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Tout savoir sur le droit à l’image des personnes au travail

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    Si sur une image une personne n’est que l’accessoire de celle-ci, elle ne dispose d’aucun droit, ce qui ne signifie pas qu’elle est totalement démunie. (VisualHunt)
  • Parmi les nombreuses questions de droit à l’image des personnes, l’une revient souvent, celle des personnes se trouvant sur leur lieu ou en situation de travail. Il importe de resituer cette question dans le cadre du droit à l’image des personnes en général.

    1. Droit à l’image des personnes physiques : un double fondement juridique

    La jurisprudence a défini des règles quant au droit à l’image, sur des bases juridiques très générales dont elle définit ensuite quelques contours et limites, le plus souvent de bon sens. Rappelons ces quelques bases et l’actuelle jurisprudence en la matière.

    L’image, attribut de la personne humaine

    L’image d’une personne constitue un des attributs attachés à sa personne. En d’autres termes, l’image d’une personne appartient à celle-ci en propre. Cette caractéristique milite en faveur d’un contrôle absolu de la personne sur son image. Mais la jurisprudence y a mis des limites, logiques et pragmatiques.

    Logiquement, selon une jurisprudence constante, une personne dispose du droit de contrôler son image à partir du moment où elle est reconnaissable. Une photo des seuls pieds d’une personne ou l’image de son dos à 50 mètres de distance n’entraîne pas obligation de solliciter son accord. Ce sont essentiellement les traits du visage, éléments d’identification uniques, qui sont ainsi protégés.

    Mais cette condition ne suffit pas pour fonder le droit de contrôler son image. Logiquement toujours, il faut encore que la personne soit individualisée sur l’image. C’est une logique juridique classique qu’on retrouve un peu partout en droit, et surtout à plusieurs niveaux en droit de l’image : la distinction entre principal et accessoire. Si sur une image une personne n’est que l’accessoire de celle-ci, elle ne dispose d’aucun droit, ce qui ne signifie pas qu’elle est totalement démunie (voir ci-après sur la responsabilité civile). C’est le cas lorsque des personnes se trouvent dans la rue au moment où une photo y est prise, par exemple pour couvrir un événement ou représenter la rue ou un bâtiment dans la rue. C’est encore le cas lorsque la personne se trouve noyée dans une foule. Ainsi s’explique le fait que lorsqu’une personne se trouve sur la voie publique ou dans une foule, il n’est pas nécessaire, en principe, de solliciter un accord.

    Mais pragmatiquement, les juges ajoutent classiquement une dernière limite : pour nécessiter l’accord de l’intéressée, l’image doit être exploitée dans un but commercial ou promotionnel.

    Ceci couvre trois cas de figure :

    • le cas des mannequins et modèles qui sont rémunérés directement pour l’exploitation des images qu’on prend d’eux ;
    • les images qui sont publiées dans la presse à sensation et qui font vendre le journal ;
    • les cas où les personnes illustrent à titre principal une publication faisant la promotion d’une entreprise ou d’une institution publique, par exemple prises en photo à leur bureau ou leur atelier.

    Le dernier cas nous fait entrer de plain-pied dans le droit à l’image des personnes au travail.

    le droit au respect de la vie privée

    Ce critère est souvent confondu purement et simplement avec le droit à l’image, au point d’en oublier le fondement précédent, alors qu’il en est distinct. L’article 9 du Code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée » et couvre ainsi une multitude de situations dans lesquelles la vie privée d’une personne peut être bafouée, lorsque par exemple on révèle des informations non visuelles relatives à cette vie privée.

    Il ne faut pas non plus confondre vie privée et domicile privé. La vie privée peut être protégée même dans un lieu public, la voie publique, une église, un théâtre…

    Nous ne nous arrêterons pas davantage sur ce respect de la vie privée, au contentieux prolixe, puisque par définition, lorsqu’on est sur son lieu de travail, on n’est pas dans le cadre de sa vie privée, mais dans celui de sa vie professionnelle.

    2. L’exploitation des images prises dans le cadre du travail

    Une jurisprudence constante considère que les photos de personnes prises sur le lieu du travail ou dans l’exercice de leurs fonctions peuvent être exploitées sans l’accord des intéressés. La seule limite est celle évoquée ci-dessus, de l’exploitation des images en direction d’un certain public : sur les prospectus commerciaux de l’entreprise, sur son site web, etc.

    Une récente jurisprudence a débouté un fonctionnaire de police qui avait été pris en photo sur la voie publique dans le cadre d’une formation qu’il suivait (tribunal d’instance de Saint-Denis, 27 août 2015). Les juges en profitent du reste pour rappeler les règles déjà définies par leurs pairs et évoquées ci-dessus. Ils rappellent notamment que « l’image diffusée a une visée informative, sous réserve de la dignité de la personne ou de la diffusion dans un but lucratif ». Et, en l’occurrence, il n’y avait ni atteinte à la vie privée, ni à la dignité de la personne, ni diffusion dans un but lucratif.

    3. L’impératif d’information d’actualité

    L’évocation de la diffusion de l’image « à visée informative » nous amène à envisager une nouvelle dimension propre à limiter le droit à l’image des personnes. C’est la licence classiquement reconnue aux médias pour couvrir l’actualité. Ainsi, dans le délai de l’actualité (quelques jours à quelques semaines), des images de personnes reconnaissables et individualisées peuvent parfaitement être publiées ou télédiffusées sans aucun accord. Mais passé le délai de l’actualité, l’image d’une personne reconnaissable et individualisée ne saurait être à nouveau exploitée sans l’accord de celle-ci. Il faut toutefois noter que si la personne revient sous les feux de l’actualité, il y a de nouveau actualité, et des photos mêmes anciennes peuvent être alors exploitées.

    Une importante limite a cependant été introduite en 2000 dans la loi : l’article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse érige en délit d’information « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale mais n’ayant pas fait l’objet d’un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est placée en détention provisoire » (texte introduit par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes). La sanction pénale est de 15 000 euros d’amende maximum (même article 35 ter).

    4. L’impératif de sécurité et de confidentialité

    À l’inverse, et bien qu’il ne soit forcément consacré par aucun texte particulier, l’impératif de sécurité et de confidentialité commande bien des situations. C’est le cas notamment de ces reportages sur les forces de police ou sur la traque de stupéfiants par les services des douanes dans lesquels les visages des personnels, nécessairement dans l’exercice de leur travail, sont systématiquement floutés afin qu’il ne soient ni repérés ni reconnaissables par les personnes qu’ils pourraient être amenés à traquer. Ce masquage peut du reste aller jusqu’à l’altération de la voix des intéressés. C’est encore le cas de certains personnels œuvrant dans des secteurs sensibles tels que l’octroi d’aides sociales. Si l’anonymat des personnels chargés d’instruire les dossiers est levé depuis les lois de transparence administratives, la photo de ces personnels ne saurait être rendue publique, même si elle figure par exemple sur le trombinoscope consultable en interne dans la structure.

    5. Le cas des personnages publics

    Le cas des personnages dits publics se rapproche des personnes en situation de travail. La limite peut être parfois ténue entre les deux notions. Il est possible de distinguer deux catégories de personnages publics :

    • les personnages publics par nature : toute personne dont une partie de la vie est sous les feux de l’actualité : politiciens, élus, représentants syndicaux, comédiens et artistes, sportifs de haut niveau…
    • les personnages publics par destination : toute personne qui de par ses fonctions, pas nécessairement publiques, se trouve portée sous les feux de l’actualité : un procureur ou un juge d’instruction, un dirigeant d’entreprise interviewé par les médias, etc.

    Le principe est que, dans l’exercice de leur vie publique, les personnages publics ne peuvent s’opposer à l’exploitation de leur image. Mais cette licence s’arrête dès que la personne se retrouve dans le cadre de sa vie privée. Tel fut le cas en 2008 de Ségolène Royal qui fit condamner Paris-Match à 6 000 euros de dommages-intérêts et 2 000 euros de frais de justice pour avoir publié des photos d’elle en prière dans une église en Italie, lors d’une visite « exclusivement privée » (TGI Paris, 29 mai 2008).

    6. La responsabilité civile demeure

    Qu’il y ait obligation ou non de demander l’accord de l’intéressé pour publier son image, les principes généraux de la responsabilité civile demeurent. L’article 1382 du Code civil pose le principe selon lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». De sorte que si la publication de l’image d’une personne lui cause un préjudice, celui-ci doit lui être indemnisé.

    Pour qu’une indemnisation puisse être admise, il faut d’abord que le préjudice soit en lien direct avec la publication de l’image. Il faut encore que la personne n’ait pas elle-même été en faute. La publication de l’image d’une personne assistant aux internationaux de France de tennis à Roland Garros, alors qu’elle s’était déclarée malade auprès de son employeur et a été sanctionnée à la vue de cette image, ne saurait entraîner un droit à réparation en vertu du principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre faute ». Cependant des cas peuvent se présenter où, en dépit de l’absence d’obligation de demander l’accord de la personne pour la publication de son image, celle-ci lui ayant causé un préjudice réel et important, elle puisse en obtenir réparation en justice.

    Didier Frochot
    → www.les-infostrateges.com


    + repères

    A retenir

    Nullement protégées par le droit au respect de la vie privée, les images de personnes se trouvant en situation de travail peuvent être exploitées sans leur accord, sauf si cette exploitation se faisait à but lucratif.

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