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Lanceurs d'alerte : que dit le droit ?

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    Le terme de whistleblower (lanceur d'alerte) est apparu en 1996 dans des travaux universitaires (Pixabay)
  • Beaucoup d'ambiguïtés et de confusions ont circulé sur la notion de lanceur d'alerte, au point que le moindre consommateur victime de ce qu'il estime être une « arnaque » de la part d'un commerçant se croit investi d'une mission de lanceur d'alerte pour désigner publiquement ledit commerçant à la vindicte populaire sur un site d'avis en ligne. C'est là le point le plus extrême de la confusion.

    1/ N'est pas lanceur d'alerte qui veut

    Dans nos missions de nettoyage de contenus négatifs préjudiciables aux entreprises sur internet, nous rencontrons fréquemment de pseudo-lanceurs d'alerte, qui sont en fait des consommateurs ou d'anciens salariés qui, pour toutes sortes de raisons, se « lâchent » contre une entreprise ou un dirigeant, usant des qualificatifs les plus gratuits et les plus désobligeants tels qu’« arnaque », « escrocs », « voleurs » et autres noms d'oiseaux.

    Outre le fait que de tels propos peuvent tomber sous le coup du délit d'injure publique et le cas échéant de celui de diffamation si les faits allégués sont faux, la publication directe sur internet de telles « alertes », même si elles sont fondées en fait, ne constitue pas un « lancement d'alerte » justifié, mais tout simplement un... 

    ...dénigrement public.

    Pour éviter cette foire d'empoigne numérique, le législateur français est intervenu à propos des lanceurs d'alerte. La loi dite Sapin 2, promulguée le 9 décembre 2016, a donné un statut juridique à ces personnages : il s'agit du chapitre 2 du Titre 1er de la loi (articles 6 à 16), intitulé « De la protection des lanceurs d'alerte ».

    2/ Les caractéristiques juridiques du lanceur d'alerte

    Le dispositif législatif présente déjà le grand mérite de donner un contour légal au lanceur d'alerte.

    L'article 6 pose la définition suivante : « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

    un signalement désintéressé et de bonne foi

    Même si elle est un peu longue, cette définition circonscrit bien le profil d'un possible lanceur d'alerte. Un des points saillants est le caractère nécessairement désintéressé et la bonne foi de l'alerte. Ainsi ne pourrait pas être protégé par ce régime juridique le commerçant qui alerterait sur les malversations, même réelles, d'un concurrent.

    les faits qu'il est possible de dénoncer

    Les faits objet de l'alerte sont assez larges puisqu'il est question d'alerter sur « un crime ou un délit », ce qui couvre la majorité de l'arsenal du droit pénal français, les contraventions, les moins graves des infractions, étant donc exclues de l'énumération. Mais il est aussi possible d'alerter plus largement sur « une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général ».

    3/ Le statut du lanceur d'alerte

    impunité pénale

    L'article 7 de la loi introduit un nouvel article 122-9 dans le Code pénal qui pose la non-responsabilité de « la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause » dans la mesure où elle respecte le cadre légal du lanceur d'alerte.

    Cette mesure est importante puisque, face à l'importance d'un danger qu'il faut absolument signaler, la responsabilité civile et pénale du lanceur d'alerte qui aurait ainsi enfreint un secret professionnel pourrait être écartée.

    Mais la loi pose bien la règle de la proportionnalité entre l'importance de signaler le crime ou le délit et l'infraction aux règles de secret. L'article 15 aménage le même mécanisme pour les militaires, dans le Code de la défense.

    une nécessaire gradation dans le processus d'alerte

    L'aspect le plus significatif du statut juridique du lanceur d'alerte est précisément cette progressivité dans le lancement de l'alerte. L'article 8-I aménage une procédure en trois phases :

    • L'alerte est portée à la connaissance du supérieur hiérarchique, au sein de l'entreprise, donc ;
    • En l'absence de réaction, cette alerte peut être adressée « à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels » ; il est donc possible à ce stade de saisir la justice ou l'administration, mais aussi les ordres professionnels, habilités à prononcer des sanctions ;
    • À défaut de réaction aux deux précédents niveaux, « dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public ».

    On le voit, il n'est pas question de prendre immédiatement l'univers à témoin. Il faut avoir progressivement gravi les échelons des responsabilités en présence et leur avoir ainsi donné la possibilité d'intervenir pour faire cesser ou sanctionner le fait signalé. C'est seulement après avoir épuisé les voies d'alerte directes et si personne ne bouge dans un délai de 3 mois que le grand public peut être alerté.

    en cas d'urgence…

    L'article 8-II prévoit qu'en cas de « danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles », l'alerte peut être directement portée à la connaissance des autorités (deuxième niveau d'action) et rendue publique sans délai.

    Enfin, l'article 8-IV prévoit aussi que l'alerte peut être transmise au Défenseur des droits qui pourra orienter le lanceur vers les autorités compétentes.

    la confidentialité du lanceur pénalement protégée

    L'article 9 prévoit que les procédures de recueil des alertes doivent garantir la confidentialité des lanceurs. Seule l'autorité judiciaire peut avoir connaissance de leur identité, et uniquement avec leur accord. Une sanction pénale de 2 ans de prison et 300 000 euros d'amende punit la violation de l'identité du lanceur d'alerte. Cette disposition est à rapprocher du droit pour les journalistes de ne pas révéler leurs sources.

    la protection du lanceur contre les sanctions disciplinaires

    L'article 10 interdit les sanctions disciplinaires contre un salarié ou un agent public du fait de l'alerte qu'il aurait lancée.

    mais une responsabilité pour dénonciation calomnieuse pour les fonctionnaires

    A contrario, le même article prévoit la sanction pénale pour dénonciation calomnieuse (article 226-10 du Code pénal : 1 an de prison et 45 000 euros d'amende) pour le fonctionnaire qui aurait lancé une alerte au mépris des conditions prévues dans la définition, c'est-à-dire en cas de conflit d'intérêt, d'intention de nuire ou de « connaissance au moins partielle de l'inexactitude des faits ».

    l'obligation de réintégration pour l'agent public ou le salarié

    L'article 11 prévoit un mécanisme de réintégration de l'agent public qui aurait été exclu du fait d'un lancement d'alerte justifié. L'article 12 renvoie aux mêmes dispositions du Code du travail pour les salariés du privé.

    le délit d'entrave au lancement d'alerte

    Enfin, un délit d'entrave au lancement d'une alerte est prévu par l'article 13 : 1 an de prison et 15 000 euros d'amende, montant qui peut être doublé en cas de poursuite abusive pour diffamation contre un lanceur d'alerte. Cette sanction devrait être de nature à dissuader une entreprise d'étouffer le lancement d'une alerte à coup de harcèlement, voire de sanctions disciplinaires contre un employé, voire son licenciement.

    4/ Quid d'un lancement d'alerte malveillant ?

    On l'a vu, la loi prévoit expressément la mise en œuvre du délit de dénonciation calomnieuse pour le fonctionnaire qui aurait sciemment lancé une alerte au mépris des règles légales. Mais de manière générale, et sans que la loi ait à le préciser, des mécanismes juridiques sont prévus pour sanctionner un acte malveillant quel qu'il soit, y compris un lancement d'alerte dans le but de nuire.

    Il y a bien sûr le délit de dénonciation calomnieuse dans les limites et conditions de ce délit, mais il y a plus largement la responsabilité civile extracontractuelle prévue à l'article 1240 du Code civil (ancien article 1382) : tout fait commis par une personne qui cause un préjudice à autrui oblige son auteur à le réparer, au moins par voie de dommages-intérêts.


    repères

    à retenir

    Lorsqu'elle vient à connaître une situation ou un fait constitutif de crime, de délit ou d'une situation grave et dangereuse, la personne qui va alerter de ce fait est protégée par la loi à condition qu'elle respecte la procédure qui consiste à alerter d'abord la hiérarchie interne, ensuite les autorités judiciaires, administratives ou professionnelles, et seulement si personne ne bouge sous trois mois, à alerter le grand public. Le lanceur d'alerte bénéficie de l'anonymat et d'une immunité pénale et disciplinaire.

    le droit applicable

    Articles 6 à 16 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique 

    Articles 122-9 et 226-10 du Code pénal 

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