Wikipedia ?
Non, car les informations que conteste Philippe Roth sont extraites de critiques littéraires qui ont été bien identifiées. Wikipedia estime que l’article en question s’appuyait donc sur des sources fiables. De tout temps, les écrivains ont contesté ce que disaient les critiques littéraires sur leur propres œuvres.

Quelles sont les actions menées par l’association Wikimedia France ?
Nous avons lancé un partenariat avec la Bibliothèque nationale de France portant sur la correction de 1 500 livres que les systèmes de reconnaissance optique de caractères (OCR) étaient incapables de traiter. Ces livres ont été versés sur notre bibliothèque numérique Wikisource et sont en cours de correction par des contributeurs volontaires. Certains ont été corrigés très rapidement, d’autres demandent plus de temps. Aujourd’hui, une trentaine d’ouvrages ont été totalement corrigés. A terme, tous ces ouvrages corrigés manuellement seront reversés sur Gallica avec un lien pointant vers Wikimedia France.

Ce travail de correction manuelle n’est-il pas ingrat ?
Cela peut en effet ressembler à un travail de bénédictin mais c’est très délassant ! Nous sommes par exemple plusieurs à travailler sur les 8 000 pages du dictionnaire de Trévoux écrit au début du XVIIIe siècle par les jésuites. Nous réécrivons quasiment intégralement ce dictionnaire car l’OCR était incapable de le faire. Heureusement, nous sommes aidés par un moine bénédictin très averti sur les textes en grec ancien et en hébreu. Pour les contributeurs qui participent à ce projet, c’est très valorisant de créer un nouvel objet documentaire et de le mettre en ligne à la disposition des internautes.

Vous adressez-vous à d’autres publics que les institutions culturelles ?
Oui, nous travaillons en direction du monde de l’enseignement. D’abord dans le secondaire afin de dédramatiser l’utilisation de Wikipedia par les enseignants et les élèves tout en leur apprenant à bien utiliser cette ressource et à ne pas faire un simple copier-coller. Ensuite, nous nous adressons à l’enseignement supérieur et invitons les doctorants à vulgariser leur thèse et leur spécialité via Wikipedia. Nous lançons également des actions de soutien dans le monde francophone.
Nous avons par ailleurs lancé un programme avec l’Inria et le ministère de la Culture sur le traitement de l’information sur Wikipedia. Enfin, nous travaillons avec la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) afin de promouvoir les langues régionales de l’outre-mer français sur Wikipedia.

Menez-vous des actions auprès des musées ou des services d’archives ?
Dans le cadre du programme Open Glam (galleries, libraries, archives, museums), nous avons lancé une série de partenariats avec Toulouse portant sur plusieurs institutions culturelles de la ville. Nous allons photographier en haute résolution et documenter les pièces placées dans les réserves afin de leur donner une visibilité qu’elles n’ont pas aujourd’hui.
Avec les archives municipales, nous allons mettre en ligne des fonds photographiques anciens tombés dans le domaine public. Les internautes pourront y enrichir leur description.
Avec le Musée Saint-Raymond, nous allons photographier les collections en réserve afin de les recenser et de les valoriser.

En faisant appel à des contributeurs volontaires pour photographier et documenter ces œuvres, ne faites-vous pas de la concurrence déloyale à l’égard des photographes et des documentalistes professionnels ?
La réalité, c’est que ce travail n’est pas fait pour tout un tas de raisons. Certaines institutions n’obtiendront jamais les budgets pour photographier et documenter leurs propres collections. Nous accomplissons un travail de vulgarisation de qualité vers le grand public que les institutions culturelles ne sont pas toujours prêtes à faire.

Quel accueil les institutions culturelles réservent-elles à vos initiatives ?
Il y a quelques années, nous avions beaucoup de mal à entrer en contact avec elles. Aujourd’hui, ce sont elles qui nous démarchent. Nous croulons sous les demandes. Nous sélectionnons les institutions qui partagent notre philosophie : apporter une connaissance de qualité au grand public. Celles qui sont motivées par des objectifs de communication nous intéressent moins.

Rencontrez-vous des difficultés particulières avec les services d’archives ?
Les services d’archives sont extrêmement frileux sur la communication de documents. Ils se focalisent sur des problématiques liées à l’état civil et aux données personnelles alors qu’ils disposent de très riches fonds sur d’autres thématiques. Il est toujours compliqué d’identifier des fonds intéressants dans les services d’archives : photographies, cartes, dossiers patrimoniaux…

Wikimedia France pourrait-elle procéder à des rachats d’archives en vue de les valoriser ?
Nous ne l’avons jamais fait, mais pourquoi pas ? Il existe cependant d’importants problèmes liés aux questions de droit. Nous nous interrogeons sur la question de savoir si le rachat de fonds d’archives fait partie de nos missions.

 

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.