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Comprendre le droit d’auteur : qu’est-ce qu’une oeuvre ?

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    Ce n’est que lorsque le créateur passe du monde de la spéculation intellectuelle au monde sensible de la forme que le droit d’auteur peut s’appliquer. (Russ Allison Loar via VisualHunt.com / CC BY-NC-ND)
  • Poursuivant notre série d'articles consacrés au droit d'auteur et après nous être intéressés aux diverses facettes de la qualité d'auteur, nous abordons ici la question qui constitue son pendant : celle de l'œuvre, tant il est vrai que auteur et ​œuvre forment un couple indissoluble.

    1. Absence de définition légale

    Tout comme pour l'auteur, la notion d'œuvre ("œuvre de l'esprit" dans la loi) n'est pas définie par la loi fondatrice du 11 mars 1987, aujourd'hui transposée dans le livre 1er du Code de la propriété intellectuelle (CPI), au point qu'il semble bien que le législateur ait soigneusement évité ce casse-tête. Par ailleurs, ainsi que nous le soulignions dans notre premier article, œuvre et auteur se déduisent pratiquement l'une de l'autre, tels l'œuf et la poule. Avec l'ensemble de la doctrine, nous suivrons deux axes pour cerner au mieux les contours d'une œuvre d'auteur : il s'agit d'une création intellectuelle, qui plus est une création de forme ou une mise en forme.

    2. Une création intellectuelle

    Une œuvre de l'esprit doit avant tout être une création intellectuelle, c'est-à-dire, si les mots ont un sens, une création issue d'un intellect, soit d'un être humain. Mais ce critère ne saurait à lui tout seul constituer l'arbitre absolu pour qualifier une œuvre. Il est en effet d'autres créations intellectuelles qui peuvent être autrement protégées, par d'autres domaines de la propriété intellectuelle comme les marques, dessins et modèles, brevets… Nous allons donc devoir mieux cerner ce qu'est une œuvre.

    Le critère de l'originalité

    L'esprit du droit d'auteur veut que pour être protégée, une œuvre de l'esprit soit originale. Vaste équivoque puisque, dans son sens courant "original" signifie "qui sort de l'ordinaire", alors qu'en droit d'auteur, "original" – ne devrait-on pas dire "originel" ? – signifie "qui a pour origine l'esprit humain". N'oublions pas que le droit d'auteur ne distingue jamais le mérite artistique ou esthétique d'une œuvre. Il faut et il suffit donc que la création émane d'un esprit humain ; si élémentaire soit-elle, cette création est candidate à la qualification d'œuvre protégée par le droit d'auteur.

    Une apparente indifférence quant à la l'œuvre à protéger

    Signalons également que le droit d'auteur ne distingue pas non plus la forme d'expression (improvisation ou œuvre travaillée et fixée matériellement), ni la destination (œuvre d'art ou modèle industriel dès l'instant que les formes du modèle sont originales et non pas fonctionnelles).

    Ce critère de la destination indifférente permet de comprendre que peut être qualifiée d'œuvre d'auteur toute création originale qui pourrait concurremment recevoir la protection d'un autre régime de propriété intellectuelle. Ainsi les mots "Les Infostratèges" sont-ils protégés par le droit d'auteur pour leur originalité, avant même que le terme ne soit déposé en marque. Ainsi a-t-on vu un modèle industriel protégé dans sa partie de création de fantaisie (originale) par le droit d'auteur alors que son créateur ne l'avait pas déposé en dessin et modèle.

    Les genres d'œuvres littéraires et artistiques

    Un quatrième critère du même article L.112-1 CPI sur la non-distinction permet cette fois-ci de restreindre le champ d'application théorique de l'œuvre de l'esprit. En effet, pour protéger une œuvre, la loi ne distingue pas entre les genres consacrés par la tradition et la jurisprudence : les œuvres littéraires, musicales ou d'art plastique. Et de fait, les lois de protection de droit d'auteur ont été conçues à l'origine pour protéger les créations "littéraires et artistiques". Mais cette apparente restriction est en elle-même ruinée par l'interdiction de distinguer la qualité artistique ou esthétique d'une œuvre et secondairement l'interdiction de distinguer les genres eux-mêmes.

    L'universalisme était dans le fruit…

    Là réside, dès l'origine de notre loi de 1957 comme dans les autres lois de droit d'auteur ou de copyright dans le monde, la brèche par laquelle se sont engouffrés les acteurs économiques pour placer sous la protection de la "propriété littéraire et artistique" – l'autre nom du droit d'auteur – toutes sortes de créations qui n'ont plus rien à voir avec le littéraire et l'artistique, telles que les écrits scientifiques, l'information de presse ou la communication d'entreprise.

    En synthèse

    Aujourd'hui donc, dès lors qu'il y a création émanant d'un esprit humain, il y a potentiellement "œuvre de l'esprit", protégée par le droit d'auteur. Mais avant d'en arriver là, l'autre critère essentiel doit être satisfait.

    3. Une mise en forme

    Un critère délicat à appréhender

    Ce critère est à manipuler avec une infinie précaution pour éviter les malentendus. Rappelons ici le principe intangible et universel de liberté et de non-appropriation des idées. Ce n'est donc que lorsque le créateur passe du monde de la spéculation intellectuelle au monde sensible de la forme que le droit d'auteur peut s'appliquer.

    Intuitivement, il est aisé de comprendre la différence entre avoir l'idée d'un texte et l'écrire, l'idée d'une photo et réaliser effectivement le cliché. Mais il convient d'être très attentif à un point : "mise en forme" ne signifie pas forcément matérialisation. Sinon comment expliquer que l'improvisation d'une œuvre musicale, d'une chorégraphie, d'un discours, soit protégée ? Il importe donc de bien garder la formulation que nous avons soupesée : incarnation d'une spéculation intellectuelle "dans le monde sensible".

    En synthèse

    La notion de mise en forme vise simplement l'opération de formalisation d'une idée en une réalisation sensible – l'adjectif est décidément celui qui convient, même s'il nous vient de la philosophie – c'est-à-dire perceptible par les sens de l'être humain.

    4. Quelques exemples d'applications

    À présent que nous connaissons les deux critères essentiels, il nous est possible de regarder comment ils sont mis en œuvre en pratique, notamment à la lumière de la jurisprudence.

    Le titre d'une œuvre

    La loi le prévoit elle-même, le titre d'une œuvre est protégé en tant que tel par le droit d'auteur (article L.112-4 al.1er CPI). Mais il convient de préciser que c'est seulement si ce titre est original. Ainsi lorsque Le Monde titre "Hollande à Berlin", ce titre n'est pas original et tout autre organe de presse peut titrer à l'identique sans encourir les foudres des avocats du quotidien. Mais si un journal publie un titre incluant un jeu de mots, comme le fait couramment le Canard Enchaîné, ce titre est ainsi protégé.

    Les photos aériennes

    Cette question a occupé les magistrats dans plusieurs affaires. Où se trouve en effet l'originalité, aussi appelé "apport personnel", d'un auteur lorsque des photos aériennes sont réalisées automatiquement par un appareil fixé sous la carlingue de l'avion ?

    Dans le cas des photos aériennes, la réponse n'est pas univoque et les juges rechercheront s'il y a apport personnel dans chaque cas. En effet, il est fréquent que les clichés, bruts d'origine le plus souvent, soient sélectionnés, retouchés par une personne qui s'approprie ainsi la photo qui devient alors une œuvre.

    Les photos de documents

    La question s'est posée également de savoir quelle originalité il y avait à planter son pied d'appareil photo devant une toile de peintre, de cadrer scrupuleusement aux limites de l'œuvre et d'appuyer sur le déclencheur. Mais pourtant, à une même opération technique identique, il peut aboutir des réalisations bien différentes. Il existe en effet tout une gamme de choix de rendu – toutes tendant en général vers la plus grande fidélité à l'original – parmi lesquels figurent les réglages de l'appareil photo, mais aussi ceux de l'éclairage. Certains juristes ont cru pouvoir distinguer entre "réglages techniques" et "apport personnel", l'un étant purement technique, donc non personnel, l'autre étant nécessairement "sensible". Cette subtile distinction nous semble critiquable tant sont imbriqués dans un même savoir-faire, les connaissances techniques et l'art du professionnel.

    En synthèse

    Pour éviter de se noyer dans la localisation précise de la frontière de l'originalité et donc la discrimination entre œuvre de l'esprit et création non protégée par le droit d'auteur, rappelons que cette question fluctue au coup par coup en cas de contentieux, ce que les juristes nomment "une question laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond". Ainsi se dessine une sorte de zone frontière, ou zone grise, où l'incertitude reste réelle.

    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com


    + repères

    À retenir

    Une œuvre de l'esprit est nécessairement une création issue de l'esprit humain, pour peu que cette création soit sortie de l'esprit en question, objectivée, et qu'elle soit devenue "sensible" c'est-à-dire perceptible par tous.

    Droit applicable

    Code de la propriété intellectuelle, notamment les articles L.112-1 à 112-4 qui ne définissent pas "l'œuvre de l'esprit".

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