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Droit : enjeux juridiques de l'open data en collectivités locales

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    les services d’archives mènent une politique volontariste de numérisation et de diffusion sur internet, fondée sur la sélection des documents les plus demandés par les chercheurs. (justgrimes via Visual Hunt / CC BY-SA)
  • L'ouverture des données publiques représente un véritable défi pour les communes n'ayant pas encore opéré leur virage numérique. Mais en attendant l'Eldorado de ce "tout numérique", la législation en la matière expose les retardataires à des sanctions.

    1. De l'accès aux documents administratifs à la libre réutilisation
    2. De la liberté à la gratuité
    3. L'ouverture des données en collectivités locales : les pionniers
    4. L'ouverture des données, cauchemar des petites et moyennes communes ?
    5. Des contentieux en perspective ?
    6. Une obligation indirecte d'amélioration de l'informatique dans les communes

    La libre réutilisation des informations publiques, également appelée open data, commence à prendre de l'âge puisque les premiers jalons de la réglementation de l'ouverture des données publiques remontent en Europe à une directive de 2003.

    Cependant, l'application de cette nouvelle réglementation à forte incidence numérique, a tardé à se mettre en place dans les collectivités publiques, et surtout dans les collectivités locales. Le degré d'implication de ces collectivités est directement proportionnel à leur taille. Les premières à s'être penchées sur l'ouverture des données publiques, gérant déjà largement leurs données en numérique, sont les régions, certains départements et les grandes communes telles que Paris, Lyon, Marseille…

    Mais la loi s'applique pour tous et par conséquent, toute commune, qu'elle qu'en soit la taille, se doit d'être aujourd'hui prête à répondre à une demande de réutilisation des données qu'elle a produites ou qu'elle détient, par toute personne souhaitant les réutiliser.
    Un petit rappel aux grands principes de la loi n'est certainement pas inutile.

    1. De l'accès aux documents administratifs à la libre réutilisation

    Depuis le titre 1er de la loi du 17 juillet 1978 qui posait le principe du "droit d'accès aux documents administratifs" à la "libre réutilisation des informations publiques", du chemin a été parcouru. Le premier cadre légal de 1978 prévoyait uniquement pour toute personne un droit d'accès "à tout document produit ou détenu par l'Administration". Simple "droit de regard", qui pouvait s'accompagner d'une sorte de "droit de copie privé" : droit de se faire communiquer les documents par voie de copie, puis à partir de 2000, par voie de courrier électronique (article 4, c de la loi).

    L'ordonnance du 6 juin 2005 transposant la directive de 2003 sur la "Réutilisation des informations du secteur public" a posé le principe nouveau de libre "réutilisation". Ce qui suppose la reproduction et la rediffusion des informations produites ou détenues par le secteur public, en principe "à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus" (article 10 de la même loi du 17 juillet 1978 modifiée). 

    La progression est donc grande, de la simple transparence administrative à la libre ré-exploitation de richesses informationnelles produites et/ou collectées par le secteur public, que d'autres acteurs économiques pourraient valoriser avec plus de facilité que l'administration, absorbée par ses missions de service public. L'idée au niveau européen et mondial est que la richesse informationnelle produite ou détenue par le secteur public puisse être mise à la portée de tous et valorisée par l'initiative privée. D'où le concept d'"ouverture des données publiques" ou "open data".

    2. De la liberté à la gratuité

    Certes la loi pose le principe de la "libre réutilisation". Mais liberté n'est pas gratuité. C'est pourquoi l'ordonnance de 2005 prévoit le paiement de redevances dans certains cas. Autrement dit l'accès est libre et gratuit, sauf quand il est payant ! On a longuement ironisé sur cette étrange

     législation qui de surcroît n'apportait pas de critère distinctif précis entre gratuité et mode payant. De sorte que les administrations, jamais en reste pour gagner quelques subsides au passage, se sont largement engouffrées dans des solutions de licences de réutilisation payantes. Au point que le Rapport Trojette, commandé par le Premier ministre et rendu public en juillet 2013 a jeté un pavé dans la marre de par son seul titre "Ouverture des données publiques : Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ?".

    La création en février 2011 de la mission Etalab constitue l'un des jalons essentiels de la remise au pas des administrations – notamment d'État – quant aux pratiques de l'ouverture libre et gratuite des données. Elle témoigne d'une démarche volontariste des gouvernants de notre pays d'ouvrir le plus largement possible les informations et données produites sur fonds publics. À ce titre, le passage à la gratuité volontaire des licences de réutilisation des bases de Légifrance est emblématique. Il y avait quelques raisons de justifier encore d'une redevance payante, notamment sur la base du droit des producteurs de bases de données. Mais les services du Premier ministre ont conduit l'ouverture gratuite de ces bases à marche forcée, à la surprise des juristes.

    3. L'ouverture des données en collectivités locales : les pionniers

    Les grandes collectivités locales se sont assez vite mises au diapason de l'ouverture des données, et l'on peut notamment citer la ville de Paris, qui offre ainsi de nombreux jeux de données disponibles, parfois avec une interface de localisation géographique. Il est ainsi possible de visualiser en ligne tous les lieux de tournage de films déclarés à Paris en 2011, ou encore de consulter les statistiques des prêts réalisés dans l'ensemble des bibliothèques de la ville de Paris. Mais ceci n'est que la partie émergée de l'iceberg, la vitrine… 

    4. L'ouverture des données, cauchemar des petites et moyennes communes ?

    A côté de ces illustrations brillantes de la part de communes qui ont des moyens informatiques, demeure la réalité de centaines de milliers de communes à peine informatisées. C'est là que la loi peut être vue comme un puissant accélérateur de progrès technologique. Mais en attendant, un facteur de contentieux.

    En effet, la réutilisation des informations publiques est un "droit", non une "faculté". En d'autres termes, toute personne peut adresser une demande à une commune dans le but d'obtenir tel jeu de données que cette commune est censée gérer. Et si la commune n'obtempère pas, le demandeur peut saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) qui est compétente pour connaître des contentieux sur ce sujet comme sur celui de l'accès aux documents. Par-delà l'hypothèse – par définition absurde ! – d'un refus dû à la mauvaise volonté d'une collectivité locale, il reste l'impossibilité technique de fournir le jeu de données demandé, non parce qu'il n'existerait pas, mais parce qu'il n'existe pas sous forme informatique… ou en tout cas pas sous un format ouvert et standard. Se pose là toute la problématique des collectivités non informatisées ou ayant une informatisation vétuste – ce qui, pour le coup, n'est pas une hypothèse absurde, mais une réalité encore souvent tangible...

    5. Des contentieux en perspective ?

    Cette obligation légale n'apparaît pas en clair dans la loi, pas plus que dans les décrets d'application. Il faut donc lire et s'imprégner des textes afin de bien comprendre que, tout comme l'accès aux documents administratifs est un droit pour toute personne, le réutilisation l'est aussi, avec les mêmes possibilités d'intervention de la Cada et les mêmes risques de sanctions. C'est une facette de la loi dont fort peu de collectivités locales ont conscience mais qui pourraient bien en réveiller brutalement plus d'une si elles se trouvaient saisies d'une demande de jeu de données qu'elles ne détiennent pas sous forme informatique, ou sous une forme archaïque non diffusable dans un standard ouvert. 

    6. Une obligation indirecte d'amélioration de l'informatique dans les communes

    C'est pourquoi cette législation est souvent vue comme une forte incitation à avancer à grands pas vers le numérique dans toutes les collectivités publiques, et de surcroît comme un facteur de rationalisation de la gestion administrative, l'informatisation ayant souvent le mérite d'obliger à repenser plus logiquement les procédures. Mais en attendant que cet idéal du tout numérique rationnel soit atteint, il est permis de s'attendre à quelques tensions entre une commune encore un peu archaïque et un administré un peu zélé… ou procédurier.


    + repères
    Le droit applicable

    • Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 "portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal" (le titre I traite "De la liberté d'accès aux documents administratifs").
    • Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 "concernant la réutilisation des informations du secteur public".
    • Ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 "relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques" (modifie le contenu Titre I de la loi du 17 juillet 1978 – voir ci-dessus – qui devient « De la liberté d'accès aux documents administratifs et de la réutilisation des informations publiques »)
    • Décret n°2005-1755 du 30 décembre 2005 "relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques", pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.
    • Directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 "modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public" (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE).

    + Voir l'ouvrage au format numérique de l'auteur : "Réutilisation des informations publiques (open data) : aspects juridiques", novembre 2014

    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com 

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