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Demain, vos enfants seront sûrement éducateurs de robots ou éthiciens de l'intelligence artificielle

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    Isabelle Rouhan est la co-auteure de l'ouvrage "Les Métiers du futur" (First Editions, 2019). Selon elle, de nombreux métiers actuels sont menacés de disparition. Mais les métiers qu'exerceront nos enfants n'existent sans doute pas encore. (Freepik)
  • Isabelle Rouhan est l’auteure, avec la collaboration de Clara-Doïna Schmelck, de l’ouvrage "Les métiers du futur" (First Éditions, 2019). Elle est également présidente du cabinet Colibri Talent spécialisé dans la transformation digitale et le recrutement de dirigeants. Selon elle, les métiers de la robotique ou liés à l' intelligence artificielle sont des métiers d'avenir.

    isabelle-rouhan-metiers-futurDans l’avant-propos de votre ouvrage, vous faites une hypothèse : le futur métier de vos deux enfants n’existe sans doute pas encore… Quels sont les métiers actuels les plus menacés de disparition ?

    Ce sont les métiers les plus automatisables. Plus le métier est automatisable, via une machine, un robot ou un algorithme, plus le risque de disparaître est élevé. Il ne s’agit donc pas d’une question de qualification, ni d’une question de secteur, mais du nombre de tâches automatisables qui existent dans un métier. 

    Concrètement, ces métiers vont du trader en bourse à Wall Street à l’hôte ou hôtesse de caisse dans un supermarché. Un tiers des traders à Wall Street a disparu en cinq ans : ils sont moins de 100 000 aujourd’hui contre 150 000 il y a cinq ans ! Ils sont progressivement remplacés par des algorithmes de trading à haute fréquence.

    Ce mouvement touche également le personnel qui est aux caisses des supermarchés. Scanner soi-même les produits est plus rapide que le passage en caisse. La thèse de mon livre est cependant optimiste en termes de volumétrie d’emplois : s’il y a bien des tâches automatisables, d’autres métiers vont apparaître. Et nous aurons toujours besoin de personnel dans les magasins pour accueillir et conseiller la clientèle !

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    De nombreuses études parfois contradictoires fleurissent depuis plusieurs années sur la disparition programmée de certains emplois. Quel crédit peut-on leur apporter ?

    Pour ma part, j’ai croisé des sources françaises, des sources européennes et des sources américaines. N’oublions pas qu’il s’agit de prospective, avec forcément une certaine marge d’erreur.

    Les études de l’OCDE et d’Eurostat me semblent fiables, car elles se recoupent. En règle générale, on estime qu’environ deux tiers des métiers vont être impactés. La question qui se pose ensuite est la suivante : que fait-on du temps qui se dégage ? Je pense que l’on pourrait investir dans les formations en matière de savoir-être, de management, de gestion de la transformation, de leadership, de travail en équipe…

    Quels métiers verrons-nous apparaître dans les dix prochaines années ?

    En tant que chasseuse de têtes, je rencontre des entreprises et des candidats à longueur de journée, et je rédige des fiches métier. Sur la base de cette expérience, deux métiers me semblent incontournables : éducateur de robots et éthicien de l’intelligence artificielle.

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    L’éducateur de robots a pour fonction de paramétrer une machine ou un algorithme afin de le « dresser » à faire telle action ou enregistrer telle information. Ce métier va se développer, car il y a notamment de plus en plus d’objets connectés dans les foyers et sur les personnes. 

    L’éthicien de l’intelligence artificielle, quant à lui, est amené à intervenir sur les algorithmes embarqués dans les voitures autonomes ou les avions par exemple : quelle latitude laisser à la machine ? L’homme doit-il in fine garder la main ? Les récents accidents mortels des deux Boeing 737 Max ont montré que la machine avait la main sur certaines phases de vol au détriment des pilotes qui n’ont pas pu reprendre le contrôle, ce qui pourrait expliquer les accidents… Le métier d’éthicien en intelligence artificielle consistera à rendre des arbitrages sur ce qui peut être délégué à l’IA et ce qui ne doit pas l’être.

    Avec l’intelligence artificielle, les détenteurs d’une compétence scientifique seront-ils mieux armés que ceux qui disposent d’une formation littéraire ?

    Je ne le pense pas. J’espère que l’intelligence artificielle n’est pas seulement un monde de matheux ! Dans son livre « La guerre des intelligences » (JC Lattès, 2017), Laurent Alexandre estime qu’au final ce sont les humanistes qui s’en sortiront, car ils ont une meilleure compréhension du monde. Plus on s’ouvre et plus on va voir ce qui se passe sur le terrain, plus on est en mesure de s’adapter. La diversité au sein d’une entreprise est essentielle : c’est un levier de performance.

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    Peut-on prévoir l’avenir des métiers du document (archiviste, bibliothécaire, documentaliste…) ?

    La recherche documentaire en tant que telle va probablement être de plus en plus automatisable. En revanche, les métiers du document conserveront leurs « gardiens du temple » capables de dire ce que l’on archive et ce que l’on n’archive pas, et capables d’évaluer la fiabilité d’une source d’information.

    Dans un monde où la recherche documentaire se limite souvent à la première page de recherche de Google, ces métiers doivent rester les garants de l’information fiable.

    Quel sera l’impact de la blockchain sur les métiers du numérique ?

    J’ai une position assez iconoclaste sur cette question. Je pense que la blockchain ne changera pas fondamentalement l’économie comme on le dit très souvent. À mes yeux, il s’agit plus d’une évolution que d’une révolution pour les métiers de tiers de confiance tels que les notaires, les huissiers, les professions légales…

    J’ajoute que la blockchain coûte très cher en électricité. De mon point de vue, la blockchain ne provoquera pas l’explosion attendue en raison de son impact environnemental. Tant que ce souci-là n’est pas résolu, cette technologie ne sera pas durable.

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    Plus d’un Français sur cinq en situation active travaille pour l’État. Le service public sera-t-il lui aussi affecté par l’intelligence artificielle et l’automatisation des tâches ?

    Il l’est déjà ! Le service public est en train de faire sa révolution numérique grâce à l’open data. Le site Beta.gouv.fr est un remarquable incubateur de services publics numériques.

    Aujourd’hui un agent peut demander à être détaché pendant six mois pour rejoindre cet incubateur et développer un projet innovant dédié au service public.  Le site La Bonne Boîte, inventé par Pôle Emploi, utilise un algorithme qui permet de détecter avec précision les entreprises qui sont susceptibles d’embaucher pour tel emploi dans une zone géographique donnée, afin de faciliter les candidatures spontanées. J’ai été bluffée par le nombre d’initiatives provenant des agents du service public.

    Par ailleurs, le site Beta.gouv.fr propose de nombreux codes sources en accès libre.

    >Lire aussi : Quel avenir pour les documentalistes ?

    Vous consacrez un chapitre à la « nouvelle économie de la connaissance » : de quoi s’agit-il ?

    Cette économie de la connaissance désigne la façon dont une organisation gère la mémoire de ses processus, de ses métiers, de ses succès. C’est aussi la façon dont cette connaissance est structurée et mise à disposition des uns et des autres.  Aujourd’hui, l’un des enjeux des entreprises est de localiser et exploiter ce savoir. J’ajoute que l’économie de la connaissance vaut pour une équipe, pour une entreprise et pour une nation.

    Nous dirigeons-nous vers la fin du salariat ?

    On ne se dirige pas vers la fin du salariat, mais plutôt vers la fin du salariat à vie. Il sera difficile d’être en CDI pendant quarante ans du début de la carrière professionnelle jusqu’au jour du départ à la retraite. 

    Je crois que l’on se dirige vers une alternance de périodes où l’on sera à l’aise en CDI, puis en free-lance, puis en entrepreneuriat. L’on passera probablement d’une forme d’emploi à l’autre, au fil de sa carrière. Mais ce modèle ne fonctionnera que si la société suit ce mouvement. Par exemple, l’accès au logement (passer un contrat de location ou devenir propriétaire) ne devra plus être conditionné uniquement par l’obtention d’un CDI.

    >Lire aussi : Bibliothécaire, archiviste, veilleur, documentaliste... et entrepreneur : se lancer ou pas ?

    Pourra-t-on exercer plusieurs métiers simultanément ?

    Oui, c’est un scénario possible pour les personnes qui détiennent plusieurs talents. Ce scénario peut également être intéressant pour les entreprises, notamment les PME, qui n’ont pas les moyens de recruter à plein temps un collaborateur très qualifié. Celui-ci pourra alors envisager de partager une même expertise entre plusieurs employeurs complémentaires, lui permettant de reconstituer un travail à temps complet.

    Serons-nous amenés à travailler avec des robots ?

    Nous travaillons déjà avec les robots ! Chez les constructeurs automobiles, sur le web avec les moteurs de recherche, sur nos téléphones avec les correcteurs d’orthographe… Nous sommes entourés de robots, mais nous n’en avons pas toujours conscience.

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