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Les métiers de l’édition juridique en mutation profonde

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    "La complexité des matières juridiques et la ramification des branches exigent des diplômes de plus en plus pointus". (Pixabay/PublicDomainPictures)
  • Partie de l’information professionnelle, l’édition juridique est touchée par le numérique et confrontée à la question du modèle économique. Éclairages sur ses métiers et leur évolution.

    Sommaire :

    Quelles sont les notions en présence ? De quels métiers parle-t-on ? Si certains vocables restent classiques, comme « éditeur » ou « rédacteur », que recoupent-ils exactement ? L’édition juridique est par essence professionnelle et en cela se distingue de l’édition grand public, elle entre dans le champ plus vaste de l’information professionnelle. À quoi cela correspond-il ? L’édition juridique est en pleine révolution technologique, en pleine mutation économique. Le numérique se substitue au papier, mais jusqu’à quel niveau ? L’abonnement à feuillets mobiles et mises à jour régulières est supplanté par les offres on line et la mise à jour « en temps réel ». Ce « temps réel », quel est-il ? Existe-t-il ? Réalité ou miroir aux alouettes ?

    1. les métiers

    Si le métier le plus classique est celui d’éditeur, bien sûr, il existe une autre grande famille : les rédacteurs.

    a. l’éditeur

    Pierre angulaire de la profession, l’éditeur « exerce un métier qui consiste à examiner des manuscrits littéraires, scientifiques, techniques ou musicaux. Le but est d’en imprimer et reproduire un certain nombre d’exemplaires et d’assurer ensuite la diffusion auprès des libraires et autres points de vente » (1). Cette définition générique s’applique aussi à l’édition juridique qui est une édition à la fois scientifique et technique, dont les clients ont la caractéristique principale d’être des juristes ou de s’intéresser au droit. Il peut également y avoir une spécificité éditoriale de vulgarisation du droit, pour des non-juristes, dont certaines marques sont spécialistes (1).

    En quoi consiste le métier ? « L’éditeur juridique est chargé de présenter l’information juridique aux lecteurs et de la transformer de manière à ce qu’elle devienne, pour eux, un outil efficace de travail. Traditionnellement, il publie des ouvrages. Mais son activité s’étend de plus en plus aux périodiques, lettres d’information, sites internet » (2). Les ouvrages sont traditionnellement des encyclopédies à feuillets mobiles avec des mises à jour à fréquences variables, le plus souvent trimestrielles ou semestrielles, ou à refonte annuelle. Ce sont aussi des ouvrages dits « de mains » ou brochés (ex. : codes, collections diverses de monographies).

    décliner les contenus

    Avec les évolutions technologiques, la numérisation des données dans les années quatre-vingt-dix, leur standardisation et l’évolution des processus de production, l’éditeur travaille de plus en plus sur des « contenus » plutôt que sur des ouvrages. Les contenus sont à la base des produits, il s’agit de ce qu’il convient d’appeler la « single source » (source d’origine). Elle permet de décliner des contenus sur différents supports : papier, bases de données, sites internet, applications pour tablettes ou smartphones. La « single source » a pour conséquence de modifier profondément le métier de l’édition.

    Quelles sont les qualités requises de l’éditeur ? Diplomate, l’éditeur « gère » avant tout des hommes, les auteurs ; organisé (il peut gérer plusieurs produits ou collections en même temps) et rigoureux (il existe de nombreuses contraintes à respecter : budget des droits d’auteur, de pages et plannings de production). Mais l’éditeur doit aussi être autonome, avoir une bonne aisance rédactionnelle et orthographique. Enfin, la connaissance d’une matière juridique est essentielle, pour en sentir les évolutions, anticiper les sujets porteurs et « recruter » les meilleures plumes. L’éditeur doit avoir une vision et révéler les talents.

    Comment devient-on éditeur ? Il n’y a pas vraiment une école pour devenir éditeur juridique, mais plutôt la nécessité d’avoir une formation juridique. Il peut s’agir de reconversions d’anciens avocats (c’est un cas relativement fréquent et qui s’opère dans les deux sens) ou de notaires, de praticiens du droit dans tel ou tel domaine. Grâce à leurs connaissances, ils conservent également un réseau de praticiens dans leur spécialité. Ce sont aussi de jeunes étudiants (majoritairement en droit, issus de l’université ou d’instituts d’études politiques) qui découvrent l’édition par le biais de stages et rejoignent ensuite la profession. Le dénominateur commun est donc d’avoir une formation juridique. Publiciste pour traiter du droit administratif, civiliste pour le droit civil, mais la complexité des matières juridiques et la ramification des branches exigent des diplômes de plus en plus pointus : master 2 et doctorat sont aujourd’hui le prérequis.

    À l’origine, l’éditeur n’intervient pas ou intervient peu sur le fond, mais sur la forme. Aujourd’hui avec les évolutions du métier l’éditeur devient davantage rédacteur.

    b. le rédacteur

    La différence principale avec l’éditeur réside dans la connaissance en profondeur de la matière juridique, alliée à une aptitude, une appétence rédactionnelle forte. Schématiquement, l’éditeur qui devient auteur dans sa matière est un rédacteur . Ainsi un rédacteur soit rédige directement des contenus, soit enrichit le contenu des auteurs, voire les deux. Sous ce vocable, on retrouve le rédacteur en chef, le rédacteur en chef adjoint et le rédacteur, cela recouvre essentiellement une composante hiérarchique. En effet, en fonction du support, l’équipe est plus ou moins étoffée, et le rédacteur en chef à vocation à donner l’impulsion sur le titre, valider les sujets et les articles et manager l’équipe. C’est aussi le garant de la « ligne éditoriale », c’est-à-dire l’orientation rédactionnelle qui est souhaitée. Soit une ligne politique engagée (c’est le cas de quotidiens tels Le Figaro ou Libération), ou une ligne scientifique et neutre, comme le sont en général les revues juridiques. Toutefois, des espaces d’expression peuvent subsister au travers de rubriques telles que les éditoriaux ou des tribunes). Le rédacteur en chef adjoint seconde le rédacteur en chef et les rédacteurs sont des ultras spécialistes par rubriques ou domaines du droit.

    outils et techniques

    Outre la connaissance juridique très pointue sur le fond, éditeurs et rédacteurs doivent connaître et maîtriser de nombreux outils et techniques liés à la bureautique, à l’informatique et aux nouvelles technologies afin de réaliser leur travail. Il s’agit des traitements de texte, feuilles de style et correcteurs orthographiques, outils de gestion de contenus, logiciel de rédaction et d’édition professionnelle permettant la mise en place d’une rédaction collaborative (ex. : logiciel In Copy), de notions de formats (ex. : SGML, XML, HTML) et de structurations de données, etc. Mais également d’outils de veille (ex. : réseaux sociaux, flux RSS) et de recherche (ex. : utilisation de bases de données documentaires).

    Du tout papier il y a encore quelques décennies, la profession a subi une révolution complète résultant de l’évolution technologique et qui a pour conséquence une mutation profonde du métier.

    2. L’évolution des métiers

    À la révolution numérique a succédé la révolution d’internet, créant de véritables innovations de ruptures. Leurs conséquences sont aussi bien à voir du côté des process et des techniques du métier de la presse et de l’édition que sous l’angle économique. Alors que le modèle économique basé sur le principe de l’abonnement à des ouvrages (papier) à feuillets mobiles et à mises à jour périodiques, inventé par les Éditions techniques (4), est terminé, le nouveau modèle tarde à apparaître.

    a. un contexte en pleine évolution

    Il y a en effet la nécessité de proposer une offre duale. Si le « client est roi » et doit conditionner notre offre d’édition, les générations « Y » et « digital native » n’ont en revanche pas encore le pouvoir de décision, il existe alors un décalage. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les réticences de certains clients à modifier leurs habitudes de consultation à l’information juridique en passant du papier aux bases de données documentaires, voire à la lecture sur tablettes. Cette réticence conduit à maintenir les supports papier alors même qu’à l’opposé - ou à l’extrême - d’autres clients ne peuvent concevoir l’idée même de conserver une bibliothèque papier ou de consulter un ouvrage broché : seule une lecture sur support numérique est tolérée. Toute la chaîne de production de contenus éditoriaux doit alors intégrer cette donnée afin d’être en capacité de délivrer une information à la fois sur papier et sur les nombreux supports et formats numériques. Cela entraîne alors des changements profonds du métier. Si nous avons pu croire un temps que le support numérique avait vocation à remplacer le papier, force est de constater que seule la complémentarité des supports est aujourd’hui envisagée.

    À cela s’ajoute le mirage de la « gratuité » d’internet via la démultiplication des offres d’information sur le web. Il existe aujourd’hui une offre de qualité, mais ne portant que sur des données juridiques brutes. Il s’agit du résultat de l’évolution de choix politiques majeurs, avec la mise en place de la concession des bases de données juridiques accessibles aux citoyens Légifrance (Juridial et Juridialogue, devenus Jurifrance, puis Légifrance) (5). Les autres offres sont éparses, partiales, incomplètes, le plus souvent non contrôlées, bref de piètre qualité scientifique. Leur objectif premier est avant tout marketing pour les auteurs qui en sont à l’origine. Mais une prise de conscience semble s’opérer, tout au moins au niveau des professionnels (du droit), qui ont intégré qu’une information de qualité avait un coût.

    C’est donc cette confrontation de l’évolution technologique et des souhaits des clients qui détermine d’ores et déjà les métiers de l’édition d’aujourd’hui et de demain.

    b. des métiers en mutation

    Difficile de s’y retrouver dans un contexte mouvant et drainant des demandes contradictoires. La réactivité de l’information est-elle compatible avec le contrôle et la véracité de l’information ? L’instantanéité des commentaires est-elle compatible avec la profondeur de l’analyse ? Pourtant le client « est roi » et il veut tout cela. Il a raison, l’éditeur et le rédacteur doivent s’adapter. La notion de rapport au temps de l’information, la « temporalité », peut permettre de relever ce défi. À chaque demande d’information, doivent correspondre un temps de la rédaction, un type de message, une écriture, une ligne éditoriale en phase avec les différents supports. Les technologies nous y poussent, l’évolution des mentalités nous y oblige, l’apparition des réseaux sociaux (6) marque ce tournant.

    faire le "buzz"

    L’éditeur, le rédacteur, ne peuvent faire l’impasse de ces nouveaux médias, ils doivent être présents, actifs et visibles. Leur savoir-faire d’expert doit être reconnu, l’information dispensée doit faire le « buzz ». En temps réel, les nouveaux outils, tel Twitter (7), permettent la diffusion d’une (certaine) information, mais, ne nous y trompons pas, en 140 caractères ! Le temps de la description, des explications et de l’analyse viennent ensuite, avec une temporalité différente et en fonction des supports.

    Les éditeurs et les rédacteurs doivent également être associés au « community management », au sein de leur communauté. La technicité, l’appétence et la compréhension des nouvelles technologies de l’information deviennent incontournables pour les métiers de l’édition.

    Mais il ne faudra jamais perdre de vue que le métier d’éditeur, c’est d’abord, toujours et avant tout l’exigence de la recherche des meilleurs auteurs et rédacteurs du domaine. Ceci dans un souci constant de diffuser une information de qualité irréprochable, tant sur le fond que sur la forme, en totale adéquation avec les souhaits des lecteurs.

    Grégoire Mainçon-Vitrac
    [Directeur d’un département éditorial, rédacteur en chef d’un mensuel
    Membre du conseil d’administration de l’Adij]

    (1) La marque Dalian (du groupe Wolters-Kluwer France) est par exemple spécialisée en droit des collectivités territoriales pour les non-juristes.

    (2) Définition extraite du Catalogue Étudiants Lamy.

    (3) Exemple de fiche de poste type pour un rédacteur issu d’une annonce pour Wolters Kluwer France :

    Suivre et analyser l’actualité juridique dans votre domaine d’expertise ;
    Rédiger des brèves, analyses et commentaires juridiques dans des supports d’actualité ;
    Piloter une équipe d’auteurs externes ;
    Veiller à la cohérence du fond et de la forme des ouvrages (écriture, relecture, réécriture) ;
    Suivre le processus éditorial en lien avec les intervenants internes (fabrication, informatique éditoriale, marketing) ;
    Assurer le secrétariat de rédaction : commandes d’articles, relecture, réécriture, structuration des manuscrits, gestion des BAT (bons à tirer), relecture des études mises à jour, paiement.

    (4) Les Éditions techniques sont en fait mieux connues sous la marque du JurisClasseur, dont François Terré a rédigé un avant-propos « Traversée d’un siècle de droit » dans l’ouvrage intitulé Centenaire du JurisClasseur, La Semaine Juridique – Édition générale, hors série, décembre 2007.

    (5) Le décret du 31 mai 1996 relatif au service public des BDJ - 22 mois plus tard – G. Mainçon-Vitrac, DIT 1998/1

    (6) Twitter, Instagram, Scribd, Slideshare, Linkedin, Viadeo, Facebook, Google+, YouTube, Scoop.it, etc. sont quelques exemples d’applications liées aux réseaux sociaux.

    (7) Voici quelques exemples de comptes Twitter :

    twitter.com/Droitpatrimoine
    twitter.com/gmainconvitrac
    twitter.com/adreagui

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