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Samuel Buisseret : dans la tête d'un complotiste repenti

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    "La désinformation est le reflet de notre humanité : nous alternons en permanence entre l’intuition et la réflexion", explique Samuel Buisseret. (Sunday Pistols Studio)
  • Théorie du complot, désinformation, esprit critique... Rencontre avec Samuel Buisseret, auteur de l’ouvrage « Arrêtez de croire n’importe quoi ! L’autodéfense intellectuelle par un complotiste repenti », publié aux Éditions De Boeck Supérieur. Retrouvez le podcast en fin d'article.

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    Vous vous présentez comme un complotiste repenti : à quelles fadaises avez-vous cru ?

    J’ai coché toutes les cases du « Bingo » ! Très tôt, j’ai baigné dans des croyances toxiques, puisque mon père nous avait embrigadés dans les Témoins de Jéhovah. Puis, à l’âge de dix ans, j’ai découvert la thématique des Ovnis qui était particulièrement présente en Belgique à cette époque.

    Chemin faisant, je me suis bricolé une petite spiritualité en agglomérant le magnétisme, le tarot… Tout cela pour finalement aboutir à une vision ésotérique du monde. Les attentats du 11 septembre 2001, le développement d’internet et l’horizontalisation du marché de l’information ont également alimenté mon raisonnement complotiste.

    Lire aussi : Mônica Macedo-Rouet : "Évaluer l’information est une opération cognitive coûteuse"

    Avez-vous également été attiré par des opinions politiques radicales ?

    Pas particulièrement, car je vis en Belgique et l’engagement politique n’y est pas particulièrement marqué. Mais il est vrai que les extrémismes politiques sont hautement corrélés avec la production de théories du complot.

    Un événement particulier vous a-t-il fait changer d’avis ?

    Je dis toujours qu’on entre dans le complotisme par malchance et qu’on en sort par chance. J’ai vécu une histoire tragique qui m’a permis de suspendre mon jugement et de réviser mes croyances. Sans cet événement dramatique, peut-être ce livre contiendrait-il tout l’inverse de ce qu’il raconte. Peut-être aurais-je persévéré dans cette façon de penser le réel.

    Dans la préface de votre ouvrage, le sociologue Gérald Bronner souligne que vous avez traversé « un long tunnel de crédulité » et qu’il faut « beaucoup de courage et d’honnêteté intellectuelle » pour le reconnaître. Cette prise de conscience se fait-elle dans la douleur ?

    Cette prise de conscience est en effet douloureuse parce qu’elle implique une phase de désenchantement. On passe de la quasi-certitude que les reptiliens sont à l’origine des malheurs du monde à un sentiment de dépossession de « la vérité ». On quitte le monde des théories du complot et de l’ésotérisme pour un monde froid, mécaniste et déprimant.

    Les théories du complot sont une source d’émerveillement, mais la science va bien plus loin : entre la gouvernance mondiale des Illuminati et les étrangetés quantiques, on passe de l’incroyable à l’inimaginable.

    Aujourd’hui, je me pose toujours les mêmes questions que lorsque j’étais complotiste, mais je le fais avec la méthode sceptique, fondée sur la démarche scientifique, qui me permet de trouver des réponses beaucoup plus robustes.

    Comment expliquer le succès de la désinformation ?

    La désinformation est le reflet de notre humanité : nous alternons en permanence entre l’intuition et la réflexion. L’intuition est très utile, face au danger par exemple, mais elle crée aussi une sensation de vérité sans aucune vérification. C’est un des leviers du raisonnement complotiste. Il est par ailleurs facilité par les réseaux sociaux qui nous enferment dans des biais de confirmation.

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    Vous évoquez les biais cognitifs, les sophismes, les moisissures argumentatives… quelles sont les illusions logiques les plus répandues ?

    Le biais de confirmation est particulièrement répandu aux côtés du déshonneur par association (discréditer sur la base de points communs) et de l’argument d’autorité ("moi, prix Nobel, je vous dis que le vaccin est mauvais pour la santé, alors que je suis physicien et pas médecin").

    Notre cerveau fonctionne avec des raccourcis parce que nous ne pouvons pas tout vérifier systématiquement. Dans la vie courante, l’ensemble de ces biais ont des applications tout à fait justifiables : par exemple, les biais de confirmation sont indispensables à quelqu’un qui doit prendre confiance en lui. Nous devons reconnaître que nous fonctionnons tous à un moment ou à un autre sur la base de biais et des raccourcis.

    Développer un esprit critique, c’est avoir conscience de cela : nous ne disposons que d’un aperçu du réel avec lequel nous bricolons comme nous pouvons.

    Comment développer l’esprit critique pour déjouer ses propres biais cognitifs ?

    L’esprit critique, c’est avant tout une direction vers laquelle se tourner. Cette direction est simple : au lieu de s’intéresser à "qui croire" et à "que croire", il faut s’intéresser à "pourquoi croire". En se posant cette question, on s’aperçoit que les raisons d’y croire sont toujours plus lourdes de sens que le "qui" et le "que" croire.

    Avec un peu d’entraînement, ces petites alertes rouges se déclenchent lors de discours douteux et nous invitent à nous méfier.

    Face à la désinformation, vous conseillez à vos lecteurs de créer leurs propres signaux d’alerte. Concrètement, que faut-il mettre en place ?

    Mon livre présente de nombreux travaux en lien avec l’esprit critique issus de différents domaines : les sciences cognitives, la philosophie, la sociologie… Il évoque aussi les techniques des journalistes qui s’emploient à démystifier les fake news.

    Dans son ouvrage « Les origines intellectuelles du léninisme », l’historien Alain Besançon a eu cette formule célèbre : « Lénine ne sait pas qu’il croit. Il croit qu’il sait. » Dans le domaine politique, la croyance est-elle plus mobilisatrice que la connaissance ?

    Malheureusement, oui. Je constate que pour mobiliser une opinion, les leviers les plus efficaces sont les émotions fortes telles que la peur, l’indignation, mais aussi l’émerveillement et la surprise. Toutes ces émotions permettent de rassembler les gens et de les orienter vers une cause.

    La politique, c’est en effet de la foi, des croyances et des projections. Et il faut bien comprendre que l’être humain est un être de croyance qui ne peut que croire. Mais certaines croyances présentent la particularité d’être hautement prédictives : avec le temps, c’est devenu la démarche scientifique.

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    Votre chaîne YouTube « Mr. Sam — Point d’interrogation » compte près de 130 000 abonnés et génère beaucoup de commentaires. Pourquoi avoir pris la décision de l’arrêter ?

    Je n’ai pas arrêté cette chaîne, j’ai décidé d’arrêter de la professionnaliser. Et cela pour plusieurs raisons : d’abord, il semblerait que YouTube ne promeuve plus que les chaînes en croissance permanente. Or, avec mes 130 000 abonnés, j’ai probablement atteint mon plafond d’audience.

    YouTube est donc en train d’invisibiliser mon travail. Ensuite, certains soutiens financiers qui constituaient en partie mon système de rentabilité ont mis la clé sous la porte. Enfin, ce que l’on appelle "la communauté sceptique" traverse une forme de crise et se perd dans des questionnements politiques qui ne me conviennent pas.

    Elle traverse également une phase très médisante : elle a tendance à dire qui a tort, mais pas à se critiquer elle-même.

    Qu’avez-vous retenu de cette expérience sur YouTube en matière de désinformation, notamment via les commentaires qui sont déposés par les internautes ?

    J’ai pu voir d’authentiques théories du complot s’élaborer sur ma personne : certains commentaires affirment que je suis payé par le laboratoire Monsanto et les "big pharma". D’autres sont persuadés que je suis membre de groupes ésotériques sur la seule base des mouvements que je fais avec les mains ! J’ai également reçu des menaces émanant de la sphère djihadiste…

    Ces commentaires m’ont au moins permis de tester les choses et de développer des techniques de conversation différentes des discours frontaux qui ne fonctionnent pas dans le cadre des théories du complot. Ces techniques ne braquent pas les gens avec qui je parle.

    Elles me permettent d’explorer leurs croyances et d’instiller le doute chez eux. L’esprit critique, c’est cela : instiller le doute et mettre un petit caillou dans les chaussures de ses certitudes.

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