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François Jost : “On assiste aujourd’hui à une haine envers les médias”

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    "Ce n’est pas le monde qui arrive chez nous, mais une image du monde. Et il n’y a pas d’autre façon de s’informer", explique François Jost au sujet des médias. Il a publié l'ouvrage "Médias : sortir de la haine ?" en 2020. (Crédit : Opale)
  • François Jost est sémiologue et professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne-Nouvelle (Paris 3). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’image et les médias, dont le dernier en date, « Médias : sortir de la haine ? », est paru en septembre 2020 (CNRS Éditions). Pour Archimag, il revient sur le malaise de la société vis à vis des médias, sur ses origines et les acteurs en cause tout en proposant des pistes pour sortir de cette défiance. 

    Temps de lecture : 7 minutes

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    En préambule, pourriez-vous expliquer ce que la naissance de l’Inathèque de France en 1995 a changé pour la recherche et l’analyse des médias ?

    Avant de vous répondre, et puisque la connivence est une critique souvent proférée à l’encontre des médias, je tiens à préciser à vos lecteurs que vous et moi n’avons aucun lien de parenté et que notre homonymie est totalement fortuite… (sourire)

    Pour répondre à votre question, il faut rappeler qu’avant même l’introduction du dépôt légal pour l’audiovisuel en 1995, l’Ina avait eu l’excellente idée d’organiser des ateliers rassemblant à la fois des chercheurs, des documentalistes, des archivistes et des ingénieurs. Nous avons ainsi pu réfléchir ensemble aux instruments de recherche, aux logiciels, aux notices… Bref, à tout ce qu’il fallait prévoir pour répondre aux besoins des chercheurs.

    Cette démarche, rare, fut passionnante et extrêmement productive.  Jusque-là, je travaillais en effet moins sur la télévision que sur le cinéma, précisément parce qu’il était quasiment impossible d’accéder à ces archives, ou alors moyennant des sommes totalement inabordables pour un universitaire. Et tout à coup, non seulement nous avons pu accéder aux archives, mais sur de longues périodes !

    Ce fut une véritable révolution, car nous pouvions désormais analyser, non seulement tel ou tel programme, mais des collections de programmes ou de vastes corpus, avec les outils d’analyse extraordinaires qui ont été développés parallèlement.  Cela a complètement changé notre façon de chercher, mais aussi la façon de constituer les notices et de valoriser les archives. Ce fut un véritable âge d’or pour la recherche française, qui a bénéficié d’un coup d’accélération incroyable et d’une précision nouvelle pour les publications.

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    francois-jost-livre-medias-haineRevenons maintenant à « Médias : sortir de la haine ? ». Pourquoi avoir mis un point d’interrogation à la fin du titre ?

    Nous en avons beaucoup parlé avec l’éditeur. J’ai tenu à ce point d’interrogation car je ne voulais pas que mon livre soit pris comme un livre de recettes dont on ne retiendrait que les solutions. Je voulais m’adresser à un lecteur ouvert qui se posait lui aussi les questions soulevées.

    D’où vient le malaise de la société face aux médias ?

    Je suis d’abord parti du constat qu’on assiste aujourd’hui à une haine envers les médias. Les faits le prouvent : une station de radio incendiée, ainsi que des kiosques à journaux, des journalistes agressés…

    Et pour comprendre comment on est passé de la défiance à la haine, je me suis donc intéressé à tous les acteurs de la communication. Du côté des médias eux-mêmes, j’ai identifié puis analysé cinq grands moments qui ont marqué la perte de confiance des Français dans les médias en me basant sur le baromètre que Kantar réalise depuis 1987 pour La Croix :

    • la révolution roumaine de 1989 (quand les images d’une douzaine de cadavres ont été présentées par les révolutionnaires comme un « charnier » de 12 000 morts dû à la barbarie du dictateur Ceaucescu, les gens se sont rendu compte qu’il fallait se méfier des images) ;
    • la première guerre du Golfe (les gens ont réalisé que l’information en continu ne leur apportait pas les images qu’ils voulaient voir de la guerre) ;
    • le plan Juppé sur les retraites de 1995 (les journalistes, qui avaient tous salué la réforme, n’ont pas vu venir le mouvement social et sont apparus comme déconnectés de la réalité, vivant dans un microcosme) ;
    • les émeutes de 2005 dans les banlieues (on a alors reproché aux journalistes de se faire manipuler et de relayer des images mises en scène par des émeutiers) ;
    • la crise des Gilets jaunes (qui ne se sont pas sentis représentés par les médias).

    Nous avons donc eu progressivement une mise en cause de l’image, du direct, du milieu et du métier des journalistes qui ont fait perdre confiance à des générations de Français.

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    Et qu’en est-il des autres acteurs ?

    Comme nous l’avons vu, les médias ont eu des torts - sinon on n’en serait pas là -, mais les citoyens-téléspectateurs également : par exemple, peu de gens font la différence entre une manipulation et une erreur de la presse. Pourtant, l’une est volontaire et l’autre pas.

    Par ailleurs, beaucoup de gens considèrent encore qu’une information n’est objective que si elle adopte leur point de vue.

    Et d’autres ont une fausse conception de l’image : quand les uns pensent à tort à une sorte de transparence qui ferait que l’on pourrait avoir le monde chez soi grâce aux images, les autres crient au mensonge dès qu’il y a montage sans être attentifs au fait que le cadrage peut aussi manipuler.

    Et du côté du monde politique ?

    En effet, je montre dans mon livre que Le Pen était le seul en 2000 à avoir un discours de haine contre les médias. Mais ces dernières années, tout le monde l’a peu à peu plus ou moins adopté, de Mélenchon à Macron lors de l’affaire Benalla. Et ce bien souvent parce que les médias avaient découvert ou critiqué des faits dont ils étaient coupables ou responsables. Ils légitiment ainsi la méfiance envers les médias et participent à rendre inaudible ce qu’il s’y dit.

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    Les médias sont accusés par certains de propagande d’État. D’autres les accusent d’être à la solde de l’argent… C’était mieux avant ?

    Je voulais resituer dans mon livre ces critiques, qui ne sont pas du tout nouvelles, par rapport à l’histoire des médias. Concernant le gouvernement, il faut se rappeler qu’il fut un temps où les changements de forme du JT étaient présentés par un ministre de l’Information et où on l’on soumettait le conducteur du JT à un service du ministre avant qu’il soit diffusé. Il y a ensuite eu toute l’époque des grands magnats de la presse, comme Hersant ou Dassault, qui disaient ouvertement qu’ils soutenaient le pouvoir en place.

    Non, mon livre prouve que ce n’était pas mieux avant.

    Quel est le rôle des réseaux sociaux dans ce malaise envers la presse ?

    Les réseaux sociaux favorisent depuis toujours le témoignage individuel et le bouche-à-oreille. Et depuis le changement de l’algorithme de Facebook il y a deux ans, chacun reçoit davantage d’informations sur des gens qui partagent les mêmes centres d’intérêts.

    Ces deux facteurs font que l’information qui y circule est très parcellaire et monosémique et favorise la montée de certaines rumeurs. Finalement, on s’y monte la tête entre soi et la haine envers les médias y circule plus facilement.

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    Mais alors quelles sont les solutions ? Vous dites qu’il faudrait passer de la méfiance vers une défiance constructive, un « doute hyperbolique » ? De quoi s’agit-il ?

    C’est le fameux doute prôné par Descartes. La difficulté est de faire comprendre que les médias rendent compte du monde et qu’en même temps ils n’en rendent pas compte.

    Il ne s’agit pas d’avoir une attitude sceptique du type « les médias nous mentent », mais d’adopter une posture critique en gardant en tête qu’un média implique nécessairement une médiation. C’est un truisme : ce n’est pas le monde qui arrive chez nous, mais une image du monde. Et il n’y a pas d’autre façon de s’informer. On doit s’interroger sur cette image, la critiquer le cas échéant, mais pas la refuser a priori.

    Vous écrivez aussi qu’il serait bon de tendre vers davantage de journalisme constructif ou de solution…

    Conceptualisé par des universitaires et des journalistes du nord de l’Europe, il s’oppose aux breaking news (critiquables car exemptes d’analyse) ou au journalisme d’investigation (jugé souvent trop militant).

    Le journalisme constructif ou de solution est une troisième voie qui consiste à montrer ce qui fonctionne dans notre société (par exemple : comment on lutte avec succès contre la malaria dans tel pays) et à esquisser des solutions. Il ne s’agit pas d’avoir des médias béats devant la réalité, mais de ne pas nous mettre sans arrêt devant les contradictions ou les tragédies du monde sans montrer les voies qui permettraient d’arranger les choses.

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    Vous évoquez aussi l’importance du rôle de l’éducation aux médias et à l’image ?

    C’est un travail de très longue haleine. Apprendre aux gens ce que sont les biais cognitifs comme le font certains est une première chose. Mais il faut aller plus loin.

    Pour certains, la science est de l’ordre de la croyance et non du savoir. À titre d’exemple, j’analyse dans mon livre les discours des « platistes », qui pensent que la terre est plate et que la Nasa nous manipule en nous faisant croire qu’elle est ronde. Les anti-masques, eux aussi, prétendent que le port du masque ne sert à rien et que c’est juste pour nous asservir.

    Seule l’éducation - pas seulement l’éducation aux médias - peut faire reculer ces discours absurdes. C’est pour y contribuer que j’écris des livres.

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