archivez ce que je dis et pas ce que je fais

 

L’Association des archivistes français souhaite sensibiliser les hommes politiques à la notion d’archive. Tâche plus difficile qu’il n’y paraît, si l’on en croit l’ajournement répété d’une loi fixant les protocoles de versement.

 A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, l’attention se porte naturellement sur les promesses des différents candidats et sur le financement de leur programme. L’arrivée d’un nouvel occupant (ou d’un nouvelle…) à l’Elysée signifiera également le transfert de nombreuses archivesi produites par la présidence de la République lors des deux mandats de Jacques Chirac. Selon le statut de l’Elysée, c’est au service des archives et de l’informationi documentaire qu’échoit la fonction d’archivagei de la magistrature suprême : « Chargé de la conservationi des documents remis par le Président de la République et ses collaborateurs, le service verse les documents recueillis aux Archives nationalesi à la fin de chaque mandat. Ils deviennent consultables par le grand public soixante ans plus tard ».
 
la surprise pour le nouveau locataire

 Dans les faits, l’alternance politique donne lieu parfois à des inventaires surprenants. En 1974, après le décès de George Pompidou, l’intérim avait été assuré par le président du Sénat Alain Poher. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que tous les dossiers avaient disparu, jusqu’aux annuaires téléphoniques ! Selon Henri Zuber, président de l’Association des archivistes français (AAF), « 10 à 20 % de la production d’un homme politique disparaît de la circulation. Il existe une destruction inévitable de dossiers dans les ministères, aussi bien lors des alternances politiques qu’à l’occasion d’un simple remaniement ministériel. Il s’agit d’une destruction incompressible de dossiers qui échappent hélas au contrôle de l’archiviste ». Les hommes politiques pourraient cependant méditer le caractère exemplaire et salvateur des archives de Laurent Fabius. Elles permirent à l’ancien Premier ministre d’être innocenté dans l’affaire du sang contaminé. L’Association des archivistes français avait organisé au mois d’octobre 2006 un colloque consacré aux archives des hommes politiques. La manifestation avait attiré de nombreux archivistes et documentalistes, ainsi que des hommes politiques de premier plan : Hubert Védrine, Robert Badinter, Pierre Joxe et Philippe Séguin, entre autres. L’un des objectifs était de sensibiliser les hommes politiques à la notion d’archives, à l’importance de leur préservation et de leur transfert dans une institution de conservation, afin d’en garantir la sauvegarde sur le long terme.
 
face aux politiciens, c’est plutôt l’échec

 « Nous avons réuni beaucoup de monde ; pourtant, cela a été un relatif échec à l’égard des acteurs du monde politique, reconnaît Henri Zuber. Nous défendons ardemment une loi pour fixer les protocoles de versement d’archives dans des institutions publiques, mais sa présentation devant le Parlement est constamment repoussée. Une nouvelle loi est évoquée régulièrement depuis 1994 ! Même si le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, se montre très sensible aux enjeux archivistiques, d’autres projets de loi semblent prioritaires. Nous comptons lancer de nouvelles initiatives ; c’est aux archivistes de faire valoir leur point de vue et leur savoir-faire ».
 
archives privées ou publiques : à la lumière d’une future loi

 L’adoption d’une loi permettrait de codifier les pratiques archivistiques pour la présidence de la République et les ministères, puis pour les administrations régionales. Aujourd’hui, les versements obéissent à une distinction floue entre les archives publiques et les archives privées des hommes politiques. Les premières recouvrent les documents créés par un homme politique dans le cadre de ses activités officielles, versées aux Archives nationales ; les secondes concernent les documents émis par les hommes politiques à titre privé et sont versés à des fondations ou bien conservés à titre privé et sont versés à des fondations ou bien conservés à titre personnel. Cette distinction est pour le moins complexe et source de conflits. Henri Zuber préconise de mettre en place un plan de classementi dès la prise de fonction du président ou du ministre et d’instaurer une étroite collaboration entre le secrétariat particulier du ministre et l’archiviste, la plupart du temps, un fonctionnaire détaché des Archives nationales.
 
d’un palais à l’autre

Perrine Canavaggio, secrétaire générale adjointe du Conseil international des archives (Icahttp://www.ica.org">i), possède un bureau dans l’un des plus beaux endroits de Paris, le centre historique des Archives nationales. Elle fut auparavant, de 1974 à 1994, archiviste de la présidence de la République : « Je suis passée d’un palais à l’autre ! », s’amuse-t-elle. Lors de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, Philippe Sauzay, chef de cabinet du président de 1974 à 1978, souhaitait mettre en place une cellule sous la responsabilité d’un archiviste de formation. Le nom de Perrine Canavaggio lui fut proposé et la jeune archiviste fut mise à la disposition de l’Elysée : « Philippe Sauzay avait été membre du cabinet d’André Malraux au ministère de la Culture et, à ce titre, était parfaitement conscient de l’importance des archives. Grâce à lui, et pour la première fois, un archiviste allait pouvoir traiter les documents produits par la présidence de la République. Le président Giscard d’Estaing m’a reçue au mois de janvier 1975 et m’a apporté son soutien. Nous avons alors convenu de la procédure suivante : les archives seraient constituées au jour le jour. Le secrétariat particulier du président versait au fur et à mesure, par exemple, les manuscrits des discours et les dossiers préparatoires aux conférences de presse, et le secrétariat général de l’Elysée les notes adressées par les collaborateurs du président, soit une trentaine de notes par jour ».
 
les quatre mille cartons de VG

 En 1979, Valéry Giscard d’Estaing procéda à la signature d’un contrat de dépôt des archives présidentielles avec le ministre de la Culture. Ce contrat comprenait deux innovations : il ne s’appliquait pas aux seuls dossiers du président, mais aussi à ceux de ses collaborateurs ; il prévoyait le retour de ces archives dans le domaine public à l’expiration d’un délai de soixante ans. Aujourd’hui, ce sont près de quatre mille cartons contenant les archives présidentielles de M. Giscard d’Estaing qui sont entreposés aux Archives nationales. Le centre historique a pris le relais et l’inventaire définitif, rédigé par Pascal Geneste, va en être publié par Somogy Editions d’art entre les deux tours de l’élection présidentielle. L’élection de François Mitterrand en 1981 entraîna de nombreuses nominations dans la haute fonction publique, l’alternance qui s’ensuivit ne changea rien à la mission de Perrine Canavaggio : « Conformément aux dispositions du contrat, les archives de Valéry Giscard d’Estaing ont été transférées aux Archives nationales et les dossiers des services administratifs de l’Elysée ont été laissés à la présidence. François Mitterrand m’a reçue dès le 18 juin 1981 pour me confirmer dans ma mission et j’ai poursuivi mon métier d’archiviste avec le nouveau président et ses collaborateurs jusqu’au mois de janvier 1994 ». Une telle longévité à un poste aussi sensible et exposé que celui d’archiviste à la présidence de la République laisse de riches et nombreux souvenirs. Et aiguise bien des appétits… Plusieurs éditeurs, à la recherche d’informations inédites et confidentielles proposèrent à Perrine Canavaggio d’écrire ses mémoires. Refus catégorique : « Je suis archiviste, pas mémorialiste ».
 

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.