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Quand les communs du savoir s’invitent en bibliothèque

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    En ce début d’année 2018, plusieurs établissements ont mis en place une politique des communs du savoir, à Choisy-le-Roi, Argentan, Pacé, ou encore Toulouse. (Doob)
  • Le mouvement en faveur des communs du savoir est désormais porté par les bibliothécaires qui souhaitent que la profession joue son rôle dans la diffusion des contenus libres de droits. En France, plusieurs établissements ont déjà franchi le Rubicon.

    Tout le monde connaît Wikipédia et (presque) tout le monde utilise cette incontournable encyclopédie collaborative en ligne. Avec près de 40 millions d’articles rédigés en plus de 280 langues, Wikipédia se hisse à la cinquième place des sites les plus fréquentés dans le monde. On a tout dit sur Wikipédia, mais on sait moins que ce site appartient à la catégorie dite des "communs du savoir". "Wikipédia est l’exemple le plus emblématique des communs du savoir", explique Lionel Dujol, chargé du développement numérique au sein des médiathèques Romans Valence Agglo et coordinateur d’un ouvrage consacré aux communs du savoir et aux bibliothèques (1).

    Apparue il y a quelques années, la notion de commun du savoir mérite une définition : "Il s’agit d’un bien commun (une source commune, Wikipédia par exemple), d’une communauté qui utilise cette ressource et participe à son enrichissement, et d’une gouvernance horizontale incarnée par la communauté qui décide des règles, précise Lionel Dujol ; bien entendu, tout le monde peut intégrer cette communauté et contribuer à l’enrichissement du bien commun. Nous parlons de commun du savoir lorsqu’il y a une action collective et horizontale pour créer, protéger et partager des savoirs".

    Précision importante : cette définition ne concerne que les œuvres qui sont des biens communs et exclut les œuvres sous droit de son champ d’application. Elle ne doit donc pas être confondue avec la révision du droit d’auteur soutenue par certaines associations.

    Un lien très intime entre communs du savoir et bibliothèques

    Très naturellement, les bibliothécaires se sont emparés de la question. Ils peuvent pour cela s’appuyer sur plusieurs textes qui encadrent leurs missions. À commencer par le manifeste de l’Unesco qui, dès 1994, rappelait le rôle dévolu aux bibliothèques publiques : donner accès aux savoirs, faciliter l’acquisition de compétences… "Participation constructive et progrès de la démocratie requièrent une éducation satisfaisante, en même temps qu’un accès gratuit et sans restriction au savoir, à la pensée, à la culture et à la formation", précisait l’Unesco il y a près d’un quart de siècle.

    "Malheureusement, à ce jour, seule la première partie du manifeste de l’Unesco est assurée, celle qui garantit l’accès au savoir, estime Lionel Dujol ; or, les bibliothèques publiques doivent jouer un rôle de facilitateur et non pas de verrouilleur ! Leur mission est de donner accès aux savoirs, notamment aux communs du savoir. Les bibliothécaires doivent faciliter l’utilisation de ces biens communs. C’est en cela que le lien entre communs du savoir et bibliothèques est très intime".

    Choisy-le-Roi, Argentan, Pacé, Toulouse

    En ce début d’année 2018, plusieurs établissements ont mis en place une politique des communs du savoir. À Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), la médiathèque Aragon a pris une décision radicale : tous les morceaux mis à disposition des usagers sont libres de droits, soit parce qu’ils ne sont plus couverts par le droit d’auteur (ce qui est le cas d’une partie du répertoire de la musique classique), soit parce que les auteurs-compositeurs ont opté pour les licences libres. Côté usagers, l’accès à ces ressources peut se faire de multiples façons. Des bornes interactives permettent d’écouter un morceau, de le télécharger sur une clé USB personnelle ou le partager en envoyant des liens de téléchargement à des amis via un courriel. "Nous avons fait le choix du logiciel libre et des contenus libres. Il s’agit d’une vision globale", nous confiait Thomas Courtial, responsable du service de développement numérique et des réseaux.

    Mais c’est à la médiathèque d’Argentan (Orne) que revient la palme de l’antériorité. Dès 2008, elle proposait une sélection d’albums de musique libre gravés sur CD-R en prenant bien soin d’expliquer à ses usagers le sens de son initiative : « Les musiques en libre diffusion sont des œuvres musicales sous licence libre (Creative Commons, mais aussi Art Libre) permettant leur libre diffusion (écoute, copie…) avec une attribution de paternité et certaines conditions d’utilisation ». Ces disques sont d’ailleurs présentés dans un bac spécifique. Depuis 2010, elle propose également un univers Netvibes composé d’albums distribués sous licence libre.

    D’autres établissements ont rejoint le mouvement : Pacé (Ille-et-Vilaine) et Toulouse (Haute-Garonne) où la médiathèque José Cabanis a souhaité donner de la visibilité à une production musicale peu présente dans le secteur marchand.

    Ces quatre médiathèques alimentent leur offre musicale auprès du portail Zoklibrenbib  dont le catalogue s’enrichit d’une quinzaine d’albums par mois. Ces albums sont accompagnés de notices de présentation et classés selon les règles PCMD (Principes de classement des documents musicaux).

    Une route encore longue

    Les communs de savoir ne se limitent évidemment pas à la production musicale. Au sein des médiathèques Romans Valence Agglo, les équipes de Lionel Dujol s’apprêtent à mettre en ligne 4 000 images issues du domaine public. Tous les usages seront autorisés y compris commercial : "Si Coca-Cola souhaite les utiliser, nous ne nous y opposerons pas ! C’est dans l’esprit des communs du savoir".

    Pour autant, la route est encore longue pour les partisans des communs du savoir. "Les bibliothèques ont encore beaucoup à faire pour permettre à leurs usagers de découvrir les communs numériques du savoir, estime Anne-Gaëlle Gaudion, bibliothécaire-formatrice pour l’agence BibliSmart ; pour changer cet état de fait, la première étape consiste sûrement à ce que les bibliothécaires soient plus à l’aise avec leurs contenus. La seconde étape consiste à sélectionner les œuvres les plus pertinentes au regard d’une politique documentaire définie. La dernière étape dédiée à la médiation de ces contenus demandera davantage d’investissements de la part des bibliothécaires".

    (1) Communs du savoir et bibliothèques. Sous la direction de Lionel Dujol. Édition du Cercle de la librairie, 2017.

    + repères

    L’ABF prend position en faveur des communs du savoir

    L’Association des bibliothécaires de France s’engage elle aussi dans le mouvement des communs du savoir. Dans une charte baptisée Bib’Lib, l’ABF plaide pour « le droit d’accéder, de réutiliser, de créer et de diffuser des communs du savoir ». L’article 7 de cette charte propose aux bibliothèques de jouer un rôle actif « en donnant un accès et une possibilité de réutilisation libre et gratuite du domaine public numérisé, en vertu de la réglementation en vigueur ou du versement volontaire de l’auteur à ce domaine public ».

    L’ABF incite les bibliothécaires à valoriser auprès des usagers les œuvres placées sous licence libre. Elle encourage également « une politique active d’ouverture de leurs données publiques sous une licence ouverte compatible avec les principes de données ouvertes ».

    La charte Bib’Lib a été rédigée par le comité Bib’Lib qui rassemble des professionnels de l’information et de la documentation, ainsi que des représentants de la société civile.

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