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Retour sur le Congrès de l'ABF : les bibliothécaires pour la démocratisation du numérique

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    Les congressistes se sont réunis en nombre pour assister aux conférences dédiées aux nouvelles technologies. (Jean-Yves Zanchi/ABF)
  • Ils étaient 650, pour la plupart bibliothécaires, à venir à Clermont-Ferrand du 9 au 11 juin. Le 62e congrès de l'Association des bibliothécaires de France (ABF) était placé sous le signe de l'innovation, dont le numérique est une composante importante : le dernier jour totalise à lui seul quatre conférences directement liées aux nouvelles technologies.

    L'impact des nouvelles technologies sur le public, direct ou indirect, est significatif. Au 62e congrès de l'ABF, elles sont présentées comme une excellente manière de transmettre des savoirs grâce à de nouvelles formes de médiation, de mesure de l'activité des usagers et de réduction des tâches administratives.

    Le numérique est de toute façon déjà bien ancré dans la société et les bibliothécaires se sentent responsables d'apporter « une literacy digitale [à leurs usagers] pour en faire des citoyens éclairés ». Cette tournure de Renaud Aïoutz, chef de projet système d'information au Conseil départemental du Puy-de-Dôme, exprime dès 9 heures du matin le décloisonnement de la technique et du savoir.

    Cette première conférence fait le plein : plus de 100 personnes sont réunies et les intervenants ne peuvent s'empêcher de s'en féliciter. L'enthousiasme des professionnels pour l'innovation technologique est palpable et confine parfois à l'impatience.

    Dans l'après-midi, un atelier propose à une cinquantaine de bibliothécaires de tester neuf séries de dispositifs de médiation. À eux de désigner ceux qu'ils trouvent innovants. Un groupe est composé de professionnelles expérimentées, dont une majorité a dû connaître le métier avant le web. Elles s'empressent de manipuler les supports à leur disposition, de flasher les QR codes et d'échanger leurs impressions. « C'est innovant, ça ? Je connaissais déjà il y a 30 ans ! [rire] » Complétée plus tard : « Ça, c'est pas bête, mais ce n'est pas très techno… [soupir] ».

    « On m'avait dit que vous étiez chers, mais pas à ce point là ! » - Un bibliothécaire municipal

    Pour autant, le numérique n'exerce pas une fascination naïve sur les congressistes dont les conversations sont ponctuées de références scientifiques et de retours d'expérience. Ils sont aussi réunis pour s'organiser ensemble – les plus militants parlent de « lutte » - contre les dérives des nouvelles technologies, l'aveuglement des tutelles et l'appétit des industriels.

    Les fabricants de matériel et les éditeurs de logiciels proposent des conditions pas toujours compatibles avec les contraintes budgétaires des institutions, dont tous les membres sont conscients.

    Effectivement, l'une des remarques récurrentes entendue en atelier est d'ordre pragmatique : « D'accord, mais faut voir combien ça coûte » !

    Ailleurs, deux bibliothécaires municipaux se penchent sur un stand commercialisant des étagères RFID. Des puces éponymes en guise d'étiquettes sur les ouvrages et des lecteurs spéciaux dans l'étagère permettent d'accélérer l'emprunt de livres par les usagers. Ils apprécient la présentation du vendeur, mais finissent par tiquer l'entendant parler de prix : « 7 000 balles pour une étagère ? On m'avait dit que vous étiez chers, mais pas à ce point là ! », concluent-ils avant de tourner les talons.

    Ces préoccupations financières poussent nombre de bibliothèques à se tourner vers des solutions libres. Près de 120 établissements ont adopté un système intégré de gestion en bibliothèque (SIGB) basé sur l’open source Koha. Malgré tout, la contrainte économique n'est souvent qu'un motif secondaire, bien qu'il puisse être déclencheur. L'ambassadrice éphémère de la communauté Koha sur le salon explique : « Dans notre bibliothèque, nous nous sommes tournés vers cette suite logicielle avant tout pour être libres. Nous demandons actuellement à notre prestataire d'en développer des améliorations personnalisées que nous n'aurions jamais pu obtenir d'un SIGB propriétaire ».

    « Notre comité d'éthique est de plus en plus sollicité » - Xavier Galaup, président de l'ABF

    C'est exactement ce mouvement que l'on peut observer en fin de journée lors d'une rencontre intitulée « Les sujets qui fâchent : le livre numérique ». Là où le prêt de livre numérique est pour l'instant régi par un droit contractuel, défini au cas par cas entre ayants droit et plateformes de prêt, l'ABF milite pour une extension du droit de prêt. Elle évoque notamment les conditions financières plus intéressantes de ce dernier pour les bibliothèques.

    Mais au-delà de cela, le représentant de l'ABF dans cette affaire s'accorde avec son homologue de RéseauCarel. Le problème de l'actuel système, concentré dans les mains de la plateforme Prêt numérique en bibliothèque (PNB) est la dépendance qu'il engendre envers des organismes tiers.

    Quelle liberté d'acquisition reste-t-il aux bibliothèques, soumises aux choix éditoriaux des organismes de prêt numérique ? Dans la salle, une main timide se lève : « Avec ce fonctionnement contractuel qui délivre des autorisations de prêt à durée limitée, nous sommes tentés d'acheter des licences pour des œuvres essentiellement commerciales ». Un droit de prêt numérique calqué sur le livre imprimé, illimité, laisse le temps de rentabiliser des ouvrages de niche ou plus pointus.

    Lorsque l'ABF défend le numérique, elle ne manque pas de mettre en avant les valeurs démocratiques, que mettent par exemple à mal les géants industriels du web. Vie privée, collecte de données personnelles… autant de préoccupations des usagers. « Notre comité d'éthique est de plus en plus sollicité, résume le président de l'association, Xavier Galaup. C'est le signe d'un malaise croissant en bibliothèque » face à l'incidence de ces nouvelles technologies, que les professionnels ne savent pas toujours comment gérer.

    « Les tutelles sont effrayées, surtout sous l'état d'urgence » - Lionel Dujol, responsable de Bib'Lib

    Lionel Dujol est responsable du comité Bib'Lib de l'ABF. Sa charte vise à combattre les pratiques du numériques qui obstruent l'accès au savoir pour tous comme la conservation des historiques de navigation ou l'enregistrement des cartes d'identité des usagers. L'homme explique au site Actualitté ( qu'elles sont parfois directement le fruit de consignes des tutelles des bibliothèques. Et si plus de la moitié des bibliothèques qui ont souhaité appliquer cette charte ont été recalées par leurs tutelles, c'est que certaines de ces dernières « ont été effrayées par ces principes, et l'état d'urgence les a freinées », insiste Lionel Dujol. « Elles voyaient mal comment engager une plus grande ouverture d'internet au sein des bibliothèques dans ce contexte », poursuit-il.

    Malgré toutes ces précautions, les tensions budgétaires fortes poussent les bibliothèques à céder, parfois, face aux collectivités dont ils dépendent. Prime alors une négociation subtile. « Nous avons besoin de subventions pour assurer, commence Renaud Aïoutz. Pour convaincre les tutelles, il faut mettre en avant des aspects visibles, même s'ils sont inutiles en soi, comme l'achat massif de tablettes tactiles ». Il suffit de mener une intense réflexion en interne sur les usages qui pourront être faits de ce matériel.

    Julien Devriendt, responsable des services numériques à la médiathèque de Choisy-le-Roi, enchaîne : « Il faut effectivement jouer avec le côté vitrine pour les élus, mais ce n'est pas grave si nous sommes clairs sur nos objectifs de notre côté ». Il en veut pour preuve l'expérience d'un atelier autour de la robotique et de l’œuvre de Kandinsky. L'objectif consistait à apporter un peu de literacy numérique aux jeunes et à les initier au code, pour programmer des mouvements. Pour obtenir l'aval politique et budgétaire, ce sont les robots, peintres articulés, qui ont été mis en avant : les robots, « ça fait moderne » !

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