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Affaires sensibles : découvrez comment se prépare l'émission culte de France Inter

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    Découvrez quels professionnels contribuent à la préparation de l'émission Affaires Sensibles, de France Inter, et comment ils travaillent. (Crédit photo : France Inter)
  • En huit ans, « Affaires sensibles » est devenue un véritable phénomène de radio. Entrez dans les coulisses de l’émission culte de France Inter qui transporte chaque jour les auditeurs au cœur d’un grand dossier historique. Découvrez quelques-uns des professionnels qui se cachent derrière la voix de Fabrice Drouelle et leur travail documentaire considérable.

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    « C’est l’histoire qui explique l’actualité. C’est notre mémoire vive que nous allons solliciter ». C’est avec ces mots que débute « Vol 8969 Alger-Paris : trois jours d’angoisse en direct », le tout premier épisode d’Affaires sensibles diffusé sur France Inter le 25 août 2014 à 15 heures.

    La voix de Fabrice Drouelle, qui présente l’émission, n’est alors pas inconnue des auditeurs de la chaîne (il officie sur ses ondes depuis 1988), mais certains regrettent un temps « Là-bas si j’y suis » qui occupait jusque-là cette case de l’après-midi.

    Pourtant, le public se passionne rapidement pour les comptes-rendus de ces grandes histoires et s’attache à cette voix rassurante devenue emblématique de l’émission.

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    "Ce n'est plus le même rythme qu'avant"

    Elle est loin l’époque où seuls deux auteurs rédigeaient en trois jours ces récits documentaires quotidiens qui embarquent le public au cœur d’un dossier ou d’un événement. Un sac de couchage trônait même dans la petite bibliothèque de l’équipe pour les longues nuits d’écriture.

    Avec ses 700 000 auditeurs quotidiens et près de 6 millions de téléchargements mensuels (c’est l’une des émissions les plus podcastée de France), Affaires sensibles a depuis changé de dimension  (l'émission est aujourd'hui déclinée en plusieurs formats : livre en 2020, pièce de théâtre et émission de télévision en 2021) et élargi son équipe.

    « Vingt et un auteurs tournent aujourd’hui pour préparer les épisodes de la semaine », explique le documentariste Romain Weber qui a rédigé une quarantaine d’émissions en trois ans. « Aucun d’entre nous ne travaille à plein temps pour Affaires sensibles et on nous encourage d’ailleurs à réaliser d’autres projets pour nourrir notre inspiration. Mais lorsque nous avons un sujet, nous sommes responsables chacun de notre épisode et avons une semaine environ pour le préparer. Ce n’est plus le même rythme qu’avant ».

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    Éclairer le présent par l’histoire

    Christophe Barreyre, le rédacteur en chef de l’émission, en est l’architecte. C’est lui qui centralise les sujets proposés par les auteurs et les mûrit. Et si l’émission puise dans les grandes affaires du passé (fait divers, politique, économique, social ou culturel), son planning ne se construit jamais plus d’un mois et demi à l’avance.

    « L’idée est d’éclairer le présent par l’histoire », explique Romain Weber ; « il est donc fréquent que des sujets s’imposent au dernier moment ». Ce fut le cas en mars dernier, avec la diffusion d’une dizaine d’épisodes consacrés à l’Ukraine et à la Russie, et une « Semaine Algérie ». Une « Histoire de l’extrême droite française » en cinq épisodes tout comme une série consacrée aux « déroutes présidentielles », en avril, se sont également imposées à l’occasion des dernières élections.

    Si les récits de faits divers ont contribué au succès de l’émission, ils ne représentent pourtant que 15 % des sujets d’Affaires sensibles. « C’est l’une de mes thématiques de prédilection », explique la journaliste Constance Vilanova, également autrice. « Je trouve d’ailleurs que l’émission lui redonne ses lettres de noblesse, loin de tout sensationnalisme ».

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    La recherche d'informations

    Une fois un sujet attribué à un auteur, l’organisation dépend de chacun. « Il faut savoir faire preuve de rapidité et d’efficacité », explique Romain Weber qui consacre, pour chaque épisode, deux à trois jours à la recherche d’informations.

    Constance Vilanova apprécie cette phase préparatoire :

    « Pour m’imprégner d’un sujet, j’ai d’abord besoin de voir et d’entendre des choses assez générales », explique-t-elle. Tous les moyens sont bons : recherches sur internet (« Wikipédia est devenu une source assez solide », précise la journaliste), veille média (« nous disposons de nombreux abonnements à la presse en ligne »), documentaires (« plus facile pour prendre des notes »), archives de l’Ina (« je fais moi-même mes recherches pour gagner du temps »), ouvrages (« via la gigantesque bibliothèque de Radio France »), etc. « On collecte tout », confirme Romain Weber.

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    La documentation de Radio France

    Pour les aider dans leurs recherches, ils sont épaulés par Rébecca Denantes, attachée de production de l’émission, qui les conseille sur un livre de référence ou leur suggère un invité.

    Surtout, les auteurs d’Affaires sensibles ont la chance de bénéficier de la collaboration des documentalistes de Radio France. « Nous leur envoyons une demande de documentation par mail, puis nous passons la récupérer quand elle est prête », explique Romain Weber ; « ils sont d’une rapidité incroyable ! ».

    Corinne Chauvel, qui est documentaliste au sein de la documentation d’actualité de Radio France depuis plus de vingt ans, reçoit ce type de demandes — elle en reçoit de toutes les chaînes du groupe. Spécialisée dans les sujets de société (affaires criminelles, police-justice, etc.), elle répond quand son périmètre est concerné.

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    « Notre service est composé de neuf personnes et fonctionne avec deux équipes qui tournent de 9 heures à 20 heures », explique-t-elle ; « mais notre métier est régulièrement menacé : nous étions près du double lorsque je suis arrivée ».

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    Fouiller dans les archives

    Le travail de recherche documentaire dépend de la date du sujet : tous les articles de presse publiés depuis 1991 sont numérisés et disponibles dans une base informatisée. Le reste du fonds, qui s’étend de 1945 à 1991, est de son côté disponible au format papier.

    « Il faut alors faire une demande d’archives », poursuit Corinne Chauvel, « et le plan de classement n’est pas toujours très précis. Quelle satisfaction, quand on tombe sur le bon dossier ! ». Imaginez devoir chercher les archives de presse sur Gisèle Halimi et le procès de Bobigny qui s’est tenu en 1972, à une époque où le plan de classement rangeait l’avortement dans la catégorie « fléau social ». « J’avais sept dossiers dans cette catégorie avec quelques dates seulement », explique la documentaliste ; « j’ai dû fouiller et bien sûr mettre à jour ensuite le plan de classement ».

    Travailler sur une affaire criminelle peut nécessiter une double recherche : « On peut avoir le procès dans la base, mais pas les faits eux-mêmes, s’ils sont antérieurs à 1991 », poursuit-elle.

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    Trouver une pépite

    Il arrive parfois que Corinne Chauvel tombe sur ce qu’elle appelle une « pépite », c’est-à-dire un document rare qui peut donner un véritable éclairage sur un sujet. Ce fut le cas avec cette « photo » du fantôme du château de Veauce, prise en 1984 par le journaliste qui enquêtait sur l’affaire, ou celle du tueur en série Thierry Paulin qui danse dans une boîte de nuit.

    « Tomber sur un document pareil peut aider les auteurs à construire leur émission », s’enthousiasme Corinne Chauvel ; « pour certains sujets, je ne pense pas qu’ils puissent trouver l’équivalent de nos archives ailleurs ». La documentaliste, elle-même auditrice de l’émission, l’écoute avec cette double « oreille » : « Bien sûr, on souhaiterait que certains trésors soient mis en valeur, mais je ne porte jamais de jugement sur ce qu’ils ont fait des documents qu’on leur a fournis ».

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    Raconter une histoire

    Vient ensuite la phase d’écriture. « Il faut alors extraire de toute cette documentation les trois idées essentielles, quelques détails et un peu de gras pour enrober le tout », explique Romain Weber. Le travail de récit devient alors quasi scénaristique : « Découpée en différentes scènes, une affaire se transforme presque en fiction », ajoute-t-il. La confiance est totale du côté du rédacteur en chef et la censure absente du fonctionnement de l’équipe.

    Chacun des auteurs a son propre style, mais ils ont tous appris, avec le temps, à écrire pour Fabrice Drouelle qui est l’incarnation d’Affaires sensibles. En contact permanent avec eux, le présentateur retouche les textes pour leur apporter sa patte.

    Il reste alors une dizaine de jours avant la diffusion pour organiser la venue d’un invité et pour que le réalisateur monte et arrange les sons d’ambiance ou d’archives qui illustreront le sujet.

    Puis sonne 15 heures. Le jingle de France Inter retentit. Depuis un petit studio feutré, il est temps pour Fabrice Drouelle de raconter une histoire. Cette affaire qu’il relate est sensible. Forcément. Puisqu’elle est aussi celle de tous les professionnels qui ont contribué à la préparer.

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