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Editeurs de veille : on s'était dit rendez-vous dans dix ans...

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    "aujourd’hui, notre discours est à contre-courant du pessimisme ambiant" (Pixabay/SplitShire)
  • En une décennie, le marché de la veille est passé de l'euphorie à l'incertitude. Les éditeurs tentent de nouveaux modèles économiques et font évoluer leur technologie. Etat des lieux.

    C'était en 2004. Du 8 au 10 juin, le salon i-Expo organisait sa 21e édition au Cnit de La Défense (Hauts-de-Seine). Cette année-là, trois jeunes sociétés furent récompensées pour leur technologie prometteuse : TripleHop Technologies pour son logiciel de recherche d'information avancée, Amoweba pour son application de cartographie des dirigeants d'entreprise et Droit In-Situ pour sa solution de veille dédiée au monde juridique.

    Dix ans plus tard, plus aucun de ces éditeurs n'est présent sur le marché de la veille ! TripleHop Technologies a été racheté par Oracle, Amoweba a totalement disparu des écrans radar et Droit In-Situ s'est fondu en 2007 dans la société Momindum après le départ de sa fondatrice. En une décennie, le marché français des logiciels de veille a vacillé sous les coups de la crise financière de 2008 faisant dire au veilleur Frédéric Martinet qu'il y avait "une hécatombe chez les éditeurs de logiciels de veille". De fait, plusieurs acteurs du secteur ont été rachetés ou ont tout simplement disparu : le métamoteur cartographique Kartoo a été définitivement débranché en janvier 2010, le spécialiste de text mining (fouille de texte) Arisem est devenu une filiale du groupe Thales et Exalead a été racheté par Dassault Systèmes il y a plus de quatre ans pour environ 135 millions d'euros.

    En revanche, une petite dizaine d'éditeurs se trouvent toujours dans le jeu : Ami Software, Digimind, Intellixir, iScope, Ixxo, KB Crawl, Matheo Software, Qwam, Spotter, Temis... Sans oublier ceux qui n'étaient pas nés en 2004 et qui se sont positionnés sur le marché très porteur de la e-réputation et des réseaux sociaux : SindUp, Trendybuzz, Visibrain, TaDaweb.

    Rester petit pour proposer des prix attractifs

    Pour durer, les éditeurs adoptent des stratégies différentes : "Nous avons fait le choix de nous développer autour d'une équipe restreinte et fidèle et de proposer des prix attractifs, souligne Henri Dou, cofondateur et gérant de Matheo Software ; trop de back office génère un coup élevé qu'il est très difficile de compenser avec le chiffre d'affaires". Résultat : l'éditeur spécialisé dans la veille brevets et technologique tourne avec une équipe réduite et commercialise la licence Matheo Patent à 690 euros par an ; son logiciel Matheo Analyser vaut quant à lui 4 000 euros.

    L'éditeur, basé à Marseille, réalise aujourd'hui 70 % de son chiffres d'affaires à l'étranger dans une trentaine de pays : "Nous décrochons ces contrats à l'étranger en nouant des joint ventures [entreprise en participation] avec des entreprises locales. Nous ne sommes pas physiquement présents dans ces pays, mais les entreprises ont désormais l'habitude de travailler en virtuel et en délocalisé​", explique Henri Dou. Aux yeux de cet entrepreneur qui fut également directeur de recherche au CNRS, la veille a pris un tour qu'il déplore : "Je constate beaucoup de verbiage autour de l'intelligence économique et peu d'action ! Cela accompagne malheureusement la désindustrialisation de la France. Ailleurs, au Brésil, en Chine ou aux Etats-Unis, la veille est considérée comme un pivot du développement industriel".

    Pour ne pas rater le virage de la mobilité, l'éditeur a choisi de

    décliner sa solution de veille brevets en application avec Matheo Patent Lite et de développer avec l'aide de PBI France une série de produits innovants.

    Démocratiser les outils professionnels

    Ami Software a, pour sa part, opéré une révolution copernicienne. L'éditeur a lancé au mois d'octobre 2013 Ami Cloud Intelligence un produit basé sur un nouveau modèle économique. L'utilisateur ne paie que ce qu'il consomme sur la base d'une mesure DPU (data processing unit) qui permet de quantifier et de facturer les ressources informatiques utilisées. 

    La décision de l'éditeur est motivée par l'étude qu'il a menée avec l'ADBS et Veille Mag sur la pratique de la veille dans les entreprises (1). En France, 62 % des entreprises n'utilisent aucun outil professionnel ou bien des solutions gratuites (agrégateur de flux RSS, alertes...) pour mener leur veille : seules 38 % des sociétés interrogées déclarent disposer d'un logiciel professionnel payant. "Notre objectif est de démocratiser ces outils pour qu'ils soient utilisés par le plus grand nombre de professionnels donc en les rendant faciles d'accès tant par leur prix que par leur ergonomie souligne Alain Beauvieux, PDG d'Ami Software ; nous sommes convaincus que l'histoire d'internet et des applications qu'il permet de créer est à son début. Et nous voulons nous y inscrire en grand".

    Ami Cloud Intelligence est donc organisé autour d'un marketplace qui fonctionne sur le modèle des AppStore et autres Android Store : l'utilisateur peut y acheter les applications qu'il souhaite. Certaines sont des produits développés par l'éditeur lui-même (Ami Soft Horizons, par exemple), d'autres sont des applications partenaires qui peuvent être utilisées dans le cadre d'une mission de veille : Twitter, Buzz Tracker, Google Translate... Au total, plusieurs centaines d'applications sont progressivement injectées dans ce marketplace.

    ​Selon Ami Software, deux années de recherche et développement ont été nécessaires pour donner naissance à ce nouveau produit. L'éditeur a levé des fonds auprès d'actionnaires extérieurs pour mener à bien son projet.

    Offre modulaire contre offre monolithique

    Du côté de KB Crawl et KB Intelligence, on a retrouvé le sourire après les turbulences de 2012. KB Intelligence avait fait l'objet d'un redressement judiciaire il y a deux à la suite d'un problème avec un très gros client (la banque HSBC) : "Nous avons alors connu un trou de trésorerie, se souvient Bruno Etienne fondateur et PDG de la société ; ce fut une période difficile qui nous a cependant permis de faire avancer l'entreprise. Aujourd'hui, notre discours est à contre-courant du pessimisme ambiant car nous avons réalisé une bonne année 2013 et 2014 se présente bien avec des contrats remportés auprès de l'Inra, de l'Inpi et du ministère de la Défense belge". 

    Dans un marché souvent présenté comme amorphe, KB Crawl a adopté une politique commerciale évolutive. L'éditeur propose une offre modulaire organisée autour de briques que les clients achètent selon leurs besoins : cartographie, analyse sémantique, CRM... "Cela nous permet de balayer le spectre et d'élargir notre clientèle. Cette offre modulaire répond mieux aux besoins des entreprises qu'une grosse offre monolithique", observe Bruno Etienne.

    Sous le capot de KB Crawl, on trouve des technologies de grammaire formelle qui permettent de définir la structure d'une page HTML et de reconnaître les différents blocs texte : titre, auteur, type de contenu, liste de prix, etc. 

    Aujourd'hui, l'éditeur réalise près de 20 % de son chiffre d'affaires à l'international, notamment dans l'espace francophone (Belgique, Canada, Maroc), mais aussi au Royaume-Uni et à Hong-Kong.

    Vers l'intelligence artificielle

    Quant à l'éditeur SindUp, il n'était pas né en 2004. Son fondateur Mickaël Réault travaillait alors au développement d'une solution de veille directement inspirée des traitements de flux dans le monde de la finance : "Seuls les grands comptes disposaient de solutions de veille très techniques. En 2009, nous avons opté pour un positionnement différenciant avec une solution en ligne. Dès la première année, notre version Freemium a atteint 3 000 utilisateurs". Aujourd'hui SindUp propose des solutions dédiées aux TPE avec un pack à 840 euros par an, aux PME avec un pack à 4 800 euros par an, ainsi qu'un service de veille totalement externalisé baptisé Detectup.

    Pour Mickaël Réault, les éditeurs de veille peuvent se montrer optimistes car plusieurs facteurs jouent en leur faveur : "Les décideurs s'approprient le thème de la veille, la fonction marketing utilise de plus en plus des solutions de gestion de l'information, et les formations intègrent la fonction veille dans leur cursus. Tout cela devrait amplifier le taux d'équipement dans les deux ou trois années à venir". D'autant plus qu'une vague d'innovations convergentes dans le domaine des API permet déjà à différents outils (réseau social d'entreprise, curateurs, solutions de veille...) de communiquer entre eux. "Surtout, l'intelligence artificielle devrait se rapprocher de nos métiers. Demain, nous devrions avoir des systèmes capables de surveiller intelligemment le marché de l'entreprise... "

    (1) "Usages et métiers de la veille : les tendances du secteur de l'industrie". Etude Ami Software, ADBS, Veille Magazine. 2014. 

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