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Normalisation : l'intelligence économique au service de stratégies d'influence

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    "Les entreprises qui participent au travail de normalisation peuvent obtenir des avantages concurrentiels grâce à leur avance en termes de savoir et de temps" (Felix Mittermeier)
  • Et si la puissance économique des pays se jouait dans les instances de normalisation ? Ces très discrets comités techniques internationaux sont le théâtre de stratégies d’influence où chaque pays cherche à promouvoir ses intérêts. Bonne nouvelle, la France figure en bonne place… mais peut mieux faire. 

    « Qui fait la norme tient le marché ! », a-t-on coutume de dire en Allemagne… Résultat : notre voisin d’outre-Rhin est la nation la plus influente dans le domaine de la normalisation. L’Allemagne est en effet le pays qui détient le plus de secrétariats dans les comités techniques de normalisation (CT). Les comités techniques désignent les instances où se font et défont les normes. Ils rassemblent des dizaines de pays désireux de faire prévaloir leurs intérêts dans le plus grand nombre de domaines possibles : aéronautique, produits alimentaires, chimie,  poids et mesures…

    Bonne nouvelle : la France se hisse à la troisième place, derrière les États-Unis, mais devant le Royaume-Uni, le Japon et la Chine. C’est ainsi que notre pays préside le secrétariat du comité technique Iso/TC 46 dédié à l’information et la documentation. 
    Ce classement, peu connu du grand public, prend toute son importance quand on connaît l’impact des normes sur l’économie mondiale. Près de 80 % des normes concernant les entreprises françaises sont décidées au sein d’enceintes internationales. Et selon un rapport publié par l’Afnor (Association française de normalisation), « la normalisation contribue directement à la croissance de l’économie française pour un montant de 15 milliards d’euros, soit 0,80 du PIB » (1).

    Obtenir des avantages concurrentiels

    Au sein du gouvernement français, la Délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2IE) s’intéresse de très près à l’influence de la France dans les enceintes de normalisation. Cet intérêt ne doit rien au hasard : 

    intégrer des instances de normalisation revient à consolider ses positions dans un marché toujours plus ouvert et concurrentiel. Dans une note publiée en 2012, la D2IE, rattachée au Premier ministre, soulignait que « les entreprises qui participent au travail de normalisation peuvent obtenir des avantages concurrentiels grâce à  leur avance en termes de savoir et de temps ».
    Cette avance débouche parfois sur le gros lot comme le remarque la Délégation interministérielle : « Le succès de la norme européenne GSM illustre une politique française d’influence réussie grâce à l’unité et la coordination des acteurs français, en particulier des entreprises ». 
    À l’inverse, ne pas être présent dans les instances de normalisation conduit immanquablement à l’effacement : le standard de codage vidéo Secam inventé en 1967 par l’ingénieur français Henri de France a été progressivement abandonné au profit du système allemand Pal. L’Allemagne qui, on le sait, est le pays qui détient le plus de secrétariats dans les comités techniques internationaux de normalisation.

    « Il faut être le premier à dégainer ! »

    Tous les gouvernements du monde sont d’accord sur un point : il faut déployer des stratégies d’influence dans les instances de normalisation. Mais comment faire ? Pour Isabelle Lambert, chef de projet en normalisation à l’Afnor, « l’influence se joue à plusieurs niveaux. Il faut d’abord identifier les technologies et les services qui n’existent pas encore. Il faut ensuite rencontrer une communauté d’acteurs du sujet et procéder à un benchmark. Il convient enfin de mener un travail de veille sur ce qui se passe dans les autres pays. Surtout, il est vital d’animer un comité technique ! Mais animer un comité technique est un combat quotidien, car il faut avoir de nouveaux projets à proposer. Il faut être le premier à dégainer !»
    Cette stratégie d’influence se joue par exemple au sein de la commission « management de l’innovation » qui, au sein de l’Afnor, planche sur les activités de recherche et développement : management de la créativité, innovation ouverte (open innovation), terminologie, évaluation des brevets, management de la propriété intellectuelle… Parmi les membres de cette commission, on compte quelques poids lourds (Bouygues, Orange, Total…), mais aussi des acteurs publics comme la Mairie de Paris et des institutions de recherche comme l’Inria et l’Inserm.
    « L’objectif de cette commission est de fournir de bonnes pratiques et des outils dans le domaine de l’innovation, précise Isabelle Lambert qui assure également le secrétariat de la commission « management de l’innovation » ; d’abord restreint au niveau national, ce projet est désormais porté au niveau européen avec une vingtaine de pays. Nous souhaitons le porter ensuite au niveau international ».

    Déficit d’implication des pouvoirs publics

    Les entreprises privées, le secteur public et les institutions dédiées à la recherche sont donc invités à jouer de leur influence. « En France, 25 000 personnes morales contribuent au travail de normalisation, souligne Olivier Gibert chargé des relations avec la presse à l’Afnor ; mais, contrairement à l’Allemagne ou aux États-Unis, on note dans notre pays un déficit d’implication des pouvoirs publics dans la normalisation ».
    Un déficit qui n’a pas échappé à la Déléguée interministérielle à l’intelligence économique Claude Revel. Dans un rapport de 2012, cette énarque de la célèbre promotion Voltaire préconisait de « sortir la normalisation internationale du monde de spécialistes pour l’associer aux autres stratégies commerciales, aux actions d’influence internationale globale ».
    Un chantier qui prendra du temps, mais qui permettra à la France de développer son influence normative dans le monde. 

    (1) Rapport de l’Afnor « Impact économique de la normalisation. Changement économique, normes et croissance en France », juin 2009.


    Encadré
    + repères

    Les normes des bibliothèques, archives et documentation se jouent au comité technique Iso/TC 46

    Le monde de l’information-documentation possède un comité technique de normalisation depuis 1947. Baptisé « information and documentation », l'Iso/TC 46 est actuellement présidé par la Française Gaëlle Béquet qui est par ailleurs directrice du Centre international CIEPS-ISSN.

    Les travaux de l'Iso/TC 46 portent sur « la normalisation des pratiques relatives aux bibliothèques, aux centres de documentation et d’information, à l’édition, aux archives, au records management, à la documentation muséographique, aux services d’indexation et de résumés, et aux sciences de l’information ». 

    Lors de la dernière réunion plénière du TC46 qui s’est tenue à Washington au mois de mai 2014, 160 experts venus de 23 pays ont planché, entre autres, sur Medona, une nouvelle norme d’échange de données pour l’archivage. Medona décrit les cinq grands types d’échange d’information entre le service d’archive et ses différents partenaires. La réunion de Washington a également été l’occasion de préparer la révision des normes Iso 15489 sur le records management et Iso 2108 sur l’ISBN (international standard book number ou numéro international normalisé du livre).

    La prochaine réunion du comité technique Iso/TC 46 aura lieu à Pékin au mois de juin 2015.

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