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Intelligence économique : conjuguer secret et innovation

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    "Pour obtenir la suprématie en matière d’intelligence artificielle ou de quantique, les outils classiques de veille technologique ne vont plus suffire", explique Philippe Clerc, président de l’Académie de l’intelligence économique. (Canva)
  • Les activités de l’intelligence économique (IE) constituent un véritable soutien aux processus d’innovation. En plus de l’anticipation des tendances, de l’influence et du management de l’intelligence collective, l’IE peut également jouer un rôle pour la protection des innovations.

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    illustration-vince-enquete-ie-innovation-secret.jpgLa question de l’impact de l’innovation sur les sociétés et sur la puissance économique est d’actualité. Sa protection représente donc un enjeu majeur pour les organisations et l’intelligence économique (IE) a un véritable rôle à jouer.

    "L’IE est une plus-value dans la recherche d’informations stratégiques, mais aussi dans la protection des organisations", estime Steven Deffous, formateur et analyste au sein du cabinet d’intelligence économique Axis&Co, spécialiste en cybersécurité et Osint. "Car sa finalité réside dans la prise de décision. Ainsi, la méthodologie et les outils de l’Osint permettent d’activer divers moyens qui vont nous aider à nous protéger, voire à anticiper les risques : comme la mise en place d’une veille concurrentielle, stratégique ou encore technologique, afin de cartographier et d’analyser son environnement (identification des risques, surveillance des tendances d’un marché, due diligence…)."

    Veille, Osint & intelligence artificielle

    François-Xavier Meunier a cofondé GraphMyTech en 2020. L’entreprise se base sur l’intelligence artificielle et la théorie des graphes pour cartographier et analyser toutes les ressources internes et externes (brevets, bases de données, publications scientifiques…) nécessaires à un service de R&D.

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    "Le logiciel propose des recommandations aux entreprises afin qu’elles puissent optimiser leur potentiel d’innovation", détaille François-Xavier Meunier. GraphMyTech explore une double entrée du secret, puisque l’outil permet de réaliser une analyse stratégique afin de faire la chasse aux secrets de manière légale tout en se protégeant : la formulation des requêtes sur un axe de recherche et les restitutions évoluent en vase clos au sein de l’organisation.

    Cependant, comprendre ses propres points de fragilité semble aussi un prérequis dans la protection de l’innovation. "La première vulnérabilité se trouve entre l’écran et le sol : c’est l’humain !", avertit Steven Deffous. "Les utilisateurs et les collaborateurs sont vraiment les maillons faibles du système. Il est nécessaire d’avoir une bonne hygiène cyber, par exemple en effectuant des audits de sécurité, pour améliorer la défense de son système d’information. C’est ce que propose Cartesian Lab, société sœur d’Axis&Co."

    Une grille de lecture quasi paranoïaque

    Pour Philippe Clerc, président de l’Académie de l’intelligence économique et de l’Association internationale francophone d’intelligence économique, l’intelligence économique permet de disposer d’une grille de lecture "quasi paranoïaque" pour décrypter l’ensemble des pièges à affronter pour protéger une innovation.

    Outre les techniques de veille, la création d’une sphère d’influence autour d’un savoir-faire technologique peut être un dispositif offensif. Par exemple, en prenant le contrôle de la normalisation dans les marchés visés ou en utilisant l’innovation comme un "soft power". L’École de Guerre économique a d’ailleurs publié récemment un rapport sur la guerre normative et les stratégies d’influence dans le domaine de l’intelligence artificielle.

    "Le lobbying est souvent remis au centre du débat public", poursuit Steven Deffous. "Depuis la loi Sapin II, promulguée en 2016, il n’y a pas vraiment de régulation des pratiques de lobbying et d’influence. Aux yeux du grand public, elles sont toujours considérées comme opaques et antidémocratiques. Pourtant, nous pouvons faire du lobbying éthique et cela peut être une arme pour protéger son patrimoine."

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    Open innovation et secret

    Chercheur à l’école Polytechnique, Jonathan Langlois s’est intéressé à la pratique de l’open innovation dans un domaine où le secret est monnaie courante : la défense. Dans le cadre de sa thèse "Les dynamiques de management du secret dans l’innovation ouverte — le cas de l’industrie de la défense", le chercheur s’est immergé dans un grand groupe de défense et a réalisé plusieurs entretiens avec des acteurs de l’innovation.

    "Le point de départ de mes recherches rassemble plusieurs interrogations : une organisation peut-elle être secrète dans l’open innovation et est-il possible de pratiquer l’open innovation en étant protégé ?", explique-t-il. À travers cette série d’entretiens, Jonathan Langlois met en évidence deux grandes manières d’opérer : "il y a les pratiques cognitives, qui visent à transformer les connaissances mises en jeu, et celles plutôt relationnelles, qui visent à limiter l’étendue des connaissances."

    Cependant, ces pratiques posent la question de l’authenticité et de l’appauvrissement des données échangées en open innovation. "Mon travail a porté sur la conceptualisation, les situations intéressantes et les limites de ce dilemme entre pratiques du secret et partage de connaissances dans les projets d’open innovation."

    Super titans et crise climatique vs secret

    Pour Philippe Clerc, de nouveaux paradigmes poussent l’intelligence économique à évoluer. Les cycles foudroyants des innovations développées en dehors des entreprises cassent les codes. Selon le cabinet de conseil Accenture, l’heure est à l’anticipation, voire à la divination !

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    "Sur ce point, l’IE doit se réinventer", explique Philippe Clerc. "Nous sommes dans ce que les Chinois appellent “la nouvelle forme de conflictualité”. En d’autres mots : la guerre des intelligences. Dans cette quête pour obtenir la suprématie en matière d’intelligence artificielle ou de quantique, les outils classiques de veille technologique ne vont plus suffire."

    De plus, les prospectivistes américains préfigurent l’arrivée de nouveaux titans industriels dans les dix à vingt prochaines années. "Ces plateformes géantes intégreront des millions de petites entreprises pour fonctionner sur différents secteurs d’activité et serviront les marchés de proximité grâce à des réseaux d’imprimantes 3D."

    Des colonnies numériques

    Dans ce contexte, quelle intelligence économique mettre en place pour se protéger ? Comment allons-nous y chercher de l’information ? "Nous devenons des colonies numériques", poursuit le président de l’Académie de l’IE. "Nous avons perdu la bataille des données personnelles et c’est aujourd’hui un défi majeur de ne pas perdre celle des données d’entreprise. C’est un enjeu qui se joue actuellement au niveau de l’Europe."

    Enfin, le défi environnemental constitue une transformation dans l’usage même du secret. "La planète est dans une phase de mutation extrême", confirme Philippe Clerc. "Pour citer le sociologue Edgar Morin, nous avons une “communauté de destin” qui impacte fondamentalement tout le processus d’innovation."

    Frugales, ouvertes, évoluant dans une phase de décroissance… Les innovations du futur vont aussi être impactées par des choix de société. "En cela, l’intelligence économique permettra toujours d’analyser, d’anticiper et de faire ce travail d’intelligence augmentée pour analyser les catastrophes et leurs impacts", conclut-il.

    Face à la crise climatique et dans cette « communauté de destin », le secret aura-t-il toujours sa place ?

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