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La loi Création, architecture et patrimoine : de nouvelles obligations pour la cession de droits d’auteur

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    Là où d’apparentes complexités paraissent inévitables, mais salutaires [outils] archimag n° 298 octobre 2016 43 pour l’auteur, le nouvel article L.131-2 dans son ensemble risque bien de tourner au cauchemar inextricable… (jsawkins via Visual Hunt / CC BY)
  • La loi Création, architecture et patrimoine est enfin parue le 7 juillet dernier. Elle comporte notamment de nombreuses dispositions pratiques destinées à protéger la création artistique sur internet. Mais un point de cette loi pourrait passer inaperçu, d'autant plus qu'il a peu été médiatisé, étant issu d'un amendement introduit par le député Patrick Bloche le 14 septembre 2015, lors du premier examen du projet de loi à l'Assemblée nationale. La disposition n'ayant pas été écartée par le Sénat, elle fut entérinée dans la loi.

    1. Rappel du régime ancien : un formalisme quasi obligatoire

    S'agissant de la cession de droits d'exploitation sur l'œuvre d'un auteur, la loi du 11 mars 1957, passée dans le Code de la propriété intellectuelle, exige que certaines mentions précises, notamment quant au fameux « périmètre d'exploitation » que nous avons souvent évoqué, soient présentes dans l'acte de cession, à défaut de quoi cet acte est nul (article L.131-3 al.1er CPI). Même si l'exigence d'un acte écrit n'était pas absolue, sauf pour certains contrats, il paraissait difficile de satisfaire aux conditions de validité de l'acte sans recourir à un écrit.

    Cet article excluait donc formellement tout accord passé par échange verbal, du fait de la difficulté par la suite d'établir la preuve du contenu de l'accord et notamment des droits d'exploitation cédés et du périmètre d'exploitation concédé par l'auteur. Certes l'article L.131-2 al.2 précisait que les règles de la preuve légale du Code civil prévalaient dans tous les cas de figure. L'article L.131-2 al.1er quant à lui avait déjà introduit l'exigence d'un écrit pour les contrats « de représentation, d'édition et de production audiovisuelle ».  

    2. Une obligation de formalisme accrue

    L'amendement du député précité, devenu l'article 7 de la loi nº 2016-925 du 7 juillet 2016, a donc ajouté un nouvel alinéa 2 à l'article L.131-2 ainsi rédigé : « Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit. »

    En d'autres termes, quelle que soit la cession de droits d'exploitation, il faut un accord écrit de l'auteur, qui en outre satisfasse toujours aux conditions de validité posées par l'article L.131-3 al.1er. et donc toute cession de droit d'auteur doit faire l'objet d'un contrat « écrit ».

    modification de relations de travail

    Au passage, notons que cette exigence, pour salutaire qu'elle soit pour la protection des auteurs, va considérablement modifier les relations de travail dans certains domaines. Par exemple, lorsqu'un journaliste réalisera un enregistrement d'entretien, il aura l'obligation de faire signer un accord à l'interviewé puisque tout ce qui sort de la bouche de quelqu'un, même improvisé, est protégé par le droit d'auteur. Et cet écrit devra être formulé selon les conditions de validité de l'article L.131-3 précité…

    Là encore, les choses paraissent peut-être complexes, mais après tout, il suffira de s'organiser pour avoir sous le coude des modèles d'actes prêts à faire signer.

    Même obligation, renforcée cette fois-ci – car elle aurait déjà dû être mise en place depuis longtemps, pour garder trace des conditions d'exploitation cédées – entre une revue et ses auteurs occasionnels, fussent-ils bénévoles. Avant la loi du 7 juillet dernier, il fallait absolument un accord écrit valide. Et comme « la cession globale des œuvres futures est nulle » (article L.131-1), il est impossible, par exemple, de faire signer un écrit à l'avance et une fois pour toutes ; il faudra un écrit pour chaque article !

    3. Questions d'interprétation du nouveau texte

    Là où d'apparentes complexités paraissent inévitables, mais salutaires pour l'auteur, le nouvel article L.131-2 dans son ensemble risque bien de tourner au cauchemar inextricable…

    En effet, l'alinéa 1er du texte pose l'exigence d'un acte écrit pour les contrats « de représentation, d'édition et de production audiovisuelle ». L'alinéa 2 pose à présent le même principe, mais le généralise pour toute cession de droits d'auteur. Au passage, on constate que la généralisation de l'alinéa 2 rend l'alinéa 1er inutile. Mais le législateur moderne n'en est plus à une contradiction près…

    Si cette « faute de plume », comme il est convenu de nommer ce genre de bourde législative, est sans conséquence juridique pratique, l'ex alinéa 2, devenu alinéa 3, plonge le logicien que doit être un juriste dans les affres de l'incompréhension : L.131-2 al.3 : « Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du Code civil sont applicables » (voir l'ensemble de l'article reproduit ci-contre : Droit applicable).

    bourde législative

    Accrochons-nous… L'alinéa précédent vient de viser TOUS les cas de figure de cessions de droit d'auteur. Et la règle de cet alinéa s'appliquerait « dans tous les autres cas ». En d'autres termes, si on est logique, jamais !

    Voilà ce qui arrive lorsqu'on veut introduire une nouvelle règle sans tenir compte des autres dispositions environnantes. Cet alinéa, lorsqu'il était placé immédiatement derrière l'alinéa 1er, plus restrictif se justifiait. Il y avait les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle, nécessitant un écrit. Et puis il y avait une autre règle « dans tous les autres cas ».

    On pourrait se contenter de rire de telles bourdes législatives, mais celle-ci porte des conséquences incompréhensibles.

    moyen de preuve

    Jusque-là, pour la représentation, l'édition et la production audiovisuelle, il fallait un contrat écrit passé sous la forme d'originaux signés en autant d'exemplaires qu'il y a de parties qui s'engagent : pour un ouvrage, l'auteur ou les auteurs, et l'éditeur. Et « dans tous les autres cas », on pouvait alléger le formalisme puisque les articles du Code civil cités prévoient que l'acte doit être en original signé pour une rémunération égale ou supérieure à 1 500 euros. En dessous de ce seuil, le Code civil admet un moyen de preuve plus léger, par exemple, un document numérique envoyé en pièce jointe, signé puis scanné ou faxé en retour, ce qui facilite considérablement la rapidité des échanges. Mais puisque ces règles sont exclues de l'alinéa 2, on ne pourra plus les appliquer.

    Revenons à l'hypothèse d’un entretien radiophonique par téléphone (fréquent) : puisque la loi semble exiger un acte écrit original, l'entretien ne pourra être diffusé qu'après que la chaîne de radio aura reçu par courrier postal l'accord écrit… À l'heure du numérique, on marche sur la tête !
    On pourra objecter qu'il existe depuis plus de dix ans la signature électronique. Mais ces dispositifs sont encore des procédés complexes, faisant intervenir un tiers certificateur qui fait payer ses services. Il n'est pas certain que tout auteur ou toute personne interviewée soit en possession d'un tel dispositif de signature.

    4. Au secours Kafka !

    L'écrivain tchèque qui a donné naissance à l'adjectif kafkaïen n'est hélas plus de ce monde. Il aurait pu prodiguer quelques judicieux conseils au législateur français pour compliquer les choses encore plus qu'elles ne le sont. Quoi qu'il en soit, il va falloir sortir de cette ambiguïté.

    Première solution : ne pas tenir compte de la loi et appliquer le régime allégé de la preuve légale. C'est ce qui semble devoir être fait dans un premier temps, mais il est tout de même savoureux pour un juriste de conseiller de ne pas appliquer la loi ! Et c'est au passage de telles bourdes qui font que le grand public se désintéresse du droit, finit par le trouver inutile et n'en tient plus compte.

    Deuxième solution : passer par une question écrite d'un député ou sénateur qui fera respectueusement remarquer à la ministre chargée de la Culture l'absurdité de l'actuel article L.131-2 dans son ensemble, et la prier non moins respectueusement de bien vouloir donner quelques ordres aux services compétents pour corriger cette erreur à l'occasion d'un prochain projet de loi.

    Que le lecteur se rassure, ce n'est pas la première fois que nous constatons des bourdes législatives, des contradictions de textes et autres « fautes de plume » particulièrement édifiantes. Mais cela se produit de plus en plus souvent.
     

    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com


    + repères

    À retenir

    La loi du 7 juillet 2016 a introduit dans le Code de la propriété intellectuelle l'obligation de passer des actes de cession de droits d'auteur par écrit. Compte tenu de la rédaction ambiguë du texte, il reste un doute sur l'obligation de formalisme de ces actes.  

    Droit applicable

    Nous ne savons pas si, pour le coup, l'adjectif « applicable » est pertinent… Article L.131-2 nouveau :

    « Les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution. Les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit. Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du Code civil sont applicables. »

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