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Colonialisme numérique : quand les internautes préfèrent mettre à jour leur profil Facebook plutôt que lire sur une tablette

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    "Certains pensent que c’est l’e-book qui vole la lecture… Pas du tout ! Ce sont les applications" (Marko Kudjerski/Flickr)
  • Roberto Casati est philosophe et directeur de recherche au CNRS. Il est l’auteur de l’ouvrage « Contre le colonialisme numérique » dans lequel il dénonce l’emprise des technologies numériques sur la lecture, l’école et la vie politique. Roberto Casati enseigne dans différentes universités en Italie, en France et aux États-Unis.

    Vous affirmez que « le colonialisme est une idéologie ». Quelle est cette idéologie ?

    Le colonialisme numérique est une idéologie qui repose sur le principe suivant : si certaines choses peuvent migrer vers le numérique, alors elles doivent migrer vers le numérique. Il faut réfléchir à ce que cela signifie. Remarquons d’abord que tout ne peut pas migrer vers le numérique : la nourriture, les vêtements, certaines activités sociales…

    Parmi ce qui peut migrer, il faut se poser la question : doit-il migrer ? Le colonialiste numérique répondra « oui » ; a contrario, le luddiste (celui qui s’oppose aux technologies) affirme que rien ne doit migrer… Ma position est intermédiaire : il faut migrer au cas par cas.

    La lecture a été volée par les technologies numériques dites-vous. Que voulez-vous dire ?

    Certains pensent que c’est l’e-book qui vole la lecture… Pas du tout ! Ce sont les applications et les gadgets qui font concurrence à la lecture. Regardez dans le métro : les voyageurs utilisent de nombreux programmes informatiques mais lisent peu. Toutes les enquêtes que j’ai lues suggèrent que les internautes préfèrent mettre à jour leur profil Facebook plutôt que lire sur une tablette.

    À titre personnel, je lis tout et n’importe quoi, à tout moment de la journée, et sur n’importe quel type de support y compris des écrans numériques. En revanche, les nouvelles générations sont relativement indifférentes à la lecture. Elles sont hyperconnectées et joignables en permanence. Cette hyperconnexion perpétuelle convient surtout aux géants de la consommation en ligne qui ont besoin d’avoir affaire à des gens hyperconnectés. Il faut bombarder le discours sur les innovations qui ne sont pas un progrès !

    Milan Kundera refuse que ses oeuvres soient distribuées au format électronique. Les écrans numériques ont-ils détruit la lecture linéaire telle qu’on la pratiquait à l’ère du papier ?

    Milan Kundera a eu le mérite de soulever la question du support de lecture qui n’est pas anodine. Il n’y a pas de réponse simple à celle de la lecture linéaire...

    Cela dépend du support numérique et de ce qu’on lit. Pour les encyclopédies, les manuels scolaires ou les livres de recettes, le passage au numérique peut être considéré comme positif. En revanche, les essais sont un genre qui exige une attention régulière. Le livre papier présente des avantages en terme de mémoire : ce que vous avez lu est derrière vous ; ce que vous n’avez pas encore lu reste devant vous.

    Les écrivains doivent-ils adapter leur façon d’écrire au zapping généré par les tablettes numériques ?

    C’est ce que nous demandent de plus en plus les éditeurs ! Ils veulent des encadrés, de l’hypertexte… C’est peut-être une bonne idée d’un point de vue commercial, mais ça n’en est pas une sur le plan de la création complexe. Les manuels scolaires ressemblent de plus en plus à des pages web. C’est complètement absurde !

    En vous basant sur le prix du mètre carré, vous avez calculé que posséder des livres à Paris peut coûter très cher : 1 400 euros pour une bibliothèque de quatre étagères dans le centre de Paris ! De quoi amener les Parisiens à acheter leurs livres au format numérique…

    Les bibliothèques ne sont pas seulement du stockage de livres. D’une certaine façon, ce sont des extensions de notre esprit. Prenez mon cas personnel : je vis en ce moment aux États-Unis où je loue une maison qui appartient à un rabbin. Toute sa bibliothèque est là et je travaille au milieu de ses livres. C’est une expérience très puissante pour moi, car cette bibliothèque est composée de livres religieux. J’ouvre parfois certains ouvrages, mais on voit très bien que cette bibliothèque n’est pas en extension de mon esprit : c’est presque une bibliothèque muette ou décorative pour moi, mais pas un outil de travail qui reflète ma personnalité.

    L’école est-elle colonisée par l’idéologie numérique ?

    Elle va l’être ! En France, le ministère de l’Éducation nationale a récemment créé une Direction du numérique et de l’éducation. Mais son programme n’est pas très clair… Le discours public sur l’éducation est comme subjugué par le numérique, mais cela ne va pas toujours dans le sens de l’éducation. Il existe une mythologie du numérique comme prétendue solutions à de prétendus problèmes de l’école.

    Les tablettes envahissent les salles de cours sous prétexte de donner accès à une bibliothèque. Mais donner accès, ce n’est pas lire. Ces appareils ont certes des qualités : ils permettent par exemple d’effectuer des recherches ou des simulations mathématiques. Mes propres filles  de 8 et 9 ans sont scolarisées dans une école publique près de Boston dans le New Hampshire. Elle est relativement riche et dispose de nombreux outils numériques, mais les tablettes ne remplacent pas la pédagogie traditionnelle. Elles servent à faire des activités que l’on ne peut pas faire avec une pédagogie classique. Cette école continue de proposer des activités traditionnelles comme la lecture à voix haute. Il faut aller vers un modèle dual entre les deux univers.

    Vous contestez la notion de génération des « natifs numériques » la célèbre génération Y qui regroupe les individus nés autour de 1990. Pour quelles raisons ?

    Ce que je conteste, c’est l’idée selon laquelle les individus nés après 1990 auraient développé des capacités mentales et intellectuelles particulières du fait d’avoir été exposés très tôt à des écrans numériques. À ce jour, nous ne disposons d’aucune preuve de cela. Ce que l’on constate c’est que cette génération passe beaucoup de temps devant leurs écrans, mais ils n’ont pas d’avantages particuliers d’apprentissage par rapport à des enfants moins exposés au numérique.

    Comme des milliers d’internautes, vous intervenez sur Wikipédia. Que retenez-vous de cette expérience au profit « de la plus grande entreprise intellectuelle collective jamais réalisée » ?

    J’interviens sur Wikipédia à plusieurs niveaux : j’écris, je corrige… Ce qui est intéressant, c’est la rapidité des réactions de la communauté de contributeurs. Cela donne lieu à des discussions riches. Wikipédia est une source relativement bonne et constitue un point d’entrée dans certaines disciplines. Notre responsabilité d’éducateur et d’intellectuel c’est de contribuer à la qualité de Wikipédia plutôt que de nous plaindre de la mauvaise qualité de certaines notices.

    Une question plus personnelle : utilisez-vous une tablette ou un smartphone dans le cadre de vos activités professionnelles et privées ?

    J’ai acheté mon premier smartphone en 2003 ! Et je suis l’un des tout premiers à avoir utilisé une tablette vers 2006- 2007. Il s’agit d’une tablette différente des modèles les plus vendus : elle est au format A4 et fonctionne avec un stylet. Je peux lire de nombreux documents en PDF : articles, textes de mes étudiants, lectures personnelles… Cet outil en taille A4 a été un changement ergonomique majeur dans ma vie. Cela dit, j’arrive parfaitement à me déconnecter pendant des journées entières !

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    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
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