CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°385 : Bibliothèques : les tendances qui pourraient transformer leur futur
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Depuis 2020, les étudiants du master VeCIS de l’Université de Lille organisent chaque année les VeilleLabs, un cycle de conférences dédiées aux innovations dans le domaine de la veille et de l’information stratégique, avec le soutien des deux associations professionnelles, l’ADBS et le gf2i, et des revues Archimag et VeilleMag.
Cette année, les VeilleLabs ont été consacrés à analyser l’impact de l’intelligence artificielle générative (GenAI) sur les pratiques de veille, un sujet particulièrement important depuis quelques années dans la mesure où l’irruption de cette technologie bouleverse les pratiques et métiers des professionnels de l’information, notamment les veilleurs. Tantôt perçue comme une promesse de gain de productivité, tantôt comme un défi technologique et parfois éthique, la GenIA oblige les professionnels à repenser leurs approches.
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Comprendre les apports concrets de l’IA générative à la veille
Le 29 janvier 2025, le coup d’envoi des VeilleLabs 2025 a été donné au sein d’un café lillois à proximité de la gare Lille Flandres. C’est devant près de 90 participants que Véronique Mesguich, consultante en veille stratégique, a posé les termes du débat : que peut réellement apporter l’IA générative au veilleur ? Pour tenter d’y répondre, la conférence a porté sur trois axes : les tâches automatisables, le comparatif des outils IA, et les nouvelles compétences requises.
De manière générale, un outil d’IA générative ne saurait accomplir une tâche dans son intégralité. En veille, l’IA intervient à chaque étape du processus - de la recherche à l’analyse, jusqu’à la diffusion des informations -, mais elle reste au service de l’humain et non l’inverse. Selon Véronique Mesguich, l’IA générative peut être utilisée pour des tâches, comme la création de champs lexicaux, le résumé de corpus ou encore la production de synthèses rapides.
Des outils comme ChatGPT, Google Gemini ou encore Bing Copilot ont été mentionnés et recommandés pour leur capacité à traiter et synthétiser des volumes massifs d’informations : un gain de temps considérable, donc, non seulement pour automatiser certaines tâches, mais aussi pour faciliter l’exploitation de données complexes.
Néanmoins, Véronique Mesguich met en garde contre une potentielle dépendance excessive. Automatiser l’information, oui, mais le rôle du veilleur reste central : il doit systématiquement vérifier ses sources, détecter les fausses informations et perfectionner son analyse stratégique.
Difficile aujourd’hui de nier l’ampleur du bouleversement : l’IA générative représente une avancée majeure, mais son usage appelle à la prudence. Elle doit être utilisée avec discernement, tout en gardant une distance critique face aux résultats qu’elle produit. Un point de vue que Véronique Mesguich a largement défendu, ouvrant la voie à un échange nourri avec le public, où les enjeux techniques ont rapidement laissé place à des questions plus larges, entre éthique, fiabilité et avenir des métiers de la veille.
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Expérimentation au Cetim : IA et veille technologique
C’est ensuite Laurent Couvé, responsable Veille technologique et stratégique au Centre technique des industries mécaniques (Cetim), qui a pris le relais pour le deuxième VeilleLab, qui s’est tenu le 5 mars dernier. Sa présentation s’est concentrée sur un projet mené en 2024 au sein de son équipe : la création d’un chatbot sécurisé interrogeant plus de 7 000 documents techniques via des techniques de RAG (Retrieval-Augmented Generation). Développé avec plusieurs prestataires (Eximetrics, Cross Data, Hurence, QA Company), cet outil permet des requêtes en langage naturel avec des fonctions avancées de résumé, de comparaison ou de génération de tableaux.
Les premiers résultats montrent une adoption progressive, avec 12 % des réponses jugées pleinement satisfaisantes : une statistique qui reflète non seulement l’efficacité de l’outil, mais également un virage déjà amorcé vers une utilisation régulière de l’IA générative dans les pratiques de veille. Mais comme tout outil, celui-ci présente aussi ses limites, notamment pour le traitement d’images ou l’interprétation de données complexes. Des obstacles qui rappellent l’importance d’une collaboration entre veilleurs, experts métier et data analysts pour assurer fiabilité et justesse des analyses.
Pour Laurent Couvé, ce savoir-faire "hybride" est une compétence clé. Former les professionnels à lier intelligence humaine et artificielle est devenu un véritable enjeu stratégique qui permet d’exploiter tout le potentiel de ces technologies sans en sacrifier la rigueur.
Enjeux juridiques : droit d’auteur et IA générative
Enfin, la dernière séance des VeilleLab, qui s’est tenue le 26 mars 2025, a permis de clore ce cycle sur un sujet qui alimente de plus en plus de débats : le cadre et les conséquences juridiques de l’usage de l’IA générative. Menée par Philippe Masseron, directeur général du gf2i et expert en propriété intellectuelle, la conférence a permis d’explorer ces nouvelles problématiques, entre innovation technologique et cadre légal.
Alors que les modèles d’IA utilisent des milliards de données, souvent issues de contenus protégés, les questions de licences, de réutilisation, et de responsabilité juridique deviennent cruciales. Philippe Masseron a ainsi souligné la nécessité d’une réglementation adaptée, notamment en matière de transparence des sources et de traçabilité des résultats générés.
Car, derrière ces outils, se cachent des questions complexes : à qui appartiennent les contenus produits ? Peut-on librement utiliser des modèles entraînés sur des données protégées ? Que se passe-t-il en cas d’erreur ou de plagiat ? Philippe Masseron a mis en évidence les zones grises juridiques actuelles : un champ mouvant, où les éditeurs de plateformes de veille, comme les utilisateurs finaux, doivent sans cesse faire preuve de vigilance. Le débat s’est également porté sur les limites actuelles du droit, qui fait face à un défi majeur : celui de s’adapter aussi vite que les technologies évoluent.
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Une veille augmentée, mais pas déshumanisée
Ces trois éditions des VeilleLabs 2025 ont confirmé une tendance de fond : aujourd’hui, l’IA générative bouleverse aussi bien notre quotidien que notre façon de travailler, impactant notamment les métiers du domaine de la veille. Si elle permet de traiter plus d’informations, d’aller plus vite, avec des outils capables de synthétiser, de comparer et de croiser les sources, elle appelle également à repenser les compétences, les outils, et les cadres réglementaires.
Loin d’annoncer la fin du veilleur, cette évolution montre plutôt comment un rôle peut se redéfinir et comment un professionnel peut tirer parti de la machine tout en gardant la main sur l’analyse, les choix, l’interprétation. Quelle que soit l’évolution des IA génératives, la veille restera toujours une activité humaine - et une démarche de choix et de discernement avant tout.
C’est peut-être, finalement, la principale leçon de ces VeilleLabs : l’outil ne pourra jamais remplacer le professionnel. Il le complète et l’assiste, certes, mais il ne peut pas penser à sa place. Pour que cette transformation soit pertinente, il faut encourager les formations, collaborer, questionner les pratiques… et ne jamais débrancher l’esprit critique.
Article rédigé par les étudiants du master VeCIS.