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Open data : le cadre juridique de la réutilisation des données publiques

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    Un article D. 312-1-3 a été inséré Après l'article L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l'administration. C'est lui qui liste les documents et informations concernés par ce décret. (Opensourceway/Flickr)
  • Le phénomène de l’open data, ouverture des données publiques, se développe depuis quelques mois avec une ampleur particulière. Il prend actuellement son essor à la faveur de conditions d’éclosion favorables : disponibilité d’outils techniques et données produites nativement sous forme numérique – ce que Marie-Anne Chabin (1), directrice du cabinet de conseil, Archive 17, nomme la numérité.

    Ce phénomène est d’une ampleur vertigineuse qu’on commence seulement à percevoir. Il touche en premier lieu les données administratives et juridiques des pouvoirs publics, mais aussi toutes données du secteur public, y compris tous les fonds culturels.

    1. de l’accès aux documents administratifs à l’ouverture des données publiques

    Les années 1970-80 ont vu émerger une certaine protection du citoyen à l’égard des pouvoirs publics. En France, entre 1978 et 1979, trois lois viennent garantir contre la toute-puissance de l’État face à l’information du citoyen :

    • loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (6 janvier 1978) pour protéger le citoyen du danger des recoupements informatiques tous azimuts de données les concernant ;
    • loi sur l’accès aux documents administratifs (17 juillet 1978) garantissant à toute personne la possibilité d’accéder à tout document produit ou détenu par l’Administration ;
    • loi du 3 janvier 1979 sur les archives, déterminant divers délais de communication des archives selon la confidentialité de leurs contenus.

    Le terme de transparence, à la fois slogan et voeu sincère, résumant ces trois courants d’ouverture, va fleurir sous de nombreuses plumes, voire dans certaines législations, notamment au sein de la Communauté, devenue Union européenne.

    Une directive du 17 novembre 2003, modifiée par celle du 26 juin 2013, pose le principe de la « réutilisation des informations du secteur public ». Elle sera transposée par l’ordonnance du 6 juin 2005, modifiant la loi sur l’accès au document administratif. Ainsi sont posés les principes de la « réutilisation des informations publiques ».

    2. quelques glissements sémantiques

    Document administratif ou information publique ?

    La réforme de 2005, transposant la directive de 2003, a opéré un glissement sémantique significatif. Aux termes de la loi de 1978, seule la notion de document administratif est visée et définie comme étant ceux qui sont « produits ou reçus » par les administrations (art.1er).

    Par administrations, il faut entendre toute entité publique ou chargée d’une mission de service public. À ces définitions inchangées, l’ordonnance de 2005 ajoute la notion d’« informations figurant dans les documents… » pour préciser qu’elles « peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins desquelles les documents ont été produits ou reçus » (art.10). Ainsi naît le concept de réutilisation des informations publiques.

    Information ou donnée publique ?

    Nouveau glissement sémantique : la loi française parle d’« informations » publiques, alors même que la directive et le rapport Mandelkern (1999) usent du terme de « données ». On considérera ici que ces termes sont équivalents, bien qu’on puisse trouver entre eux des distinctions troublantes.

    3. périmètre d’application de la loi

    La loi est claire à ce sujet : sont visées les informations « figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er » (art.10). Il s’agit donc de toute information contenue dans des documents administratifs. Seraient donc logiquement exclus de la loi des documents qui ne sont pas administratifs, par exemple les documents produits par les assemblées parlementaires.

    Mais tout document produit ou « reçu » doit être considéré comme document administratif. Il s’ensuit qu’une oeuvre d’art « reçue » par un musée public, un livre ou un non-livre détenu par une bibliothèque publique est un document administratif. C’est pourquoi logiquement la loi pose la limite de l’existence d’une propriété intellectuelle extérieure (art.10, c).

    Elle pose également deux autres limites (art.10, a et b) :

    • communication du document non prévue la loi ;
    • document produit ou reçu dans le cadre d’un service public à caractère industriel ou commercial.

    En outre, compte tenu de la présence éventuelle de données personnelles dans les informations publiques, et sauf disposition spéciale, il est prévu de les anonymiser avant leur ouverture publique.

    4. de la gratuité de principe aux redevances et licences…

    Si l’art.10 pose implicitement le principe de libre réutilisation des informations publiques, c’est-à-dire gratuite, l’article 15 al.1er introduit l’exception qui a rendu plus d’un juriste perplexe : « La réutilisation d’informations publiques peut donner lieu au versement de redevances ». La suite de l’article donne quelques pistes pour le calcul de cette redevance. Celles-ci sont si peu limpides que certaines administrations ont un peu trop généralisé l’exception des redevances. Elles poursuivent parfois sans le dire une politique de rentabilisation des données produites ou reçues. Cette pratique a été épinglée dans le récent rapport Trojette, premier grand rapport sur ce dispositif législatif (26 août 2013) et intitulé sans ambiguïté « Ouverture des données publiques : les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ? ».

    L’art. 16 pose le principe, en cas de mise en place de redevances, de délivrance d’une licence, rendue publique, « le cas échéant par voie électronique ».

    5. … et aux répertoires obligatoires

    Enfin, l’art. 17 prévoit que les administrations « tiennent à la disposition des usagers un répertoire des principaux documents dans lesquels ces informations figurent ». Une bonne illustration de redevances mises en place, avec mise à disposition de licences, tarif public et répertoire des ressources, peut encore être consultée à la rubrique Licences de Légifrance.

    6. la mise en place du dispositif administratif

    Comme bien d’autres en France, cette loi a été longue à entrer en application. Un décret du 30 décembre 2005 a précisé certains points dans son titre III (publication des répertoires sur Internet pour les administrations qui disposent d’un site, règles pour la détermination du montant des redevances...). Une circulaire du Premier ministre du 29 mai 2006 invitait les administrations de l’État à l’ouverture de leurs données. Mais il a fallu attendre quelques années de pratiques rares et balbutiantes – l’administration n’étant pas encline à ouvrir ses données – pour que les choses se clarifient. Reconnaissons aussi l’existence de difficultés pratiques (travail supplémentaire pour rendre les données accessibles, obstacles techniques…) qui se résorbent peu à peu.

    C’est donc depuis 2012 que l’ouverture des données publiques prend son essor :

    • modification du décret de 2005 par celui du 26 mai 2011 ;
    • deux décrets du 21 février 2011 créant la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’État (DGMIC) et créant la mission « Etalab » chargée de la création d’un portail unique interministériel des données publiques ;
    • elle-même remplacée par un décret du 30 octobre 2012 créant le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMap), organisé par un arrêté du Premier ministre du même jour.

    Concrètement, les administrations de l’État ont commencé à s’organiser, notamment en mettant en place un Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (Cimap – 2e décret du 30 octobre 2012).

    La mission Etalab a produit une licence de réutilisation libre, dite Licence Etalab à laquelle les administrations peuvent se rattacher pour ouvrir leurs données.

    Sont ainsi apparus les premiers « jeux de données » directement accessibles sur les sites des administrations de l’État, ou centralisées sur le site Data. gouv.fr et ainsi aisément téléchargeables et réutilisables.

    Les grandes collectivités locales s’y sont aussi mis, comme en est témoin le portail des données publiques de la ville de Paris : Opendata.paris.fr.

    Le projet de loi « de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale », toujours en instance devant le Sénat depuis son dépôt le 10 avril 2013, aménage l’ouverture des données publiques pour les communes de plus 3500 habitants.

    7. le principe de gratuité mieux appliqué

    Autour du rapport Trojette, les pouvoirs publics ont commencé à revenir autant que faire se peut au principe de la gratuité. C’est le cas des licences de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière) pour ses produits cartographiques. Nombre de licences IGN sont ainsi devenues gratuites.

    C’est aussi le cas de cette décision inattendue du Cimap du 18 décembre 2013 annonçant la prochaine gratuité de réutilisation des bases de données de Légifrance. Une petite révolution en soi…

    Didier Frochot 

    (1) Marie-Anne Chabin est une archiviste française, experte reconnue au niveau international pour l’archivage et la gestion de l’information numérique.


    + repères

    le droit applicable

    • Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public.
    • Directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public.
    • Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 modifiée, Titre I « De la liberté d’accès aux documents administratifs et de la réutilisation des informations publiques ».
    • Décret nº 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l’application de la loi nº 78-753 du 17 juillet.
    • Circulaire du Premier ministre réf. 5156/SG (nº PM-542) du 29 mai 2006.
    • Décret nº 2011-577 du 26 mai 2011 relatif à la réutilisation des informations publiques détenues par l’État et ses établissements publics administratifs, modifiant le décret du 30 décembre 2005.
    • Décret nº 2012-1198 du 30 octobre 2012 portant création du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique et arrêté du 30 octobre 2012 portant organisation du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.
    • Décret nº 2012-1199 du 30 octobre 2012 portant création du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique.
    • Circulaire du Premier ministre du 26 mai 2011 relative à la création du portail unique des informations publiques de l’État « data.gouv.fr » par la mission « Etalab » et l’application des dispositions régissant le droit de réutilisation des informations publiques. 

    + repères

    A retenir

    La réutilisation des données publiques doit permettre la plus grande transparence des pouvoirs publics, mais aussi l’accès à tout type de donnée produite ou traitée sur fonds publics pour le citoyen. Elle permettra aussi à l’initiative privée de retraiter ces données et d’offrir en sortie des produits d’information innovants. C’est un des axes essentiels de l’open data dans tous les pays. ..

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