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Plateformes collaboratives : quels enjeux juridiques ?

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    Alors que l’économie collaborative suscite de grands espoirs en termes de relance de l’économie et de création d’emplois, elle s’accompagne de nombreuses craintes relatives à l’application du droit du travail. (Pixabay/Geralt)

  • On assiste à une multiplication des plateformes en ligne qui simplifient les échanges et facilitent la mise en relation et les transactions entre les individus. Leur développement fait surgir des interrogations sur le plan juridique auxquelles sont confrontées tant les entreprises qui les gèrent que les utilisateurs qu’elles mettent en relation.

    1. Le rôle et les responsabilités des différentes parties prenantes

    La question sur ce point est de savoir si l’arsenal juridique existant offre un cadre juridique suffisant au traitement des problématiques susceptibles de résulter des pratiques collaboratives.

    Rappelons que la particularité des plateformes collaboratives réside tout d’abord dans la relation tripartite qu’elles supposent et dans la diversité des pratiques en fonction de la nature des opérations réalisées (à titre gratuit ou à titre onéreux, avec transfert de propriété ou simplement basée sur l’usage).

    En l’absence de régime spécifique, le premier réflexe serait alors de penser qu’il existe un vide juridique. Mais ce vide juridique n’est qu’une illusion, car nombre de règles juridiques existantes trouvent à s’appliquer.

    Différents types de communautés de consommation collaborative

    Sabine Desvaux-Bernheim, maître de conférences, habilitée à diriger des recherches à la faculté de droit, économie et gestion de l’université d’Angers, rappelle à ce titre qu’il est nécessaire d’envisager les différents types de communautés de consommation collaborative. La diversification des pratiques de consommation collaborative aboutissant juridiquement à l’application de règles différentes. Ainsi, les règles de droit civil et de droit de la consommation peuvent s’appliquer en fonction de la nature des opérations et du statut des cocontractants, nous rappelle-t-elle.

    En effet, la vente, l’échange, la location, le don, le prêt à usage, le commodat ou encore le louage d’ouvrage sont des régimes juridiques qui peuvent s’appliquer aux opérations réalisées via ces plateformes.

    Si le contrat est conclu avec un professionnel, les règles de droit de la consommation trouvent également à s’appliquer (par exemple, pratiques commerciales trompeuses, droit de rétractation, garantie légale de conformité).

    Enfin, si le contrat est conclu électroniquement, les dispositions applicables aux contrats conclus à distance au sens de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (dite « LCEN ») sont amenées à s’appliquer.

    Renforcer l’information

    Sabine Desvaux-Bernheim suggère par ailleurs la nécessité de renforcer l’obligation d’information et de faciliter l’accès des particuliers à l’information, ceci afin d’instaurer la confiance auprès des consommateurs.

    On rappelle à ce titre les travaux du Conseil national de la consommation (CNC) sur l’« activité des plateformes numériques collaboratives », qui ont abouti à la publication d’un avis qui a été adopté en janvier dernier et qui identifie des pistes permettant de renforcer l’information dont dispose l’utilisateur de ces plateformes.

    Rôle de l’intermédiaire technique

    S’agissant de la responsabilité des plateformes collaboratives elles-mêmes, celle-ci va dépendre directement du positionnement de la plateforme et du rôle qu’elle joue en tant qu’intermédiaire technique. Pour les particuliers concluant un contrat via la plateforme (notamment par le biais de conditions générales), le droit considère qu’aucune responsabilité ne peut être imputée à l’intermédiaire technique dans la mesure où son rôle se cantonne à rapprocher et mettre en relation les utilisateurs de la plateforme. Aussi, concernant les contenus diffusés sur la plateforme, l’intermédiaire ne sera pas tenu responsable de ceux à caractère illicite sauf si, après en avoir été informé, il ne les a pas retirés promptement. En cas d’inexécution du contrat directement conclu entre les deux particuliers, les plateformes excluent en général toute responsabilité quant à la relation contractuelle directe entre les utilisateurs.

    La responsabilité de la plateforme peut en revanche être retenue dans les rapports entre la plateforme elle-même et l’utilisateur dans les limites fixées par le contrat qui les lie (par exemple, conditions d’accès et d’utilisation de la plateforme).

    Éviter tout risque de complicité

    La rédaction des clauses des conditions générales est un enjeu fort pour la plateforme, indique maître Henri de la Motte Rouge, avocat au barreau de Paris. Il s’agit de mettre en exergue le rôle d’intermédiation de la plateforme et d’éviter tout risque de complicité des éventuelles infractions des utilisateurs, indique l’avocat.

    Cela étant, ce rôle d’intermédiation n’exonère pas les plateformes de leur devoir de loyauté et d’information sur leur site. Sur ce point, la loi Macron, promulguée le 6 août 2015, comporte des obligations nouvelles à la charge des plateformes collaboratives en termes de loyauté, de transparence et d’information.

    Sur le plan fiscal, un rapport de la commission des finances du Sénat préconise notamment que les revenus issus de l’économie collaborative soient centralisés et transmis automatiquement au fisc par les plateformes collaboratives : une responsabilité non négligeable qui pèsera sur les plateformes si la proposition devait être retenue.  

    2. Assurance et conso-collaborative

    Ce mode de consommation collaborative modifie les risques traditionnels et n’est pas sans impact pour le secteur de l’assurance. En effet, les contrats d’assurance « traditionnels » ne sont pas toujours adaptés à cette nouvelle tendance de consommation, indique Charles Le Corroller, juriste à l’Institut national de la consommation. Les assureurs devront nécessairement adapter leurs produits pour tenir compte de l’usage qui sera fait du bien et non plus de la notion de propriété.  

    Plusieurs alternatives sont envisagées pour s’adapter aux différents cas de figure, rappelle Charles Le Corroller : assurance obligatoire vendue par la plateforme lors de l’inscription en leur qualité d’intermédiaire en assurances, assurance laissée à l’appréciation des propriétaires ou des locataires, système d’assurance collaborative, rachats de franchises…

    Certains assureurs et mutualistes ont cerné assez tôt les enjeux de ce nouveau marché et proposent des produits sur mesure, notamment par la mise en place de partenariats avec les plateformes.

    3. Economie collaborative et relations de travail

    Alors que l’économie collaborative suscite de grands espoirs en termes de relance de l’économie et de création d’emplois, elle s’accompagne de nombreuses craintes relatives à l’application du droit du travail. Deux risques majeurs pèsent sur ces plateformes collaboratives, rappelle maître Patrick Thiébart, avocat au barreau de Paris. Le premier concerne le délit de dissimulation d’activité. Le second est la dissimulation d’emploi salarié. Dans ce cas, c’est l’existence d’un lien de subordination entre l’entreprise qui gère la plateforme et le travailleur collaboratif qui est suspectée.

    Un statut de travailleur collaboratif ?

    Certains rapports évoquent par ailleurs la nécessité de créer un statut de travailleur collaboratif en raison des incertitudes juridiques qui entoureraient l’économie collaborative. Tandis que d’autres positions affirment que les acteurs de l’économie collaborative s’inscrivent nécessairement dans l’une des catégories existantes du droit du travail. Le statut varierait alors en fonction de la nature et des conditions d’exercice de l’activité concernée. On vise notamment le statut de travailleurs indépendants (par exemple, les auto-entrepreneurs) ou de salariés.

    L’économie collaborative ferait donc ressurgir des problématiques classiques de droit du travail, comme le rappelle le rapport Terrasse sur l’économie collaborative rendu en février dernier par le député socialiste Pascal Terrasse. Les difficultés que rencontrent les travailleurs de l’économie collaborative en matière de protection sociale ne seraient pas si différentes de celles que rencontrent l’ensemble des travailleurs indépendants.  

    Karima Ben Abdelmalek
    [Secrétaire générale de l’Adij, lauréate du prix Adij 2015, juriste d’entreprise spécialisée en droit de l’informatique et des TIC, Solocal Group]

    (1) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.


    + repères

    A retenir

    Différentes propositions ont vu le jour pour réguler et encadrer les plateformes collaboratives.  

    Force est de constater que pour l’heure, l’économie collaborative est loin d’être une zone de non-droit et son développement offre de nouvelles opportunités d’emplois. Elle est aussi source d’innovations, comme le rappelle justement le rapport Terrasse. Dans ce rapport, le député propose au gouvernement de mieux encadrer l’économie collaborative ; cela étant, la plupart des propositions ne visent pas à créer des règles ou des statuts spécifiques, mais à les rapprocher des cadres existants.

    L’avenir dira quelle orientation sera finalement choisie.

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