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Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?

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    "Les bibliothécaires sont profondément blessés et très peu armés pour comprendre ce qui leur arrive", explique Denis Merklen (Raphaël Labbé/Flickr)
  • Denis Merklen, professeur de sociologie à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, a recensé 70 incendies volontaires de bibliothèques en France ces vingt dernières années. Dans l'ouvrage « Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ? », il tente de comprendre les origines de cette violence dirigée contre les lieux de culture. Entretien réalisé en 2014.

     

    Combien de bibliothèques ont-elles été incendiées en France au cours de ces vingt dernières années ?

    J’ai recensé 70 bibliothèques incendiées ce qui laisse supposer qu’il y en a en réalité plus car de nombreux cas m’ont été rapportés par des bibliothécaires alors que la presse n’en avait pas parlé. Ces incendies ont lieu exclusivement dans des cités HLM et les grands ensembles, jamais dans les quartiers pavillonnaires. En revanche, il n’y a pas de prééminence dans une région particulière : on en recense en Ile-de-France mais également à Brest, à Lyon, à Marseille, à Grenoble… C’est une forme de conflit spécifique aux grands ensembles et cela correspond à l’historicité des émeutes ou des violences urbaines comme on les appelait à l’époque.

     

    Comment peut-on expliquer ces actes de violence ?

    Les incendies de bibliothèques, et toute la conflictualité qui l’accompagne (caillassages…) s’inscrivent dans une économie de conflit à l’intérieur des quartiers. Cette économie conflictuelle a trait à la présence d’institutions publiques. L’incendie vient dire aux bibliothèques : « vous êtes de l’autre côté, pas du nôtre ! ». Le cas des bibliothèques incendiées ne peut pas s’expliquer si on ne comprend pas la place de l’écrit et le rapport à l’écrit au sein de ce segment des classes populaires. Ce rapport à l’écrit présente plusieurs aspects dont celui de l’école qui est considérée comme une voie de garage condamnant une partie importante de la population sur le marché du travail (environ 35 % de la population de ces quartiers).

    Les bibliothèques sont également associées à un groupe social qui contrôle les ressources essentielles à cette population à travers l’écrit. Elles prennent un statut profondément ambigu : tantôt c’est la bibliothèque du quartier, tantôt c’est la bibliothèque de l’Etat. Leur statut n’est pas stable et bascule en fonction des conjonctures et des politiques. Un habitant m’a dit un jour : « je me demande si vous n’avez pas mis une bibliothèque ici pour nous endormir… »

     

    Ce sont des propos douloureux à entendre pour les bibliothécaires qui portent une mission de service public et de transmission des connaissances…

    Oui, les bibliothécaires sont profondément blessés et très peu armés pour comprendre ce qui leur arrive. C’est d’ailleurs une raison pour lesquelles on parle peu et mal de ces problèmes car les bibliothécaires ne veulent pas stigmatiser leur public. Ils souffrent également d’une faible fréquentation qui, dans ces quartiers, est de l’ordre de la moitié de la moyenne nationale. Les bibliothécaires sont dans une situation de grande perplexité quand ce public leur jette des pierres ou des cocktails molotov. Mais il faut également souligner que les bibliothécaires ne sont presque jamais visés physiquement. Il existe une frontière morale. Ces actes de violence épargnent les personnes physiques : c’est l’institution qui est visée.

     

    Comment les bibliothèques sont-elles perçues par les habitants des quartiers populaires ?

    Elles sont perçues comme un lieu d’intégration, comme une ressource, et comme un lieu de projection de la vie personnelle. Il y a une vision majoritairement très positive avec tout de même une connotation d’âge et de genre : pour le dire vite, les bibliothèques sont plutôt considérées comme destinées aux enfants et aux femmes. Mais la bibliothèque peut basculer du côté de l’institution étrangère aux habitants qui se sentent dépossédés. La politique de lecture publique au niveau local joue un rôle fondamental : les habitants n’ont aucune prise sur le budget, ni sur les collections, ni sur le recrutement du personnel. La bibliothèque apparaît alors comme un lieu construit pour les habitants mais qui n’est pas à eux. Ils ont le sentiment d’entrer dans un espace contrôlé par un autre groupe social qui n’est pas le leur.

    Un autre modèle de bibliothèque existe : celui de la bibliothèque populaire qui se pense comme étant du côté du peuple et pour le servir.

     

    Étonnamment, une part importante des bibliothécaires (30 %) estime que la bibliothèque et le livre « peuvent faire violence à quelqu’un… » Comment comprendre ce sentiment ?

    Les bibliothécaires sont souvent de très fins observateurs de la réalité dans laquelle ils travaillent. Ils constatent une étrangéité, une séparation entre le modèle de la lecture qui est le leur et les formes de lecture et d’écriture de ces nouvelles classes populaires. A la différence d’autrefois, nous ne sommes pas en présence d’une population analphabète ; nous sommes face à une population scolarisée malgré un taux élevé d’élèves décrocheurs. D’autres formes d’écriture viennent concurrencer celles des bibliothèques. Elles sont omniprésentes et tentent de contourner la langue écrite institutionnelle : celle de l’administration, celle de l’école qui est associée au milieu du travail, celle de la politique… Je souligne tout de même les immenses efforts et les très grands progrès réalisés dans les médiathèques  ces dernières années : acquisitions, architecture, animation, médiation…

     

    Ces incendies rencontrent peu d’écho dans la presse et la société… Vous écrivez même que « les incendies et les attaques de bibliothèques sont passées sous silence.

    Les maires font tout pour qu’on en parle le moins possible ». Comment expliquer cette indifférence et ce déni ?
    Il y a une première explication très pratique : les maires ne veulent pas stigmatiser des populations déjà stigmatisées. Ils ne veulent pas non plus discréditer leur ville et leur propre politique. Ce serait un aveu d’échec.

    Il y a ensuite une explication plus profonde. Le livre et la forme de culture que véhicule la bibliothèque se situent au cœur de notre vie politique. Il est très difficile de considérer ces violences comme un message qui nous est adressé car cela signifierait renoncer à une partie de ce qui nous constitue comme démocratie et comme république.

    Une partie de la population remet cela en question car elle se sent profondément exclue. Il est donc beaucoup plus économe de reconstruire une bibliothèque et de penser ces attaques comme un coût de fonctionnement que de prendre acte de nous poser la question : qu’est-ce que ces gens veulent nous dire ?

     

    Depuis la sortie de votre ouvrage, comment les bibliothécaires réagissent-ils ?

    Lors de conférences que je donne dans le monde de la lecture publique, le livre est très bien accueilli. Les bibliothécaires ont la sensation que l’on peut enfin parler d’un aspect de leur vie professionnelle qui n’était pas évoqué. En effet, ces conflits sont profondément traumatisants pour eux. La professionnalisation a coupé les bibliothécaires des outils politiques leur permettant d’entrer en contact avec ces nouvelles classes populaires. Le traumatisme vient de l’impossibilité de donner un contenu politique à ce conflit. La seule réponse des bibliothécaires et des maires c’est « redoubler d’effort, faire plus… » Ce qui est très bien et très noble … mais insuffisant.

     

    Constatez-vous des incivilités ou des agressions moins spectaculaires que incendies ?

    Oui mais il faut être prudent : quand un usager agresse un bibliothécaire, il peut y avoir plusieurs types de raisons. Ces conflits quotidiens sont très fréquents et ne doivent pas être négligés.

     

    Denis Merklen est professeur de sociologie à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Ses travaux portent sur les classes populaires et l’ont conduit à publier plusieurs ouvrages sur les milieux populaires en France et en Amérique latine.

    Il est l’auteur du livre « Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ? » (Presses de l'Enssib).

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    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
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