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Napoléon, un "confiscateur d'archives" désireux d'écrire sa propre légende

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    "On sait que Napoléon attachait beaucoup d’importance à l’histoire. Il se voyait comme le continuateur providentiel de l’histoire de France et aimait se comparer aux plus grands personnages historiques", explique Maria Pia Donato (Pixabay/@WikiImages)
  • maria-pia-donato-napoleon-archivesMaria Pia Donato est directrice de recherche au CNRS à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine de Paris. Elle est également l’auteure de l’ouvrage « Les archives du monde. Quand Napoléon confisqua l’histoire » (PUF, 2020). Dans un long entretien avec Archimag, elle explique comment Napoléon s'est emparé des archives du Saint-Empire romain germanique dissous et de celles de la papauté, à des fins administratives, mais aussi symboliques.

    Temps de lecture : 7 minutes

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    En 1809, après avoir triomphé de la Cinquième Coalition menée par l’empire d’Autriche et le Royaume-Uni, Napoléon s’empara des archives du Saint-Empire romain germanique dissous et de celles de la papauté. Que trouvait-on dans ces archives ?

    archives-monde-napoleon-histoireÀ Vienne, il s’agissait essentiellement d’archives juridiques produites à l’occasion des litiges entre les différents États et entités qui formaient le Saint-Empire romain germanique. On y trouvait également des documents diplomatiques et fiscaux de territoires passant sous la domination de la France et de ses alliés.

    Ces documents avaient une utilité pratique : ils permettaient d’administrer les territoires conquis. Ils avaient également une valeur symbolique : ils permettaient de proclamer que l’héritier du Saint-Empire romain germanique n’était pas l’empire d’Autriche, mais plutôt la confédération du Rhin formée par Napoléon à la suite de sa victoire à Austerlitz en 1805.

    À Rome, les archives initialement visées concernaient l’administration des cultes et la gestion du clergé. Mais, plus généralement, les archives romaines conservaient les documents sur l’histoire de l’Église et de la papauté, à la fois puissance spirituelle universelle et pouvoir séculier.

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    Quels objectifs Napoléon poursuivait-il ?

    À Vienne, Napoléon voulait couper les liens existant entre les territoires de l’ancien Saint-Empire romain germanique et l’empire d’Autriche.

    À Rome, il existait un affrontement aigu entre l’empire et la papauté pour le contrôle de l’Église. Ces tensions s’étaient concentrées sur l’approbation canonique des évêques par le pape.

    Que sont devenues ces archives ?

    Presque toutes ces archives ont été restituées, à l’exception de documents perdus ou détruits.

    Il a cependant fallu remettre de l’ordre dans ces papiers. Le XIXe siècle a en effet été un siècle de « grand nettoyage des archives » : des papiers considérés comme inutiles ont tout simplement été détruits.

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    Napoléon a-t-il procédé à d’autres pillages d’archives lors de ses conquêtes territoriales ?

    Je préfère parler de confiscations plutôt que de pillages. Ces confiscations ont pris plusieurs formes. Il convient de rappeler qu’il était alors normal qu’un certain nombre d’archives passent d’un souverain à l’autre à l’occasion des conquêtes territoriales. 

    Entre 1806 et 1808, Napoléon fait venir à Paris de nombreuses archives car il avait le projet de faire écrire une histoire générale de la diplomatie française pour justifier les traités de paix signés à Tilsit avec le tsar de Russie en 1807. 

    À partir de 1809-1810, les confiscations d’archives réalisées par Napoléon présentent une double caractéristique : leur ampleur et leur dimension systématique.

    Dans ce cadre, les Français ont procédé à la confiscation des archives espagnoles puis ont élaboré un plan européen de confiscation dans les villes et les États passant sous domination française : aux Pays-Bas et en Italie, par exemple. En Suisse également, mais ce plan de confiscation échouera.

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    Pourquoi Napoléon attachait-il une telle importance aux archives ?

    On sait que Napoléon attachait beaucoup d’importance à l’histoire. Il se voyait comme le continuateur providentiel de l’histoire de France et aimait se comparer aux plus grands personnages historiques. Il était très attentif à l’écriture de sa propre légende. Il était donc sensible à tout ce qui peut exalter ce mythe de l’homme providentiel.

    Ces archives avaient également une valeur pratique pour administrer les territoires conquis, même si, assez rapidement, les choix se concentrèrent sur les documents les plus anciens et considérés comme les plus intéressants d’un point de vue historique.

    S’agissait-il pour lui d’écrire une histoire qui lui soit favorable ?

    Bien sûr, et il ne faut pas s’en étonner. L’histoire était une fonction du pouvoir. Les historiens appartenaient à la classe dominante et écrivaient à la demande de cette classe dominante. De ce point de vue, Napoléon n’a rien d’exceptionnel.

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    On prête à Napoléon cet aphorisme : « Un bon archiviste est plus utile à l’État qu’un général d’artillerie ». Cet aphorisme est-il vrai ?

    J’ignore si cet aphorisme est vrai ! Mais il est vrai que les archives étaient alors vues comme une arme et comme un outil par les gouvernements.

    On dit souvent que l’empire était une « monarchie bureaucratique », et d’une certaine façon, c’est vrai. Le poids de l’administration s’est accru et la bonne tenue des documents était essentielle.

    Bien entendu, Napoléon ne concevait pas la fonction archives comme on l’entend aujourd’hui.

    Vous évoquez à de nombreuses reprises le rôle de Pierre Claude François Daunou. Qui était-il ?

    Daunou était un ancien oratorien, prêtre et professeur qui avait fait une carrière fulgurante sous la Révolution. Après avoir pris parti pour la Constitution civile du clergé, il fut élu député à plusieurs reprises et s’était opposé à la répression des girondins. Cela lui valut de passer plusieurs mois en prison avant d’être réhabilité.

    Il est ensuite devenu un personnage clé sous le Directoire, notamment sur les questions d’éducation et de droit constitutionnel.

    Il a aussi été l’un des soutiens au jeune Bonaparte lors du coup d’État du 18 brumaire avant de prendre ses distances avec Napoléon.

    En 1804, il est nommé archiviste en chef par Napoléon. Il devient alors le véritable moteur dans cette politique de confiscation des archives à l’échelle européenne. Après avoir établi le plan de confiscation des archives, il en assure la mise en œuvre pratique.

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    Est-il possible de dresser un état des lieux des confiscations d’archives commises par Napoléon ?

    Il existe des listes très précises de ces confiscations, mais il faut distinguer ce qui était prévu de ce qui a été réellement fait : certains fonds n’ont jamais été confisqués malgré les injonctions de Daunou.

    Malgré tout, ce qui a été confisqué est gigantesque. Il a fallu des quantités de caisses pour transporter ces archives jusqu’à Paris. Cela a d’ailleurs nécessité une importante logistique pour transporter ces archives vers la France sous la protection des gendarmes car des foyers de rébellion se sont formés face au projet napoléonien.

    Rien que pour Rome, on peut compter plus de 106 000 articles confisqués, environ 34 000 à Vienne et plus de 12 000 à Turin. Le terme « article » peut désigner des actes sur parchemin, des registres, liasses ou cartons, donc une énorme quantité de papiers.

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    Les archives ont-elles toujours été perçues comme un butin au cours de l’Histoire ?

    Oui bien sûr. Il existe de nombreuses études sur les vols d’archives à travers l’histoire. Ces vols avaient plusieurs finalités : la confiscation, la destruction… N’oublions pas que les archives permettent de documenter des privilèges, des pouvoirs, des richesses…

    La Révolution française elle-même avait commencé avec une importante destruction d’archives visant les titres féodaux au cours de la nuit du 4 août 1789.

    En général, ces vols concernent des catégories particulières de papiers, rarement la totalité des archives.

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    Vous écrivez que « les archives apparaissent aujourd’hui comme le maillon faible de la protection du patrimoine », notamment en Italie. Dressez-vous le même constat pour la France ?

    Je ne suis pas à même de faire le même constat concernant la France. Mais je constate que la construction d’un nouveau centre pour les Archives nationales se fait en banlieue plutôt qu’à Paris. Je constate également que, partout, il y a une véritable difficulté à articuler la protection du patrimoine archivistique avec une politique générale du patrimoine. 

    Je pense que nous faisons face à un changement d’époque dans notre rapport à la documentation papier, et à notre rapport au passé tout court. Les innovations technologiques et la production de quantités exponentielles de documentations sur des supports très différents posent des défis colossaux.

    Il ne faut d’ailleurs pas se voiler la face : la recherche historique sur les archives n’est pas la même que celle que l’on pratiquait il y a quarante ans. Cela ne veut pas dire que la conservation et l’accessibilité des archives ne soient pas encore et toujours une mission essentielle pour un État démocratique.

    Mais cela interroge forcément sur la fonction, sur la nature, sur la mission et sur le destin des archives, et ce débat ne doit pas concerner uniquement les professionnels.

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