L’irrésistible mouvement vers le libre accès aux connaissances

La connaissance scientifique, un bien commun ? par notre dessinateur Yves Barros. Archimag/Barros

 

Figurant parmi les pionniers d’internet, les scientifiques sont particulièrement impliqués dans la libre diffusion des contenus numériques. Ils militent depuis longtemps pour que leurs articles soient accessibles hors du circuit traditionnel des agences d’abonnement.

Les premiers jalons du mouvement du libre accès furent posés en 2001 à l’occasion de l’Open Access Initiative de Budapest. Deux ans plus tard, la Déclaration de Berlin élargissait ce libre accès au domaine des sciences humaines. Depuis, le mouvement a fait tâche d’huile et réunit désormais des chercheurs, des bibliothécaires et même certains éditeurs. Pour Marin Dacos, directeur du Centre pour l’édition électronique ouverte, « le libre accès aux résultats de la recherche scientifique est une avancée pour la société dans son ensemble. Il s’agit d’un paradigme efficace et juste, car il facilite l’accès par les chercheurs du monde entier, mais également par l’ensemble des citoyens, aux résultats de la recherche ». Mais quelle forme pratique ce libre accès peut-il prendre ? Marin Dacos et d’autres chercheurs préconisent un « modèle freemium » dans lequel le texte est en libre accès, mais qui laisse la place à la commercialisation de services à forte valeur ajoutée. C’est d’ailleurs sur la base de ce modèle que le portail de ressources électroniques en sciences sociales Open Edition proposera d’ici quelques semaines un programme freemium pour les livres scientifiques. voie verte, voie dorée La question du libre accès aux connaissances dépasse aujourd’hui le cadre des blouses blanches des laboratoires de recherche. L’Union européenne s’en est emparé pour promouvoir une voie verte (green road) inspirée du modèle français des archives ouvertes du Hal (Hyper Articles en Ligne) qui permet aux chercheurs de déposer leurs articles dans une archive ouverte. Il existe à ce jour plus de 2 000 initiatives d’archives ouvertes dans le monde. Mais une autre voie, d’inspiration britannique celle-là, est en concurrence : la voie dorée (golden road) repose sur le paiement de sommes variables afin de couvrir les frais d’édition. Cette contribution financière, de 2 000 à 5 000 euros, échoit au chercheur lui-même ou à son institution de rattachement. La voie dorée, également connue sous le nom de « auteur payeur », est accusée par certains de favoriser les institutions les plus prospères et de marginaliser les chercheurs dotés de moyens financiers plus modestes.

un bien public

En France, le gouvernement a fait sien le principe du libre accès. Pour Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « l’information scientifique est un bien public qui doit être disponible à tous, sans restriction d’accès, et dont les bénéfices doivent être partagés par tous ». Une déclaration qui s’inscrit dans la logique des initiatives lancées ces dernières années : soutien à l’Archive ouverte (Hal), soutien au programme de numérisation Persée de revues de sciences humaines, soutien au portail Open Edition, mise en œuvre du dispositif BSN (Bibliothèque Scientifique Numérique) portant sur l’ensemble de l’information scientifique et technique, programme Istex doté d’une enveloppe de 60 millions d’euros et dédié à l’acquisition et à la diffusion de ressources au format numérique… Du côté des associations professionnelles, on affiche également un soutien sans faille à l’open access. L’Association des directeurs des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) estime que « la voie verte est la mieux à même de répondre aux objectifs de diffusion de la recherche financée sur fonds publics, tout en garantissant une maîtrise des coûts pour l’ensemble des acteurs ». Mais elle soutient également la troisième voie mise en œuvre par le portail Open Edition « car les deux sont complémentaires ». En revanche, l’ADBU émet des réserves sur la politique dite équilibrée entre voie verte et voie dorée : « Cela impliquerait en effet de dédoubler les moyens, notamment financiers, avec pour seul résultat de fournir deux modes de libre accès concurrents ».

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De Budapest à Berlin, l’open access a fait du chemin…
Les 1er et 2 décembre 2001, Budapest accueillit des dizaines de scientifiques désireux de consolider et répandre l’open access dans le monde. La capitale hongroise a donné son nom à la déclaration qui fait aujourd’hui figure de référence : « Par "accès libre", nous entendons sa mise à disposition gratuite sur l’internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral des articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’internet ».
Ce texte sera révisé en 2003 et donnera naissance à la déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, sciences de la vie, sciences humaines et sociales. Pour les signataires, « le web du futur doit être durable, interactif et transparent. Le contenu comme les outils logiciels doivent être librement accessibles et compatibles ».


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Les BU en attente d’un nouveau système
C’est peu dire que les bibliothèques universitaires sont en colère contre les grands éditeurs internationaux. Depuis de nombreuses années elles critiquent non seulement les tarifs pratiqués, mais également les bouquets documentaires qui leur sont imposés. « Les grands éditeurs sont en effet très décriés, confirme François Cavalier, directeur de la bibliothèque de Sciences Po Paris ; ils mènent une politique motivée par une logique de rentabilité maximale qui ne correspond pas aux exigences académiques. De plus, ils sont intransigeants… Il existe une autre catégorie d’éditeurs, plus soucieux des besoins des bibliothèques universitaires, avec lesquels les négociations sont plus faciles ».

La bibliothèque du prestigieux Institut d’études politiques de Paris est abonnée à de nombreux services documentaires : bases de données, bases de périodiques en ligne, services de livres numériques consultables en ligne… En quelques années, le nombre de téléchargements de documents électroniques a explosé, en passant de 600 000 en 2008 à 2,3 millions en 2011. Il est inversement proportionnel au déclin du papier. « Le numérique a fait passer la recherche documentaire dans l’ère de l’abondance alors que nous étions dans l’ère de la rareté à l’époque de l’imprimé », observe François Cavalier. 

La révolution numérique a donc bouleversé les pratiques des étudiants et des chercheurs. Le mouvement de l’open access apparaît alors comme inéluctable : « Les chercheurs sont désormais habitués à disposer très rapidement de l’information. Et l’open access est l’un des moyens de desserrer l’étau qui entrave les bibliothèques universitaires », souligne François Cavalier.

vers un modèle hybride

Même son de cloche à l’université Paris-Descartes (Paris) : « Depuis une dizaine d’années, nous assistons au basculement vers les ressources numériques. Cela se fait au détriment du papier, donc des agences d’abonnement qui voient leur marché se restreindre fortement et leur chiffre d’affaires se réduire, constate Jérôme Kalfon, directeur du service commun de la documentation de l’université Paris-Descartes ; les agences doivent donc se positionner sur de nouveaux services tels que les bases de connaissances et de gestion des accès aux abonnements électroniques et les outils de découvertes destinés à faciliter l’accès aux contenus ».

Ces nouveaux services suffiront-ils à compenser le manque à gagner naguère généré par les abonnements papier ? Difficile à dire. Mais les bibliothécaires n’en continuent pas moins de dénoncer le système mis en place par les éditeurs sur le marché des périodiques. Selon Jérôme Kalfon, « le modèle actuel est absurde et s’aggrave avec le numérique. A l’heure du numérique, le système lecteur-payeur est aberrant. Il faut trouver un modèle de transition qui ne lèse ni les bibliothèques, ni les éditeurs. Mais il faut reconnaître que ce nouveau modèle est extrêmement complexe à trouver… »

Les bibliothécaires militent pour la mise en place d’un système qui s’appuierait sur plusieurs piliers : taille de l’établissement, nombre d’étudiants, chiffre d’affaires historique, nombre de publiants… Une plus grande souplesse des formules d’abonnement pourrait également être étendue à tous les contenus comme le principe de la « barrière mobile » qui assure la gratuité des articles après avoir été payants pendant une certaine période.

Des négociations sont engagées au niveau international entre les fournisseurs et les acheteurs d’information. Aux yeux de Jérôme Kalfon, un scénario pourrait s’imposer : celui d’un modèle hybride associant open access et système lecteur-payeur.


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Mendeley, de l’outil gratuit à la version premium

C’est l’un des plus grands succès du partage de connaissances en ligne. La plateforme Mendeley a déjà convaincu plus de deux millions d’universitaires à travers le monde qui utilisent quotidiennement ses nombreux services : création de bibliothèques numériques personnelles, outils de lecture et d’annotation de documents au format PDF, moteur de recommandations, extraction automatique de métadonnées, répertoire de communautés scientifiques… Sans oublier les applications pour téléphones et tablettes Apple pour y accéder en situation de mobilité.
Le cap des deux millions d’utilisateurs a été franchi au mois d’octobre dernier. Et le volume de documents qu’ils ont versé dans Mendeley est tout simplement colossal : plus de 310 millions ! Le site compte par ailleurs plus de 192 000 groupes de recherche.
Fondé au mois de novembre 2007, Mendeley a lancé sa version bêta au mois d’août 2008. Depuis, la plateforme a reçu plusieurs distinctions récompensant ses qualités d’innovation.
A côté de la version gratuite, il existe une version Mendeley Institutional Edition développée par la société Swets. Lancée au début de l’année 2012, cette version Premium propose aux bibliothèques des fonctionnalités supplémentaires comme suivre les publications des membres ou évaluer l’influence des publications. « La version institutionnelle permet d’établir une passerelle entre les chercheurs, d’une part, et les connaissances et l’expertise des bibliothécaires, d’autre part, souligne Frans van Ette, directeur du développement chez Swets ; nous avons collaboré avec des bibliothécaires de différents pays afin d’être sûrs de bien répondre à toutes leurs exigences ».


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l’Inist secouée par la fronde des chercheurs
Cela faisait longtemps que le monde de l’édition scientifique n’avait connu une polémique d’une telle intensité. Tout est parti d’un article publié par Olivier Ertzscheid, le 1er octobre 2012, dénonçant les pratiques commerciales de l’Institut de l’information scientifique et technique (Inist), un service du CNRS. L’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication reprochait à l’Inist de revendre les travaux des universitaires sans leur autorisation, sans mentionner les liens vers les versions en accès libre dans les archives ouvertes, le tout à un prix prohibitif. « C’est juste insupportable moralement, pathétique scientifiquement, et révoltant juridiquement », protestait Olivier Ertzscheid.

Sa colère était d’autant plus vive qu’en visitant Refdoc, la plateforme documentaire de l’Inist, il constatait qu’il fallait débourser 47 euros pour acquérir trois de ses articles publiés gratuitement ailleurs.

Et comme si cela ne suffisait pas, Olivier Ertszcheid indiquait que les pratiques de l’Inist avaient déjà fait l’objet d’une condamnation en première instance, en 2010, confirmée en appel l’année suivante. Dans un arrêt du 27 mai 2011, la cour d’appel de Paris rappelait en effet que le consentement de l’auteur demeurait indispensable pour toute utilisation commerciale. La cour estimait que l’Inist avait donc « commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur ». Le tribunal condamna l’Inist à payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de l’atteinte portée aux droits patrimoniaux de l’auteur. 

L’affaire mit rapidement en émoi le monde de la recherche et de l’information-documentation scientifique. Sous le mot-clé #inistgate, le scandale généra des centaines de messages sur Twitter et une pétition en ligne des « auteurs en colère » rassemble aujourd’hui plus de 600 signatures. 

aucun profit

Face à la déferlante, l’Inist s’est fendu d’un long communiqué dans lequel il affirme ne faire que remplir sa mission de service public : « Le CNRS s’est engagé depuis des années en faveur de l’open access, y travaille et souhaite le redire. Mais quand ni les portails d’accès aux documents achetés par le CNRS ou ses partenaires de l’enseignement supérieur, ni les archives ouvertes ne permettent d’accéder à l’information recherchée, il reste la fourniture de documents, dont l’Inist-CNRS et les bibliothèques universitaires se doivent d’être les co-opérateurs ».

L’Inist déclare par ailleurs ne dégager aucun profit et précise que sa grille tarifaire ne couvre qu’une partie des frais générés par la gestion de Refdoc sans même assurer le montant des acquisitions des revues scientifiques. « D’un point de vue strictement tarifaire, le service de copie de documents offre 60 % de remise à tout utilisateur académique : chercheur, enseignant-chercheur, documentaliste du secteur public, CNRS ou universitaires », souligne l’Inist.

Quant aux deux condamnations dont il a fait l’objet, l’Inist les relativise en précisant qu’aucun jugement définitif n’a été rendu à ce jour. L’Institut de l’information scientifique et technique s’en remet à la décision de la cour de cassation qui devrait être rendue prochainement.

patate chaude

L’affaire s’est invitée jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale où le député Lionel Tardy (Haute-Savoie, UMP) a interpellé la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, sur les pratiques de l’Inist. Cette dernière s’est en quelque sorte débarrassée de la patate chaude en rappelant le CNRS à ses responsabilités : « Je sais que des désaccords et des litiges se sont multipliés entre l’Inist et les chercheurs. (…) En fonction des résultats des jugements en cours, nous prendrons les mesures nécessaires, mais il revient d’abord au CNRS, tutelle de l’Inist, de faire en sorte que les pratiques de l’Inist soient totalement conformes aux objectifs de libre accès à l’information que je poursuis ».

 

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.