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Mônica Macedo-Rouet : "Évaluer l’information est une opération cognitive coûteuse"

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    "Les adolescents ne sont pas dupes face à la recherche d’information sur internet et à la nécessité d’évaluer les contenus informationnels qu’ils y trouvent." (DR)
  • Mônica Macedo-Rouet est professeure des universités en psychologie (CY Cergy Paris Université). Ses recherches portent sur la lecture numérique et la formation des jeunes à l’évaluation de l’information. Elle est également l’auteure de « Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information » (C&F Éditions).

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    Votre ouvrage s’adresse notamment aux professeurs-documentalistes en poste dans les collèges et les lycées. Que sait-on des compétences des élèves en matière de recherche d’information ?

    Il y a des choses que l’on sait et des choses que l’on ne sait pas encore, car la recherche sur ce sujet, pourtant ancienne, progresse constamment. Ce que l’on sait, grâce aux nombreuses enquêtes et études expérimentales, c’est que les adolescents ne sont pas dupes face à la recherche d’information sur internet et à la nécessité d’évaluer les contenus informationnels qu’ils y trouvent.

    On sait également que beaucoup d’adolescents sont préoccupés par la qualité de l’information. Ils sont conscients de la désinformation qui circule sur le web et du besoin de séparer le vrai du faux.

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    Mais comment faire tout ce travail d’évaluation ? Il y a là un décalage entre ce que les adolescents pensent être capables de faire et ce qu’ils font réellement. Diverses études montrent, par exemple, que les adolescents ne prêtent pas suffisamment attention à la source des informations lorsqu’ils lisent différentes pages web sur un même sujet.

    Ils s’intéressent davantage au contenu (ce qui est dit) qu’à la source (qui le dit et où il le publie).
    On note une tendance chez les adolescents à surestimer leurs capacités à sélectionner l’information et à évaluer la qualité de cette information.

    C’est un trait que l’on peut retrouver chez les adultes !

    Tout à fait ! Mais ce biais est très important chez les adolescents, car ils passent énormément de temps sur internet. Par ailleurs, ils sont encore en phase de développement de leurs capacités cognitives et métacognitives (c’est-à-dire, la capacité à réguler son activité). On note également leur demande à être formés et accompagnés à l’évaluation de l’information. Aujourd’hui, ils ne le sont pas forcément : cette formation est très modeste.

    En tant que professeure au sein de l’université Cergy Paris Université, quel regard portez-vous sur l’agilité informationnelle des étudiants ?

    Je peux vous parler du public de licence et je constate que leurs compétences sont très diverses. Elles dépendent de leurs connaissances initiales sur leur sujet d’étude et sur les documents, qui aident à évaluer l’information en ligne.

    Tous les étudiants ne sont pas armés de la même façon pour lire et comprendre les textes et les vidéos publiés sur internet. Lors de l’entrée en licence, on note de forts écarts entre les étudiants. Il faut également tenir compte de leur motivation : selon les circonstances, certains d’entre eux sont très motivés pour évaluer l’information, d’autres le sont moins.

    Je précise que ce processus d’évaluation est coûteux : sélectionner l’information et distinguer le vrai du faux sont des opérations cognitives coûteuses. Il faut en effet avoir non seulement des connaissances, mais aussi une motivation pour se demander si ce qu’on lit est de qualité ou non.

    Lire sur un écran est devenu une activité quotidienne pour presque tout le monde. Lit-on mieux, ou moins bien, sur un écran ?

    Cela dépend du type d’activité de lecture dont on parle. Des études récentes — que l’on appelle des méta-analyses — montrent que le papier conserve un léger avantage sur l’écran pour la lecture-compréhension d’un texte rédigé. Cela s’explique par plusieurs facteurs : la lecture sur écran est plus fatigante pour les yeux, les opérations de type « scrolling » peuvent distraire le lecteur…

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    Malgré les progrès technologiques accomplis par les écrans, la lecture sur papier reste plus efficace pour la compréhension selon la situation.

    Les écrans offrent pourtant de nombreux avantages aux lecteurs…

    Oui, par rapport au papier, la lecture à l’écran propose en effet des avantages considérables en matière de recherche d’information : la fonction de recherche grâce aux touches « Ctrl + F », par exemple, ou les liens qui permettent de naviguer d’un contenu à un autre. Mais tous ces avantages constituent aussi une charge cognitive qui, pour la lecture de textes longs, peut affaiblir la compréhension.

    Vous citez une étude portant sur des élèves français et brésiliens âgés de 13 à 17 ans qui recourent à YouTube pour trouver des informations scientifiques. Quelle est la place de la vidéo dans la recherche d’information ?

    Aujourd’hui, la place de la vidéo est considérable pour les adolescents. La vidéo recouvre une variété d’usages : le divertissement, l’information, mais aussi un usage hybride avec des vidéos qui se situent entre le scolaire et le divertissement, comme ces chaînes consacrées aux sciences par exemple.

    Il existe d’excellents Youtubeurs scientifiques qui permettent de découvrir et d’approfondir certains sujets.

    Ces chaînes sont un moyen intéressant de découverte à condition d’être capable d’évaluer la source. Par exemple, le Youtubeur : est-il compétent lorsqu’il parle de tel sujet ? Quels sont ses biais idéologiques ? Défend-il certains intérêts (par exemple, commerciaux) via des partenariats ? Il ne faut pas s’en tenir aux indices superficiels comme la popularité d’une chaîne.

    Les adultes doivent « donner des billes » aux adolescents pour les aider à évaluer les chaînes YouTube qu’ils suivent : certaines sont excellentes et d’autres posent problème.

    Vous plaidez pour une éducation à la réflexion sur les informations. Comment faire ?

    Vaste question ! Il existe plusieurs pistes. La première est de s’inspirer des études scientifiques qui ont évalué les interventions pédagogiques. Ensuite, il faut donner une place dans les programmes scolaires à l’enseignement de l’évaluation de l’information. Cette place est aujourd’hui naissante avec l’introduction de l’éducation aux médias et à l’information en 2015.

    Malheureusement, trop peu d’heures sont consacrées à cette éducation et on note une insuffisance des méthodes et des indications de ce qu’il faut faire.
    Nous sommes donc face à une multitude d’initiatives dont on ne sait pas si elles sont efficaces. Nous devons donc encore travailler sur ce sujet, lui trouver une place et le doter d’un programme viable.

    Qui doit être en charge de l’éducation aux médias : les professeurs-documentalistes ? Les bibliothécaires ? Les parents ?

    Les professeurs-documentalistes sont bien sûr en première ligne ! Ce sont des professionnels de l’information qui ont des connaissances et une expertise dans ce domaine. Ils peuvent notamment dire comment l’évaluation de l’information peut être appliquée dans toutes les disciplines, à condition de travailler de façon interdisciplinaire avec les autres professeurs.

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    L’évaluation de l’information est un besoin constant, et pas seulement lorsque l’élève se rend au CDI. La question de l’évaluation de l’information ne doit pas être réduite à la sphère scolaire. Je pense aux organismes de la vie civile qui peuvent s’en emparer : les centres de loisirs, les musées de sciences, etc.

    On peut imaginer des interventions sous forme ludique pour sensibiliser les jeunes à la désinformation. C’était l’objectif de ma recherche au sein du laboratoire Experice de l’université Paris 8, qui a soutenu mon projet d’ouvrage. Les familles, quant à elles, sont accompagnatrices des enfants dans leurs devoirs. Elles peuvent l’être dans ce domaine également.

    Votre ouvrage est préfacé par Alexandre Serres, maître de conférences honoraire à l’université Rennes 2 et auteur de l’ouvrage « Dans le labyrinthe : évaluer l’information sur internet ». S’inscrit-il dans le même esprit ?

    En effet, j’ai été très honorée qu’Alexandre Serres accepte de préfacer mon ouvrage. J’ai été très inspirée par son livre publié en 2012, dont j’espère pouvoir modestement m’inscrire dans la continuité.

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