Publicité

Frédéric d’Oria-Nicolas : "Les bandes originales sont comme des toiles de maître que personne n’a jamais regardées"

  • frederic-doria-nicolas-the-lost-recordings.jpeg

    frederic-doria-nicolas-fondateur-the-lost-recordings
    « Nous sommes là pour révéler ce qui existe déjà : en le nettoyant de tout ce qui peut gêner la dégustation de ces pépites ». (The Lost Recordings)
  • Fondateur du label The Lost Recordings, Frédéric d’Oria-Nicolas parcourt le monde à la recherche d’enregistrements d’artistes de légende. En créant son propre système de restauration, le pianiste exhume des trésors inédits. Retrouvez le podcast en fin d'article.

    mail Découvrez L'Archiviste Augmenté, la newsletter thématique gratuite d'Archimag dédiée aux professionnels des archives et du patrimoine !

    Comment est né The Lost Recordings ?

    Cette aventure a débuté comme toutes les plus belles aventures : par des rencontres et des hasards ! J’ai eu la chance d’écouter des pressages originaux mythiques de Wilhelm Furtwängler ou encore de Sergueï Rachmaninov en 78 tours et je pensais que la qualité d’enregistrement et de restitution était une fatalité.

    Jusqu’au moment où j’ai entendu un disque d’époque sur un système très haut de gamme. Je voulais comprendre pourquoi les sons digitaux étaient d’aussi mauvaise qualité par rapport à ce que j’entendais. À l’époque, je travaillais avec l’entreprise Devialet (entreprise française de systèmes audio), qui disposait à ce moment-là du plus gros département de R&D du monde.

    Lire aussi : Imes ouvre son nouveau site de conservation à Pantin

    C’était incroyable : j’ai pu poser toutes mes questions à ses ingénieurs et Quentin Sannié, le fondateur et directeur de l’entreprise, m’a soutenu et aidé dans mes recherches. L’idée de départ était de restaurer des enregistrements mythiques, mais il fallait pour cela que j’accède à la source originale. C’est ainsi que nous avons mis au point le procédé baptisé Phoenix Mastering.

    Durant mes recherches, j’ai également rencontré Michel Navarra, ex-partner de KPMG en France et fils du grand violoncelliste André Navarra. J’avais très envie de travailler sur les enregistrements avec orchestre de son père.

    Nous avons fait le tour de toutes les archives européennes et nous avons fini par atterrir à Hilversum, aux Pays-Bas. Dans les archives néerlandaises, nous avons fait la connaissance d’un archiviste, Piet Tullenaar, qui s’est montré intéressé par notre procédé. Il nous a présenté une dizaine de bandes d’Ella Fitzgerald, de Bill Evans ou encore d’Oscar Peterson et un Sarah Vaughan de 1975.

    Nous nous sommes rendu compte qu’aucun de ces enregistrements n’avait encore été publié et c’est comme ça que l’aventure a débuté.

    Comment avez-vous organisé vos recherches ?

    C’était très compliqué ! Nous n’avions pas accès aux bases de données et procédions de multiples manières. Nous imaginions par exemple que tel artiste ou tel artiste avait pu se produire à un endroit pendant une période donnée et nous dressions des listes.

    Nous avons également profité du bouche-à-oreille, avancé au petit bonheur la chance, ou en nous basant sur les affiches de salles de concert ou de festivals. Nous réalisions de nombreuses recherches sur internet en amont et il nous arrivait parfois de tomber juste !

    Nous nous adressions ensuite à la BBC ou à Hilversum pour leur demander s’il y avait une trace de quelque chose. La plupart du temps, les archives proviennent des radios qui ont capté des concerts live ou des séances de studio, mais chaque pays a son organisation. Il est d’ailleurs assez incroyable qu’il n’existe aujourd’hui pas de programme européen pour mettre en commun toutes ces données.

    Lire aussi : Dossier : Commercialiser les archives : un tabou ?

    Les structures, les gouvernements, les ministères, n’ont pas vraiment conscience que c’est une partie de notre identité et de notre patrimoine qu’on laisse se détériorer. Les centres d’archives n’ont parfois plus la possibilité de lire les bandes parce qu’ils ne disposent plus du matériel adéquat ou parce qu’ils n’ont plus d’archiviste en interne. Cela va devenir de plus en plus compliqué de les sauvegarder.

    Sur place, dans les radios et autres centres d’archives, comment travaillez-vous ?

    Auparavant, nous nous déplacions toujours avec notre matériel, en voiture ou en camionnette, car nous ne pouvons le transporter en avion. Nous devions sortir les bandes des institutions et trouver des lofts ou des appartements pour travailler.

    Nous cherchons aujourd’hui des solutions alternatives : par exemple, nous avons convaincu la RBB, l’équivalent de Radio France, à Berlin, de nous allouer un studio dans son enceinte. Nous disposons d’un deuxième studio aux Pays-Bas, mais il nous en faudrait deux autres en Europe ! Notre objectif est de dupliquer ces studios dans les centres d’archives dans lesquels nous travaillons.

    frederic_doria_nicolas_amsterdam_archives_nationales.jpgDe quelle manière sélectionnez-vous ces enregistrements ?

    Nous ne pouvons pas tout sauver. Nous nous concentrons sur un artiste, un répertoire ou une performance, car aussi grands soient-ils, ces musiciens restent des humains. Il y a des soirs où ils sont plus inspirés et plus en forme que d’autres.

    Nous prenons ensuite en compte la qualité de la prise de son originale, car nous sommes là pour révéler ce qui existe déjà : en le nettoyant de tout ce qui peut gêner la dégustation de ces pépites. Si la prise de son n’est pas extraordinaire, nous n’arriverons pas à un résultat satisfaisant malgré la meilleure technologie du monde.

    Sur une douzaine de bandes, nous n’en sélectionnons parfois qu’une seule. Et si tous les critères sont réunis, nous avons alors à faire à un trésor !

    Lire aussi : Les archives de David Bowie vont rejoindre le musée Victoria & Albert à Londres

    Qu’en est-il de la gestion des droits ?

    La question des droits est primordiale. Ils sont de trois types : les droits d’auteur et de compositeur, qui sont en France gérés par la Sacem et la SDRM (Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique). Vous devez ainsi déclarer votre répertoire et votre support puis payer pour avoir le droit d’exploiter votre production.

    Il y a aussi les droits de producteur, qui appartiennent légalement à la personne ou à l’entité qui a fixé l’enregistrement pour la première fois. Dans notre cas, les radios sont productrices de ces phonogrammes et nous les rémunérons pour ça.

    Et vient aussi la question des interprètes. Là, c’est plus complexe. Il y a évidemment l’Adami, mais elle n’a pas forcément les coordonnées de tous les artistes ou de leurs descendants et il faut les retrouver.

    Pour ce faire, notre avocat essaie de croiser les données et c’est passionnant, car cela nous a permis de rencontrer le petit-fils d’Emil Gilels, mais aussi Lauren Gillespie, la fille de Dizzy Gillespie, ou encore la fille d’Oscar Peterson. Que des gens se préoccupent des œuvres et des enregistrements de leur parent ou grand-parent, avec une exigence et un soin rares, les intéresse beaucoup.

    Sous quelles formes restituez-vous vos trouvailles ?

    Nous proposons tous les formats ! Du streaming, en passant par les téléchargements, le CD et un format plutôt réservé à des collectionneurs et les audiophiles : le vinyle. Nous souhaitions pouvoir mettre en œuvre tout notre savoir-faire : nous avons choisi la gravure sur laque réalisée par l’un des meilleurs graveurs du monde, à Los Angeles.

    Ensuite, nous réalisons la galvanisation au Royaume-Uni. Depuis peu, nous avons monté notre propre atelier de pressage en France, à Marciac. Nous avons travaillé pendant un an sur tous les aspects qui pouvaient avoir un impact sur le rendu du vinyle (qualité du PVC, de la galvanisation - qui permet la réalisation des matrices en vue du pressage -, les températures, les cycles de refroidissement, etc.). C’est plus artisanal qu’industriel, mais nous allons sortir nos trois prochaines références depuis cet atelier. Le résultat est d’une qualité inouïe !

    Lire aussi : Marine Macq : pour la passion du jeu vidéo

    Il ne faut pas oublier que nous sommes une entreprise commerciale, sans aide ni subvention. Mais s’agissant de patrimoine, notre objectif est de pouvoir diffuser nos pépites au plus grand nombre, c’est pourquoi il était hors de question d’être absent des plateformes de streaming, même si ce n’est pas notre cible.

    Vous vous êtes lancé dans cette aventure en 2016. Êtes-vous toujours surpris par ce que vous trouvez ?

    Être surpris est vital, pour moi ! Je pourrais vous donner des centaines d’exemples. Si chercher est très excitant, trouver est encore plus gratifiant. À chaque fois que l’on me remet des bandes originales, j’ai l’impression qu’il s’agit de toiles de maître que personne n’a jamais regardées.

    Les écouter et les restaurer sont des plaisirs indescriptibles, et je suis encore surpris du résultat que nous arrivons à obtenir ensuite, aussi bien sur la restauration que sur la fabrication. Avec nos clients, nous bénéficions aussi d’une relation très privilégiée. Nous partageons la même passion !

    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.

    Serda Formations Archives 2023

    Indispensable

    Bannière BDD.gif