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Intelligence artificielle : "Demain, nous aurons tous un double dans le monde digital"

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    Stéphane Mallard : "pour que l’on ait envie d’interagir avec des machines, il faut qu’elles nous ressemblent" (DR)
  • Stéphane Mallard travaille sur l'innovation et la stratégie des salles de marché de la Société Générale. Evangéliste sur le sujet de l'intelligence artificielle, son rôle est de faire évoluer les mentalités pour préparer la transformation prochaine de la société et de l'entreprise.

    Qu'est-ce que l'intelligence artificielle ?

    L'intelligence artificielle (IA) est une approche totalement radicale de l'informatique qui vise à modéliser et répliquer le fonctionnement du cerveau humain. Jusqu'à aujourd'hui, l'informatique était programmée, c'est-à-dire que les logiciels étaient conçus pour faire les choses qu'on leur demandait. Aujourd'hui, on est en train de créer des logiciels fonctionnant exactement comme notre cerveau, capables d'apprendre et de comprendre par eux-mêmes, grâce aux bases d'apprentissage que nous leur donnons au départ, exactement comme un bébé. Comme un cerveau humain, ces machines peuvent créer des concepts de façon illimitée et dans tous les domaines : il est donc possible d'apprendre à une IA la conduite, la finance, la médecine, ou encore le droit, et ce en s'aidant de la base de données géante que constitue le big data.

    Comment se fabrique l'IA ?

    Elle se crée à l'aide du deep learning (l'apprentissage profond) qui est une technique d'apprentissage et de classification basée sur des réseaux de neurones artificiels numériques, selon les mêmes mécanismes que le cerveau humain :

    • les niveaux de complexité (le cerveau décompose les choses en éléments très simples pour bâtir ensuite de la complexité) : par exemple, une IA peut découvrir par elle-même le concept de chat si on lui montre des milliers d'images de museaux, de pelages, d'yeux ou d'oreilles associées au concept de chat. Elle va ensuite découvrir qu'il existe plusieurs sortes de chats, et que ce concept est très souvent relié à des concepts plus complexes (la littérature, la biologie, la médecine vétérinaire, etc.) ; 
    • L'auto-apprentissage à partir d'hypothèses (le cerveau a une intuition, pose ensuite des hypothèses et tente de les vérifier pour se créer une conviction) : par exemple, la machine posera l'hypothèse que les yeux d'un chat sont toujours posés sur un museau et pourra ensuite la vérifier ;
    • L'imitation (un peu comme les bébés qui imitent les adultes sans donner de sens au départ, et qui essayent ensuite de comprendre) : les Google Car ont appris en partie de cette façon, en imitant les autres conducteurs qu'elles ont supposé savoir conduire.

    Où en est la recherche aujourd'hui ?

    L'enjeu technologique est de rajouter toujours plus de niveaux de complexité dans l'abstraction, exactement comme est capable de le faire notre cerveau. Cela demande des capacités de calcul considérables dont très peu d'entreprises, essentiellement les géants du web, disposent aujourd'hui. Mais il faut savoir que la recherche en la matière avance à une vitesse exponentielle et que celle-ci a bien plus progressé l'année dernière que dans les cinq dernières années, qui ont elles-mêmes été beaucoup plus fructueuses que les trois dernières décennies. 

    Qu'en est-il de Watson, le programme d'IA développé par IBM ? 

    A l'aide du traitement automatique du langage, on est en train d'apprendre aux machines à comprendre le langage humain et à le manipuler afin qu'elles puissent échanger avec nous et traiter du texte. C'est le cas de Watson, qui a participé et gagné au jeu télévisé américain Jeopardy! (jJeu télévisé lors duquel trois candidats s'affrontent pour trouver la question correspondant à la réponse donnée par le présentateur) en 2011, face à deux champions du jeu. Cet exemple prouve à quel point Watson est capable d'intelligence (en posant des hypothèses très rapidement pour choisir la plus pertinente) et pas simplement de réciter des connaissances.

    Toujours aux Etats-Unis, Watson a assimilé une quantité incroyable de textes de médecine et est en mesure depuis l'an dernier de poser des hypothèses pour accélérer des analyses d'ADN et déterminer des soins personnalisés à des patients souffrant de cancer. 

    De la même façon, un cabinet d'avocats a fait assimiler une quantité considérable de textes de lois et de jurisprudence à Watson afin que celui-ci réfléchisse au cas d'un client dont on lui soumet les données, comme le ferait un avocat : de façon très rationnelle, avec différentes hypothèses de stratégies de défense et de probabilités de succès, Watson est désormais capable d'élaborer une argumentation de défense.

    Et demain que nous restera-t-il ?

    Selon moi, ce qui fait aujourd'hui la valeur ajoutée de l'humain est

     sa capacité à interagir et à nouer des relations avec les autres. Car l'ensemble de nos capacités cognitives (notre intelligence, notre créativité, notre mémoire, etc.) sont en train d'être externalisées dans une IA. 

    Évidemment, il va y avoir une sorte de convergence entre nous et les machines. Nous leur ressemblerons de plus en plus lorsque notre smartphone, qui est aujourd'hui un objet, deviendra une sorte de puce qui pourra être implantée directement dans notre cerveau. De leur côté, les machines nous ressembleront également, dotées de ce qu'on appelle la "conscience artificielle", qui est cette capacité à éprouver de l'empathie et des émotions et sur laquelle les chercheurs travaillent également.

    Vous avez dit que l'objectif était de créer une "intimité" avec les machines. C'est-à-dire ?

    Je fais alors référence à l'alter ego digital, sorte de major d'homme intelligent, que deviendra notre smartphone, mais de façon extrêmement sophistiquée et avec des interactions proches de celles d'un humain. Car ce que l'on reproche aux machines aujourd'hui, c'est justement d'être des machines. Pour que l'on ait envie d'interagir avec elles, il faut qu'elles nous ressemblent. 

    Demain, nous partagerons tellement de choses avec ces alter ego digitaux qu'ils nous connaîtront parfaitement (de la même façon que nous partageons aujourd'hui énormément d'informations nous concernant avec notre smartphone). Demain, ce major d'homme intelligent sera capable de nous suggérer des choses à l'avance, en fonction de nos goûts, des disponibilités de nos agendas, ou de nos moyens de transport. Ils pourra également faire de l'humour et interagir avec le major d'homme de nos amis et du monde extérieur. Nous lui ferons entièrement confiance et c'est à lui que nous nous adresserons en priorité parce que nous saurons qu'il défendra nos intérêts avant tout. Nous aurons tous un double dans le monde digital, qui nous représentera dans toutes nos interactions.

    Comment être sûr du fait qu'ils soient créés pour défendre nos propres intérêts ?

    Nous ne le saurons pas au début, évidemment, et nous ne leur ferons donc pas confiance du jour au lendemain. Mais nous les testerons et leur laisserons progressivement la main lorsque nous nous rendrons compte qu'ils sont toujours utiles et entièrement à notre service. Notre confiance s'établira peu à peu, comme dans les relations humaines. Et si jamais certains étaient un jour déçus par leur IA, ils pourraient comme dans la vraie vie ne pas le lui pardonner et se tourner alors éventuellement vers l'IA d'une marque concurrente. 

    Cela semble de la science-fiction. Quand et comment l'IA fera-t-elle partie de notre quotidien ?

    Nous en sommes au tout début et cela va se faire progressivement, comme ce fut le cas avec les smarphones que nous avons adoptés naturellement. Pourtant, ils n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient il y a dix ans, leurs fonctionnalités s'améliorant mois après mois. Et cela va continuer et s'accélérer de façon exponentielle dans les cinq prochaines années. Demain, votre smartphone vous dira peut être à votre sortie du travail : "Tiens, et si tu t'arrêtais au métro Bastille, parce que ton camarade de promo Thomas s'y trouve et cela fait longtemps que tu ne l'as pas vu. D'ailleurs, ce serait bien que tu parles avec lui de big data". Parce que votre alter ego saura grâce à celui de Thomas que celui-ci s'intéresse à ce sujet, que vous êtes l'interlocuteur dont il a besoin et il vous synchronisera. Vous ne serez même pas surpris car vous serez tellement habitué à voir de nouvelles fonctionnalités arriver progressivement dans votre quotidien et vous faciliter la vie que vous le laisserez faire. 

    L'IA soulève tout de même nombre de questions éthiques et juridiques...

    En effet, car il faut comprendre que l'on est en train de créer une nouvelle forme de vie qui n'est pas biologique, mais numérique. Donc toutes les questions qui se posent au niveau de la vie humaine (responsabilité juridique, légale, éthique, etc.) vont se poser au niveau de l'IA. Par exemple, est-on responsable si notre IA agit en notre nom ? De nombreux comités d'éthique sont ainsi en train d'émerger dans le monde entier afin de répondre à ces questions et tenter de poser un cadre juridique. Il y aura certainement un droit des robots, de l'IA, du digital et des êtres humains augmentés. Il faut être capable pour cela de faire sauter toutes nos idées préconçues et nos convictions.

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