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Transformation digitale des musées : "le musée en ligne se conçoit différemment du musée physique"

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    "Cest globalement qu’il faut penser la transformation digitale", affirme Elisabeth Gravil ; "C'est tout le vécu d’un musée de A à Z qui s’imbrique et qui doit briser les fameux silos" (Freepik/rawpixel.com)
  • Présidente et fondatrice de Museovation, Elisabeth Gravil conseille les musées et les institutions culturelles dans leur transformation digitale. Après l’explosion d’initiatives en ligne des musées français de 2020, elle dresse son état des lieux de leur maturité numérique et livre ses préconisations pour (re)composer la chaîne du numérique en termes d'accessibilité, d'écoresponsabilité, de professionnalisation des équipes, de la prise en compte de la diversité en ligne, etc.

    Temps de lecture : 7 minutes

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    Quel impact l’année 2020 a-t-elle eu sur la transformation digitale des musées français ?

    elisabeth-gravil-musee-transformation-digitale2020 est une année charnière qui a entraîné une véritable prise de conscience du paysage muséal français sur la nécessité d’accélérer sa numérisation, notamment au regard des initiatives plus pointues des musées anglo-saxons et nordiques.

    Avec l’avalanche de contenus culturels de l’année dernière, les professionnels ont réalisé qu’ils pouvaient atteindre un public plus large au sens quantitatif et géographique. Ils ont aussi constaté qu’ils pouvaient toucher, grâce aux musées en ligne, des catégories sociales encore intimidées par le musée physique.

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    Comment cette prise de conscience s’est-elle traduite ?

    Jusque-là, les moyens financiers, techniques, technologiques et humains étaient généralement dédiés au musée physique. Cette prise de conscience a rétabli une sorte d’équilibre pour mieux répartir ces moyens entre musée physique et virtuel. On parle d’hybridité dans tous les domaines, il n’y a pas de raison que le culturel y échappe.

    Cette prise de conscience a engagé certaines réflexions sur l’organisation du travail et la répartition des équipes, mais aussi au niveau de l’obsolescence des sites internet, des moyens de collaboration et des propositions. Car le musée en ligne se conçoit différemment du musée physique.

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    C’est tout un modèle qu’il faut inventer ?

    Totalement. On a d’abord connu le passage de l’extérieur des murs physiques du musée vers le virtuel. Et même si cela peut sembler paradoxal, la transformation digitale induit de nouveaux modèles de diffusions diversifiées du contenu à l’extérieur de ces murs virtuels.

    Par exemple, après l’essor des podcasts, le Metropolitan Museum of Art de New York va encore plus loin : il vient de lancer son « pay per view » sur la plateforme de télévision payante PBS pour y diffuser une série de contenus à l’occasion de ses 150 ans. Ils ne sont pas diffusés sur son site web.

    Tous les musées n’en sont pas là…

    Bien sûr, car il y a autant de maturités numériques que de musées ! Et c’est une problématique très française. Dans les musées anglo-saxons, on ne parle pas d’équipe digitale car même s’il y a toujours un petit noyau fédérateur sur ce sujet, le digital appartient désormais à tout le monde.

    Et c’est globalement qu’il faut penser la transformation digitale : créer une boutique en ligne, faire du crowdfunding, du marketing, communiquer, diffuser des contenus, etc.

    C’est tout le vécu d’un musée de A à Z qui s’imbrique et qui doit briser les fameux silos. Mais rien qu’à voir la lenteur du renouvellement des sites web, je ne suis pas rassurée…

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    Quelles sont leurs difficultés ?

    Les musées français sont beaucoup moins autonomes que les Anglo-saxons : dépendants de leur tutelle, ils n’ont pas la main sur leur site web. Je connais un musée qui a réclamé pendant cinq ans la rénovation de son site, mais qui devait passer après la rénovation de celui de la cantine, du théâtre, etc. Impossible de se montrer agile dans ces conditions ! N’en déplaise aux community managers, je suis convaincue que le site web est la priorité. Bien avant de se lancer sur TikTok…

    TikTok est pourtant à la mode. Les musées ont-ils tort d’y aller ?

    Pas dans ces conditions ! Par exemple, j'ai analysé les statistiques de l’événement TikTok du 18 mai à l’occasion de la Journée internationale des musées. La plupart des live streamings étaient catastrophiques, avec de mauvaises prises de son et des images mal cadrées.

    Quels bénéfices les musées ont-ils retirés de tout ce temps investi ? Certes, ils ont bénéficié d’une petite visibilité, mais je suis convaincue qu’ils servent finalement plus les intérêts de TikTok que le leur et peuvent même décourager les gens qui sont tombés sur eux par hasard ce jour-là de visiter le musée physique. Sans compter qu’il faut une vraie continuité dans les publications pour que TikTok devienne fondamental dans une démarche de communication.

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    C’est la professionnalisation qui est problématique ?

    Tout à fait. L’année 2020 a prouvé qu’un community manager devait se consacrer exclusivement au digital. Aujourd’hui, on est en train de revenir en arrière car les budgets ne suivent pas et le temps qu’ils ont à consacrer aux réseaux sociaux ne leur permet pas de les faire grandir, de les dynamiser, de répondre aux gens et d’être réactifs à l’actualité.

    Il faut comprendre que ce sont de vrais métiers qui nécessitent une stratégie et des « hard skills » : on ne fait pas du live streaming du jour au lendemain, mais après avoir acquis des compétences. On tolérera une première diffusion amateure, mais pas deux.

    Où en sont les musées en matière d’open data ?

    Peu de gens visitent spontanément le site d’un musée. En revanche, des recherches sur Google aboutissent très souvent sur Wikipédia. C’est pourquoi le contenu d’un musée, susceptible de renseigner le plus large public, doit être représenté sur Wikipédia avec un maximum de liens vers son site internet ! C’est la démarche qu’ont menée les musées anglo-saxons.

    En France, la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP), qui gère une grande partie de nos musées, verrouille pour le moment l’accès aux images en haute définition. Et il faut reconnaître que le fait que Le Louvre ne soit pas en open access pèse psychologiquement sur l’ensemble des musées de France.

    Nous n’enrichissons donc pas nos collections, nous ne permettons pas l’usage de nos images et ne contribuons donc pas à notre visibilité. Bien qu’elles se trouvent physiquement sur le territoire français, nos collections appartiennent au monde. Les verrouiller affaiblit le « soft power » français.

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    Et en matière d’intelligence artificielle ?

    Très peu de choses sont faites dans ce domaine en France. Pourtant, l’intelligence artificielle peut intervenir sur trois volets : pour l’enrichissement des collections (création de métadonnées et de textes pour des documents numérisés), pour l’analyse des données visiteurs (datavisualisation, e-réputation sur les réseaux sociaux, etc.) et pour ce qui concerne le « smart building » (conditions de conservation, sécurité, etc.).

    Les musées ont-ils fait des progrès en ce qui concerne leur accessibilité ?

    Cette démarche est très souvent proclamée en amont et rarement peu développée en aval, que ce soit dans les musées eux-mêmes ou sur leurs sites internet. Mais c’est plus flagrant en ligne puisqu’ils touchent plus de gens et doivent répondre à tous les besoins. Là encore, le problème vient du fait que les musées français ont quinze ans de retard. C’est une question politique, technique et financière et cela doit se penser dès la conception ou la reconfiguration d’un site.

    Et du côté de l’écoresponsabilité ?

    Les musées ont d’autres priorités dans l’immédiat, mais il s’agit d’un sujet important.

    En fait, c’est toute la chaîne du numérique qui doit être pensée ou repensée : accessibilité, écoresponsabilité, professionnalisation des équipes, diversité en ligne, etc. C’est à partir des missions stratégiques de l’institution, définies en amont, que la chaîne doit se construire en aval.

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    Comment faire quand on est un petit musée avec peu de moyens ?

    Il est possible de penser le numérique à chaque étape en fonction de sa taille, de la dimension de son équipe, de ses objectifs et de ses moyens. Si vous êtes un petit musée et que vous ne pouvez gérer correctement qu’un Instagram et un Twitter, n’en faites pas plus, mais faites-le parfaitement ! Référencez correctement votre site et postez régulièrement. Et si vous voyez votre communauté grossir, il sera alors temps de revenir vers votre tutelle avec des preuves. Mais pour cela, il faut mesurer les KPI et le ROI, ce que les musées français ne font pas.

    Vous semblez pessimiste pour les années qui viennent…

    Je remarque que le monde muséal anglo-saxon prend le temps de réfléchir à ces sujets et communique énormément. Ils testent de nouveaux outils et interviennent lors des grands-messes muséales pour partager leurs expériences et leurs erreurs en toute transparence. Ce n’est pas propre au secteur culturel français qui devrait se montrer plus solidaire.

    Craignant que le souffle de 2020 ne retombe, j’essaye d’attirer l’attention sur les avancées existantes et sur ce qui se passe ailleurs. Ce qui est passionnant dans ce domaine, c’est qu’il y a plein de dynamiques à créer. C’est très motivant !

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