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Editeurs de sites internet et de réseaux sociaux : quelle est leur responsabilité éditoriale ?

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    La production d’un site web engage la responsabilité de son éditeur, le dirigeant de l’entité éditrice en est le directeur de la publication et répond des délits d’information commis sur l’ensemble du site. (Freepik/Rawpixel)
  • Délit d'information, commentaires, droit de réponse, etc. Tout comme un média papier ou audiovisuel doit répondre de ce qu’il publie, l’éditeur d’un site internet ou d'un réseau social doit assumer sa responsabilité éditoriale.

    1. Jalons historiques

    La responsabilité éditoriale sur internet s’est peu à peu détachée, en France, du régime concernant les « services de communication audiovisuelle ». Les lois de 1982 et 1986 consacrées à ce sujet incluaient sous ce terme la radio et la télévision, mais aussi la communication interactive, c’est-à-dire, à l’époque, le service d’accès Télétel, plus connu du grand public sous la forme du Minitel. Et tout naturellement, lorsqu’internet s’est implanté en France dans les années 1994-96, les sites web se sont trouvés rangés dans la même catégorie. La jurisprudence et la loi vont se chercher durant une longue décennie. Le régime enfin autonome pour les « services de communication au public en ligne » date du 21 juin 2004, inséré dans la loi « sur la confiance dans l’économie numérique » (LCEN), essentiellement dans ses articles 6 à 7. Ce régime est une combinaison de la loi du 29 juillet 1881 « sur la liberté de la presse », dont elle conserve les grandes lignes quant à la responsabilité éditoriale et la directive dite « Commerce électronique » du 8 juin 2000 qui a introduit des exigences de transparence des éditeurs de sites, notamment de commerce en ligne, à l’égard des internautes (article 5), ce que nous nommerons le « cyber-ours ».

    Des règles dérivées du droit de la presse

    L’arsenal de la responsabilité éditoriale sur internet est réparti dans notre droit entre les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 pour ce qui est du directeur de la publication et l’article 6 de la LCEN précitée pour les responsabilités. Le tout inspiré par la loi du 29 juillet 1881 « sur la liberté de la presse ».

    2. Le directeur de la publication

    Un responsable pénal désigné par la loi

    Il serait abusif d’affirmer qu’un site internet doit désigner un directeur de la publication puisque c’est la loi qui le désigne (article 93-2 al. 6 à 7) :

    • dans le cas d’un site personnel (y compris un blog), le directeur de la publication est la personne elle-même ;
    • dans le cas d’une personne morale (société, association, collectivité locale…), c’est le dirigeant de cette personne morale qui est désigné par la loi pour exercer ces fonctions.

    Si le directeur de la publication jouit de l’immunité parlementaire, il faut désigner un codirecteur, choisi parmi les dirigeants dans le cas d’une personne morale.

    Une responsabilité pénale limitée aux délits d’information

    Le directeur de la publication est responsable des délits d’information prévus par la loi du 29 juillet 1881 (diffamation, injure, etc.) qui seraient commis sur le site, quand bien même il n’aurait pas pris part à la rédaction ou n’aurait pas lu le contenu (article 93-3). C’est là le seul cas d’exception au principe de droit pénal selon lequel c’est l’auteur personnel des faits qui en répond : le directeur est le responsable pénal de premier rang pour la publication afin d’éviter toute dilution de responsabilité. Cependant, l’auteur des contenus litigieux peut éventuellement être poursuivi comme complice, belle inversion dans la logique des responsabilités.

    Une responsabilité limitée pour les commentaires publiés sur un site

    Une disposition de 2009 atténue la responsabilité éditoriale du directeur de la publication pour le « contenu d’un message adressé par un internaute à (…) un espace de contributions personnelles identifié comme tel ». Dans ce cas, le directeur « ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée (…) s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message » (article 93-3 al. 4).
    En d’autres termes, le directeur de la publication n’est responsable des commentaires et avis litigieux que lorsqu’on l’a informé de l’existence de ceux-ci et qu’il ne les a pas neutralisés. On retrouve ici l’exact régime de responsabilité limitée des hébergeurs de sites, prévu à l’article 6-I 2° et 5° de la LCEN.

    Quid de la responsabilité sur les réseaux sociaux ?

    Au premier abord, on pourrait assimiler un réseau social - type Facebook - à un site qui accueille des avis et commentaires de tiers, donc à un hébergeur. En réalité, c’est plus complexe : on a affaire à trois niveaux de responsabilité :

    • le fournisseur de moyens techniques : la plateforme de réseau (Facebook ou autre) qu’on pourrait assimiler à un hébergeur ;
    • le propriétaire du compte de la page et qui publie dessus, assimilable à un éditeur de contenu, hébergé sur la plateforme de réseau ;
    • les auteurs des commentaires publiés sur le compte ou la page d’un tiers, assimilables à des auteurs de commentaires au sens de la loi.

    La jurisprudence ne s’est pas encore totalement fixée sur ces frontières. On dispose cependant d’un arrêt remarquable de la Cour européenne des Droits de l’homme en date du 16 juin 2015 et dont il est possible d’adapter les jalons qu’elle a posés aux réseaux sociaux. Il s’agissait d’un site d’information en ligne estonien qui accueillait les commentaires de ses lecteurs. L’apport de ces commentaires faisait partie, selon la Cour, du modèle économique du site. Par ailleurs, les juges relevaient que les internautes n’avaient pas la possibilité de modifier leurs contributions et d’autre part que le site n’avait pas mis en place de procédure pour identifier les auteurs des commentaires. La Cour en a donc déduit que le site était plus qu’un hébergeur de ceux-ci, mais plutôt un éditeur qui endossait ces commentaires, et donc pleinement responsable en cas de dérapage. 

    Il est donc possible de faire jouer les critères précités pour trancher au cas par cas le point de savoir si le titulaire du compte ou de la page est un « hébergeur » ou un « éditeur » au sens de la loi. S’il est considéré comme hébergeur, sa responsabilité n’est engagée qu’à partir du moment où il a connaissance du caractère illicite des commentaires qui ont été publiés. Ce sera le cas s’il se contente de laisser passer des commentaires et n’a aucun contrôle sur ceux-ci. Si à l’inverse il invite à déposer des commentaires, y répond et peut également les modifier ou les supprimer, il sera considéré comme éditeur plein et entier de ces contenus ; il doit alors en assumer la responsabilité éditoriale.

    3. L’obligation de s’identifier en ligne : le cyber-ours

    Tout comme il doit exister un « ours » dans les publications de presse (encadré dans lequel sont identifiés les propriétaires, éditeurs, rédacteurs et le directeur de la publication), il y a lieu de tenir à disposition du public d’un site professionnel une page identifiant (article 6 — III, 1. LCEN) :

    • les coordonnées complètes de l’éditeur du site : nom ou dénomination sociale, adresse, téléphone, le cas échéant, numéro de registre du commerce ou des métiers et capital social ;
    • l’identité du directeur de la publication ;
    • les coordonnées complètes de l’hébergeur du site (nom, adresse, téléphone).

    Si l’une de ces données manque, la loi punit cette carence d’un an de prison et 75 000 euros d’amende (article 6 — VI).

    4. Le droit de réponse en ligne

    Ce dernier point est important à connaître. Dans l’imaginaire commun, le droit de réponse existe lorsqu’une personne est égratignée dans une publication. Elle dispose alors du droit de répondre aux propos qui l’ont mise en cause. Cette idée est largement fausse. Hormis pour les médias audiovisuels où le droit de réponse n’est ouvert que dans la mesure « où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées » (ce qui est l’exacte définition de la diffamation et de l’injure – article 6 loi du 29 juillet 1982), pour la presse papier et depuis 2004 pour internet, le droit de réponse naît pour « toute personne nommée ou désignée » (article 6-IV LCEN). En d’autres termes, il suffit de nommer une personne physique ou morale, même en bien, pour qu’elle dispose d’un droit de réponse.

    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com


    A retenir

    • La production d’un site web engage la responsabilité de son éditeur, le dirigeant de l’entité éditrice en est le directeur de la publication et répond des délits d’information commis sur l’ensemble du site.
    • Cette responsabilité ne joue pas pour les commentaires qui seraient publiés sur le site, tant qu’il n’a pas connaissance de ceux-ci ou n’a pas rapidement neutralisé ceux qui sont litigieux.
    • Le cyber-ours permet à tout internaute d’identifier les responsabilités en présence sur un site et son hébergeur.
    • Enfin, le droit de réponse naît toutes les fois où une personne physique ou morale est nommée ou désignée sur un site ou un réseau social.

    Références :

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