Confrontées à la baisse de leurs budgets et à la hausse des prix des revues, plusieurs bibliothèques universitaires ont dû se désabonner de titres prestigieux. Une situation qui pourrait favoriser le mouvement vers l’accès libre ou open access.
L’annonce de l’université Pierre et Marie Curie (UPMC) n’est pas passée inaperçue. « En 2014, l’université ne sera plus abonnée à la version électronique de la revue Science. Malgré l’importance de cette revue pour la communauté scientifique, cette décision a été prise en raison de l’augmentation inacceptable imposée par l’éditeur (AAAS) du tarif pour 2014 ».
L’établissement parisien n’a pas accepté l’augmentation de 100 % sur le prix des abonnements que l’éditeur AAAS voulait lui imposer. Dans un second temps, cette majoration a été ramenée à 47 %, mais l’UPMC est restée sur ses positions. À l’heure des restrictions budgétaires qui touchent les institutions publiques, la bibliothèque de l’université Pierre et Marie Curie n’est pas la seule à revoir à la baisse ses programmes d’acquisition.
Les éditeurs en profitent
L’université Paris-Descartes a de son côté annoncé une série de désabonnements visant une trentaine de revues, ainsi que la base de données Scopus d’Elsevier. « Pour des raisons budgétaires, nous avons dû procéder à de nombreux désabonnements. Les accès seront progressivement coupés jusqu’au 31 janvier 2014 » précise un communiqué laconique sur le site de la bibliothèque universitaire.
Dans le Nord, c’est l’université de Valenciennes qui a choisi de se désabonner de l’Encyclopedia Universalis en ligne « en raison de contraintes budgétaires et d’évolution des conditions de financement ». La liste pourrait être élargie à Lille, Nantes ou Angers…
Les tensions entre les éditeurs et les bibliothèques ne datent pas d’aujourd’hui. « L’édition scientifique a vu ses prix s’accroître à un rythme beaucoup plus élevé que l’inflation, constate Frédérique Flamerie de Lachapelle, responsable des archives ouvertes au sein de la Bibliothèque universitaire de Pierre et Marie Curie ; les articles scientifiques ne sont pas des biens substituables et les bibliothèques doivent continuer à les acheter. Les éditeurs le savent et en profitent ! Certains d’entre eux profitent également du prestige de leurs revues… C’est le cas de Science qui se considère comme une revue incontournable ».
Vers des archives ouvertes
Depuis que les revues sont proposées au format numérique, les bibliothèques universitaires doivent « jouer » avec une multitude de modèles de tarification : selon le nombre de téléchargements, selon le nombre d’équivalents temps-plein de l’université, sur la base de bouquets… À l’université Pierre et Marie Curie, les bibliothécaires doivent gérer des situations délicates. En 2008, l’American Chemical Society (ACS) a changé son modèle tarifaire en l’indexant sur le nombre de consultations d’articles (HTML et PDF). Résultat : les tarifs ont augmenté de… 550 % entre 2008 et 2011. L’université a dû se résoudre à résilier son abonnement à l’ACS en 2009. Avant de se réabonner l’année suivante.
De l’aveu même des bibliothécaires, les établissements français pèsent peu face aux principaux éditeurs de la place : Elsevier, Springer, Taylor & Francis, Wiley. « Nous souhaitons négocier avec eux des tarifs raisonnables, mais le rapport de force leur est clairement favorable, reconnaît Frédérique Flamerie de Lachapelle ; dans beaucoup de disciplines, ces éditeurs détiennent en effet des revues de référence nécessaires au travail quotidien des chercheurs et valorisées dans les évaluations ».
Dans un tel contexte, les universitaires et les bibliothécaires sont de plus en plus nombreux à rejoindre le mouvement des archives ouvertes et de l’open access. L’archive ouverte Hal (Hyper articles en ligne), créée en 2000 par le Centre pour la Communication Scientifique Directe du CNRS, permet aux chercheurs d’auto-archiver leurs publications.
Cette base à accès ouvert garantit aux auteurs un archivage pérenne. « Hal ne présente aucun frais pour les auteurs et les établissements verseurs, précise Frédérique Flamerie de Lachapelle ; il faut également ajouter que Hal ne peut se substituer aux modes de publication traditionnels, même si de nouveaux modèles de publication fondés sur des archives ouvertes, tel qu’Episciences, émergent ».
En 2013, Hal affichait 43 426 dépôts en texte intégral dont un peu plus de la moitié (52 %) sont versés par les auteurs eux-mêmes. La répartition par types de publication fait apparaître une majorité d’articles de revues (10 699), puis des communications (7 113), des preprints (3 869), des chapitres d’ouvrages (1 295), et des ouvrages (124).
Une nouvelle version de Hal devrait voir le jour à la fin du mois de mars 2014.
Une nouvelle manne : les données des utilisateurs
Au mois de février dernier, le monde de l’édition scientifique était traversé de nouvelles turbulences. Une information censée rester confidentielle s’est retrouvée sur les blogs de chercheurs et de bibliothécaires. La France s’apprêterait à reconduire un accord avec Elsevier pour un montant de 190 millions d’euros sur cinq ans.
Le consortium Couperin, qui mène les négociations face à Elsevier, s’est félicité d’une réduction des tarifs d’abonnement. Mais selon le chercheur Pierre-Carl Langlais, « c’est une politique à court terme. Progressivement disponible en libre accès, le corpus d’Elsevier ne vaut plus grand-chose. L’éditeur exploite une nouvelle manne : les données des utilisateurs. L’attribution d’un droit à publier, d’un droit de lire et, depuis peu d’un droit à extraire. (…) Ce profilage massif peut ensuite être cédé à des partenaires commerciaux ou servir directement la stratégie marketing d’Elsevier ».