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Philippe Cahen : « les veilleurs doivent surveiller les signaux faibles »

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    Philippe Cahen : "nous entrons dans une numérisation de l'individu"
  • Philippe Cahen est consultant en prospective. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Signaux faibles, mode d’emploi » qui a reçu le prix de l’intelligence économique en 2011. Il publie également une lettre mensuelle consacrée aux signaux faibles.​

    Vos travaux portent sur la notion de signal faible. De quoi s’agit-il et qu’est-ce que cela peut apporter aux entreprises ?

    La définition du signal faible est compliquée, car chacun a une interprétation personnelle. Le sens commun du signal faible, c’est un petit fait porteur d’avenir. Pour ma part, je pense qu’un signal faible, c’est un fait paradoxal qui inspire réflexion. Ce sont des petites informations, parfois très fugaces, qui donnent des idées. C’est un fait qui va donner une idée au lecteur : « Cela me fait penser à… ».

    Un bon veilleur doit-il être sensible aux signaux faibles qui se passent tout autour de lui et pas seulement dans son champ de vision ?

    Ce que je constate en lisant les lettres de veille que je reçois montre que ce sont des veilleurs et pas des éveilleurs. Il y a une grande différence entre un veilleur qui recueille l’information et l’éveilleur qui se demande : « À quoi cela va-t-il servir ? » Ce sont deux démarches différentes.

    Les lettres de veille demandent généralement des heures de lecture, ce que personne ne peut vraiment faire. Le rôle du veilleur n’est pas de donner l’article qu’il a lu, mais de dire en quelques lignes : « Voilà ce que je ressens en lisant cet article ». Et il doit, bien évidemment, donner les références de l’article.

    Le monde de la veille est-il insensible à cet aspect « éveilleur » ?

    C’est en effet mon sentiment à la lecture des lettres de veille que je reçois. Les veilleurs sont très axés sur leur sujet. Or, il faut également s’intéresser à ce qui se trouve en périphérie du sujet, voire à l’extérieur.Dans le monde économique, tout va très vite. Une entreprise comme Danone n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle était il y a dix ans !

    Vous affirmez que l’imprimante 3D marque le début d’une troisième révolution industrielle. À quoi allons-nous assister dans les années qui viennent ?

    L’imprimante 3D est significative de plusieurs tendances : un esprit de partage que l’on rencontre dans les fablabs, une démarche de relocalisation, ainsi qu’une démarche de réindustrialisation. Nous nous réapproprions des activités que nous avions abandonnées.

    C’est un système qui s’adapte à énormément de domaines et qui répond à la révolution climatique, car il est moins consommateur de carbone. Il est également révolutionnaire, car il va vers une industrialisation « intuitu personae ».

    Mais je dois également dire ma grande déception… La fermeture des usines PSA à Aulnay-sous-Bois aurait pu être l’occasion de transformer ces anciens bâtiments en immense zone d’imprimantes 3D dotés de laboratoires. Située entre les aéroports Charles-de-Gaulle et du Bourget, cette zone aurait pu attirer le monde entier qui serait venu voir fonctionner les imprimantes 3D les plus en pointe.

    Les robots prennent une place de plus en plus importante dans nos vies. Faut-il les craindre ou, au contraire, s’en réjouir ?

    Les robots sont inévitables et il n’y a pas à les craindre ! De tout temps, les innovations ont bouleversé nos métiers et les canuts de Lyon ont manifesté contre les inventions qui menaçaient de supprimer leur métier. Mais on n'imagine plus aujourd’hui utiliser les machines à chevaux avec un maréchal-ferrant. Les voitures sont des formes de robots de plus en plus informatisés et automatisés. Les robots ont pour objectif de faciliter la tâche de l’homme y compris dans les usines.

    Nous connaissions les secteurs primaire (chasse, pêche…), secondaire (industrie) et tertiaire (services). Ce dernier représente aujourd’hui 85 % des emplois en France. Le secteur quaternaire désigne la sous-traitance de certaines activités : publicité, droit, comptabilité, entretien… On pourrait ajouter le secteur quinternaire qui recouvre les domaines de l’innovation, de la créativité, de l’émotion, de l’irrationnel, de la sérendipité… Bref, tout ce qu’un robot ne peut pas faire. Dans le secteur quinternaire, le robot n’est qu’un assistant.

    Nous ne devons pas avoir peur des robots !

    Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons connu les baby-boomers, la génération X, puis la génération Y… Voici venir ce que vous appelez la génération des alpha. En quoi cette génération va-t-elle bouleverser notre société ?

    La génération Alpha est née au tournant du XXIe siècle et elle n’en est qu’à ses débuts. Pour elle, la manipulation de l’informatique est complètement naturelle. Aujourd’hui nous disposons d’outils comme l’ordinateur ou le téléphone pour nous connecter, mais dans quelques années internet sera partout et permanent et cela se fera par la pensée. 

    Nous entrons dans une numérisation de l’individu ce qui bouleversera l’enseignement tel que nous le connaissons aujourd’hui.

    Cette numérisation de l’individu pose de nombreuses questions sur le sort de nos données personnelles…

    Souvenez-vous de Platon craignant l’écriture, car elle risquait de détruire la mémoire : si l’on sait lire, ce n’est plus la peine de mémoriser pensait-il… Au Moyen-Age, l’arrivée de l’imprimerie a également été critiquée, car on pensait que les livres ne devaient appartenir qu’à une élite. Aujourd’hui, les craintes sont du même niveau.

    Il faut faire confiance au législateur et au politique. Il faut en revanche être attentif à ce que l’information ne soit pas utilisée contre un individu pour lui nuire.

    La société française souffre d’une profonde sinistrose. Nous avons pourtant beaucoup d’atouts dites-vous ? Lesquels ?

    La France est le paradis sur Terre ! Les Allemands disent d'ailleurs : « Heureux comme Dieu en France ! ». Nous avons un climat en or, nous sommes à la convergence des cultures latine et anglo-saxonne, nous avons des plaines, des montagnes… Nous sommes également un pays avec une sensibilité culturelle, artistique et émotive extraordinaire. Dans les domaines de la philosophie, de la musique et de la peinture, nous avons une créativité remarquable. Peut-être est-ce pour cela que nous sommes donneurs de leçons au reste du monde. 

    Problème : tout cela s’est arrêté vers les années 1950-60. Je suis frappé de voir le nombre d’Américains qui sont venus vivre à Paris… jusqu’aux années 50-60. Mais cela est terminé. La France s’est éteinte petit à petit.

    Comment expliquez-vous cette extinction ?

    Cela n’est dû ni à la gauche, ni à la droite. C’est très culturel. Prenez l’exemple de Valéry Giscard d’Estaing qui a créé des allocations protégeant les chômeurs pendant leur recherche d’emploi, mais qui a également favorisé les gens qui ne veulent pas travailler. Cette décision n’a été critiquée par personne, car tout le monde y était favorable la main sur le cœur.

    Le programme du Conseil national de la Résistance, après la guerre, était complètement euphorique. Mais nous n’avons pas vu les effets pervers de ce système qui a été pensé pour une population d’environ 40 millions alors que la France compte aujourd’hui 66 millions d’habitants qui vivent majoritairement dans les villes.

    La France se vit comme un pays qui donne des leçons, mais qui n’ose pas se regarder lui-même. Aujourd’hui Picasso et Chagall vivraient plutôt à Shanghai et à Tokyo qu’à Paris !

    La prochaine révolution sera celle des « moodtech » selon vous. De quoi s’agit-il ?

    Le terme « mood » désigne l’humeur d’une personne. La « moodtech » apportera une meilleure compréhension de soi grâce à des appareils capables de capter notre humeur : un téléphone, une montre, un bracelet… Nous avons besoin d’un doudou qui nous parle, qui nous répond, avec qui on pourrait discuter. Ce capteur connaîtrait nos pulsations cardiaques, notre diabète ou notre façon de bouger. Il pourrait nous suggérer des activités et faire du prédictif. 

    Le cinéma a déjà évoqué cette question avec le film « Her » de Spike Jonze où Scarlett Johansson est la voix de l’ordinateur qui s’adresse au propriétaire de l’ordinateur. Le propriétaire tombe progressivement amoureux cette voix…

    Mieux se connaître soi-même et aurait pu être le prochain chantier de Steve Jobs. Mais depuis sa mort, en 2011, un nouveau génie est attendu chez Apple ou chez… Google ? Samsung ?…

    Suivre Philippe Cahen sur Twitter : @SignauxFaibles

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