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Les Mooc : bienvenue dans l'ère du social learning

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    Le 9 février 2015, 2 523 personnes étaient inscrites au Mooc "Documents numériques, du papier au web". (Cikgu Brian/Flickr)
  • Si certains se sentent à l’étroit dans l’Éducation nationale ou l’enseignement supérieur français, une nouvelle porte leur est désormais ouverte, celle des Mooc. Où l’on passe de l’e-learning au social learning. Décryptage.

    1. Mooc : de l'e-learning au social learning
    2. ​Les grands acteurs mondiaux du Mooc
    3. ​Un business model compliqué
    4. Des débuts prometteurs à consolider
    5. Les enjeux majeurs de demain
    6. Le défi de l'adaptation
       

    Moins de 2 ans après son ouverture, le Mooc Coursera est devenu la plus grande Université mondiale avec 7 millions d’inscrits égalisant les taux de progression de Twitter ou de Facebook (Estimations de Paul Allen «The Lesser» : Twitter : 780 jours pour atteindre 10 millions d’utilisateurs, 852 jours pour Facebook). Au-delà de l’acronyme digne de Star Trek, ce phénomène est arrivé discrètement en France il y a un an, par le biais de quelques écoles avant-gardistes. 

    Il fait depuis quelques semaines la une de quelques grands journaux nationaux et même l’objet d’un collectif anti-Mooc. L’avenir de l’enseignement et de la formation devra-t-il passer par ces nouvelles plateformes éducatives interactives et gratuites ? Alors quels défis devront-elles relever pour répondre aux challenges de l’éducation et aux attentes des étudiants du 21e siècle, « poucettes et poucets » chers à Michel Serres ?

     

    1. Mooc : de l’e-learning au social learning

    Ce que sont les Mooc

    Les cours en ligne ne sont pas nouveaux. Les plateformes d’e-learning proposent depuis longtemps une pédagogie interactive à base de contenus multimédias et d’une scénarisation des cours.

    Les évolutions du numérique et l’internationalisation transforment radicalement les systèmes de transmission du savoir. L’enseignement était jusqu’alors un village gaulois résistant à des mouvements socio-économiques de fond. Ils sont légion : cours en ligne, montée en puissance de l’apprentissage - supprimant les barrières entre formations initiale et continue - formation tout au long de la vie, désengagement progressif de l'Etat dans les finances universitaires, concurrence mondialisée des grandes écoles.

    Ce qui change vraiment à travers les Mooc (ou Clom en français, Cours en ligne ouvert et massif), c’est l’évolution technologique majeure qu’ils apportent dans l’enseignement en positionnant l’étudiant au coeur de son apprentissage.

    En effet, les Mooc offrent à travers leur plateforme digitale interactive :

    • une diffusion des savoirs à un plus large public quels que soit son origine géographique, son statut (étudiants, salariés, seniors, chômeurs…), ses objectifs, son outil de travail ; les points de contact sont démultipliés grâce à la plus grande diversité et expansion des médias disponibles (ordinateurs, smartphones, tablettes, etc.) et du cloud ; l’accès aux vidéos tutoriels est désormais permis au plus grand nombre grâce à l’amélioration du débit des réseaux télécoms ;
    • une proximité plus grande entre apprenants, d’une part, et entre apprenants et enseignants, d’autre part, grâce à la partie sociale présente sur l’ensemble des plateformes collaboratives ;
    • une personnalisation du cours par le participant qui choisit lui-même ses modules, ses modes d’évaluation, sa vitesse d’apprentissage et ses liens avec les autres membres du Mooc.

    Mooc, Spoc, Sooc... les acronymes fleurissent comme autant de déclinaisons du concept de cours en ligne. Ils varient selon que l’on se place dans une sphère grand public, gratuite et ouverte (Mooc) ; dans la sphère institutionnelle à l’usage des salariés, clients ou prospects de l’entreprise (Cooc) ; réservé à un comité restreint et fermé (Spoc) ou à un comité restreint, ouvert à tous, mais sur un sujet d’expertise (Sooc).

    Comment ça marche ?

    L’apprenant s’inscrit sur une plateforme en ligne en indiquant son adresse email, prénom et nom. Il sera alerté dès que le Mooc est lancé, et prévenu régulièrement, s’il le souhaite, des séquences à venir. Le participant nouvellement inscrit peut dès lors se connecter et collaborer en mode synchrone ou asynchrone sur la plateforme en accédant :

    • à des contenus variés sur le sujet choisi ;
    • à des espaces d’échanges avec l’équipe qui anime le Mooc (enseignants, modérateurs) : wiki, forum, communauté Google +, page Facebook…;
    • à des communautés d’intérêt ou de pratique créées souvent à l’initiative des apprenants eux-mêmes.

    On retrouve dans un Mooc, un ensemble varié de ressources d’animation qui peuvent être :

    • des vidéos préenregistrées ;
    • des vidéos « en direct » diffusées sur un réseau social vidéo (ex. YouTube, Dailymotion) avec intervention en direct d’experts ou d'étudiants afin de répondre aux questions des apprenants ;
    • des espaces libres d’annonces sur la page d’accueil, qui reproduisent virtuellement le panneau d'affichage de la  fac. C'est le moyen pour l’équipe d’organisation de faire des ajustements pendant le déroulement du Mooc et de partager avec les participants les informations de dernière minute ;
    • des contenus froids de types fiches, supports de cours ;
    • des espaces d’échanges en direct du type chat, wiki, forum, Twitter… pour favoriser l’échange en direct avec l’équipe d’organisation et les autres participants.

    Certains Mooc proposent des rencontres en présentiel afin d'augmenter le degré d'assiduité et d’interaction entre participants.

    Exemple : Coursera a déjà 25 000 inscrits dans 2 300 villes du monde, et a lancé son propre espace sur Meetup, un site qui facilite l’organisation de rencontres physiques autour de centres d’intérêt communs.

    L’évaluation se fait en contrôle continu par le biais de quizz, de dossiers à rendre validés par l’enseignant ou par les autres participants.

    Par exemple, dans le cadre du certificat avancé du Mooc ABC Gestion de Projet, chaque devoir est corrigé grâce à l’évaluation par les pairs. Tous les participants ayant rendu un devoir se voient attribuer de manière aléatoire quatre évaluations à réaliser, à l’aide d’une grille et d’une méthodologie de correction. Dans ce parcours, les participants sont libres de réaliser ou non la correction des devoirs qui leur sont attribués. Le taux de participation s’avère très élevé puisque lors d’une session, par exemple, 86 % des 8 108 évaluations attribuées sur l’ensemble du parcours ont été effectuées par les participants.

    A défaut de diplôme reconnu, la certification finale du Mooc a lieu de différentes manières :

    • certificat (gratuit ou payant) ;
    • certificat vérifié (payant) ; 
    • badge qui ​reconnaît un niveau de participation plus qu’un niveau de connaissance.

     

    2. Les grands acteurs mondiaux du Mooc

    Aujourd’hui, trois acteurs clés américains dominent le marché des Mooc :

    Coursera propose, depuis avril 2012, 250 cours sur plus de 400 thématiques différentes, issus de 100 universités partenaires (Stanford, Princeton, Université de Pennsylvania…).
    EdX : Harvard et le MIT s’associent pour lancer une plateforme américaine, rejoints depuis septembre 2013 par Google. Actuellement 140 cours disponibles.
    Udacity fondé en février 2012 par d’anciens enseignants à l’université de Stanford regroupe près de 500 000 étudiants.

    En Europe, l’Angleterre, l’Espagne et l’Allemagne se sont imposées : Futurelearn, MiriadaX, OpenMooc, Iversity et Opencourseworld concurrencent une offre américaine souvent monolingue en s’appuyant sur des solutions open source. En France, Centrale Nantes et Telecom Bretagne ont lancé leur propre Mooc en 2012 bientôt rejoint par Centrale Lille et l’EM de Lyon en 2013. En septembre 2013, le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur a lancé Fun, la France université numérique. Six mois plus tard, plus de 25 cours issus des plus grandes écoles, enseignants et universités françaises sont disponibles en ligne.

    Certaines écoles comme Polytechnique ou HEC ont préféré rejoindre les plateformes américaines pour bénéficier de leur notoriété et préempter un territoire encore vierge des cours d’enseignement supérieur en langue française… Un marché potentiel de 220 millions de personnes dans le monde!

    Actuellement, les Mooc fleurissent de manière anarchique et pas une semaine ne s’écoule sans qu’un secteur lance le sien : Gastronomie avec Alain Ducasse, Journalisme avec Rue89 et sa Mediacademie, etc.

     

    3. Un business model compliqué

    Face à une éducation qui se mondialise et où des étudiants indonésiens, maliens ou argentins accèdent aux cours des écoles américaines ou allemandes, les écoles françaises n’ont plus vraiment le choix. Elles doivent lancer leurs propres cours en ligne, sous peine d’être dépassées. Mais un Mooc coûte cher et demande des compétences pluridisciplinaires en pédagogie, mais aussi design, communication, développement informatique pas toujours disponibles en interne. Peu d’écoles peuvent se permettre de se lancer seules. Même Harvard s’est associé au MIT pour créer edX, et une levée de fonds a néanmoins dû être effectuée pour lancer les premiers cours en ligne.

    Gratuits par définition, les Mooc cherchent leur seuil de rentabilité en diversifiant les modèles de retour sur investissement : publicité, « freemium » (cours gratuits et payants), sponsoring de cours, mécénat, vente de produits complémentaires (e-book, coaching, certifications payantes, etc).

    D'où l’émergence d’acteurs comme Coursera, qui hébergent et agrègent les cours de grandes universités, et leur proposent toute une gamme de services additionnels pour pallier le déficit d'expertises.

     

    4. Des débuts prometteurs à consolider

    Les chiffres d’inscription lors de chaque ouverture de Mooc sont impressionnants et se concentrent pour presque la moitié aux cours de management, de finance et d'entrepreneuriat.

    Participation : la règle des 1-9-90

    Une étude de Jakob Nielsen a démontré que dans une communauté, 90 % de ses membres consomment des contenus, mais ne contribuent pas (les spectateurs), 9 % vont participer occasionnellement (les collectionneurs) et moins de 1 % des membres contribue de façon proactive (les créateurs). Les Mooc ne faillissent pas à la règle. Seuls 9 % des inscrits ont vu plus de la moitié des cours et 8 à 10 % achèvent et valident leurs formations. Mais peut-on juger de la pertinence d’un Mooc sur le seul nombre de certifiés par rapport au nombre d'inscrits ? Le calcul du taux de réussite en fonction des objectifs affichés, ou du temps passé à explorer le contenu est sans doute plus pertinent. Il est en effet prouvé que ceux qui décident d’y consacrer du temps réussissent très bien : environ 70 % des élèves ayant assisté à plus de la moitié du cours ont obtenu leur certificat.

    Reste à savoir comment maintenir l’assiduité d’une communauté virtuelle de 100 000 personnes et diminuer le taux d’abandon.

     

    5. Les enjeux majeurs de demain

    L’objectif pédagogique

    Mettre la technologie au service de l’objectif pédagogique et du grand public, et non l’inverse. Créer une expérience unique avec des apprenants acteurs et contributeurs de leurs cours nécessite des capacités d’animation et d’innovation pédagogique de l’équipe enseignante. L’idéal pédagogique de demain sera peut être plutôt multimodal en combinant :

    • du distanciel (webinars, vidéocasts, podcasts, livemeeting…) ;
    • du présentiel (travaux dirigés, séminaires, stages, conférences…) ;
    • de l’informel (chat, espace de cocréation type forum, wiki, blog, communautés de pratiques, réseaux sociaux…).

    La qualité pédagogique

    Variété des intervenants (enseignants, experts, témoignages), qualité des enseignants, dialogue, accompagnement des participants, qualité de la grammaire et du matériel pédagogique proposés.

    Les contenus

    La scénarisation des cours nécessite un équilibre judicieux entre :

    les ressources d’apprentissage ;
    les activités cognitives interactives et animées, créant une expérience d’apprentissage unique pour le participant ;
    ​et les méthodes d’évaluation (continu, final) des participants, mais aussi de l'enseignant et du cours.

    L’autonomie 

    Comment gérer la solitude de l’apprenant derrière son écran, pas toujours en mesure de se motiver et s’auto-organiser pour suivre régulièrement son cours en ligne même séquencé, et aller jusqu’à son achèvement.

    L’assiduité 

    L’équipe pédagogique doit devenir animatrice de communauté : détecter les fameux 1 % de « créateurs », les stimuler pour pérenniser la richesse et la dynamique du Mooc durant son temps d’existence. Les étapes d’évaluation sont également des temps forts qu’il faut valoriser en les annonçant, en valorisant les membres qui les ont atteints, etc.

    La massification

    Facteur certain de brassage des inégalités, les Mooc sont un levier fort de diminution de l’inclusion numérique si et seulement si les acteurs institutionnels et privés s’allient pour offrir l’accessibilité numérique au grand public.

    Les données personnelles des élèves

    Les réflexions sont en cours sur le sujet, car les données étant hébergées sur la plateforme dans le cloud, en fonction de la localisation des serveurs, les lois varient.

     

    6. Le défi de l'adaptation

    L’heure est à l’effervescence des débats publics sur l’avenir de l’enseignement supérieur et le rayonnement des universités françaises. Dans ce contexte, le concept de Mooc initie l’idée que les forces qui ont amené les changements dans les processus d’apprentissage sont les outils dont nous avons besoin pour les résoudre. L’enseignement doit s’adapter à l’ère numérique. Ils interrogent les acteurs de l’enseignement sur l’ensemble des sujets impactés : la valorisation des diplômes, le rôle des enseignants (animateur ? coach ?), leur formation initiale et continue, la force d’apprentissage des communautés d’apprenants et le rayonnement de la francophonie (lancement en mars 2014 du projet 100 000 professeurs pour l'Afrique). Ils n'ont pas fini de faire parler d’eux !


    + repères

    L’expérience du « Trou dans le mur » de Sugata Mitra et 42 de Xavier Niel

    Partant du principe que l’école, telle qu’on la connaît aujourd’hui est dépassée, l’enseignant indien Sugata Mitra a installé durant 2 mois un ordinateur dans un bidonville à New Delhi (Inde) pour voir ce qui allait se passer s’il donnait un ordinateur à des enfants qui n’en auraient jamais, qui ne parlaient pas du tout anglais, et qui ne savaient pas ce qu’était Internet.

    Huit heures plus tard, il les a trouvés en train de naviguer sur l’ordinateur et de se montrer les uns aux autres comment ça fonctionnait. Cette méthode est l’un des piliers fondateurs de 42, l’École informatique parisienne crée en septembre 2013 par Xavier Niel et qui accueille plus de 900 élèves pour seulement 12 personnes encadrantes.

    Gratuite et ouverte sans cours magistraux, ni enseignant transmettant leurs savoirs, mais un mode projet où les étudiants travaillent en groupe, se challengent et s’évaluent de pairs à pairs. Facebook et Google viennent déjà y détecter leurs futurs salariés. Un mode d’apprentissage dans le monde réel très proche de ce que les Moocs proposent, nécessitant autonomie et capacité de gestion de l’incertitude.

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