Cinquième femme à diriger le ministère de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti a fait le tri dans les chantiers laissés par son prédécesseur tout en dessinant une politique clairement en faveur du patrimoine et de la création. L’occupante de la rue de Valois nous livre quelques-unes de ses orientations pour 2013.
Le ministère de la Culture a récemment reçu une délégation de la CGT Archives, laquelle craignait que le poste d’Agnès Magnien, directrice des Archives nationales, soit menacé. Qu’est-il ressorti de cette rencontre?
L’ensemble des fédérations syndicales du ministère de la Culture et de la Communication a été reçu au cabinet le 26 octobre dernier. Cette réunion avait pour objet d’examiner un certain nombre de questions de fond quant à la situation des Archives nationales ; et ce dans le contexte nouveau créé par l’abandon du projet d’installation de la Maison de l’histoire de France au sein du quadrilatère Soubise et par l’ouverture prochaine du centre de Pierrefitte-sur-Seine. Les échanges ont, en particulier, porté sur les missions des Archives nationales et le devenir de ce quadrilatère. Une étude était confiée à Madame Magnien, directrice des Archives nationales, sur les missions de celles-ci et les besoins qu’elles génèrent, notamment en termes d’accroissement des fonds des Archives nationales conservés dans le quadrilatère. Si un directeur devait « se sentir menacé » à chaque rendez-vous avec les organisations syndicales, on ne pourrait guère travailler !
Le jugeant "trop coûteux" et "daté", vous avez interrompu le projet de votre prédécesseur de créer une Maison de l’histoire de France sur le site des Archives nationales. On parle maintenant d’une formule plus souple. Quelle est-elle ?
En effet, ce type de formule est à l’étude actuellement. En tout état de cause, il faudra mieux inscrire les extraordinaires collections à caractère historique dont bénéficient les institutions patrimoniales françaises – archives, bibliothèques, musées… – dans les progrès considérables accomplis depuis quelques années par la médiation patrimoniale numérique. Un portail internet pourrait ainsi permettre de créer une collection virtuelle d’une richesse exceptionnelle, mise en valeur par l’expertise des personnels du ministère de la Culture, et que les internautes pourraient découvrir, commenter et enrichir. Nous y travaillons.
Critique vis-à-vis de ses résultats, vous avez décidé la réduction du budget de la Hadopi (1) pour 2013. Elle se sent maintenant menacée, est-ce à juste titre ?
Je veux que l'on développe davantage l'offre légale tout en cherchant à lutter contre le téléchargement illégal.
J’ai annoncé dès mon arrivée la nécessité d’engager une évaluation du dispositif de réponse graduée et des différentes missions confiées à la Hadopi.
Je pense qu’il faut notamment s’interroger sur la suspension d'accès à internet, mais qu’il faut aussi retenir ce qui a pu être utile – chacun s’entend par exemple sur l’effet dissuasif qui a pu avoir une certaine efficacité sur l’évolution des pratiques. La mission Lescure, dont nous connaîtrons les conclusions au printemps 2013, pourra aussi se poser les questions de la lutte contre la contrefaçon commerciale, de la façon d’améliorer l'offre légale, de ce que l’on peut faire contre les sites internet qui échappent au juge français ou encore de la manière d’impliquer tous les intermédiaires concernés. C'est aussi de cela que débattent les interlocuteurs de la mission Lescure.
A l’occasion du 58e congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), en juin dernier, vous avez déclaré vouloir davantage promouvoir le livre, la lecture et leurs institutions. Avez-vous un plan d’action ?
Lors de l’assemblée générale annuelle de l’ABF qui s’est tenue à Montreuil en juin 2012, j’ai souhaité adresser aux professionnels des bibliothèques un message saluant leur travail et leur rôle dans la démocratisation et l’accès à la culture. Depuis, j’ai de nouveau eu l’occasion, lors de mes déplacements, de visiter des bibliothèques (récemment à Chevilly-Larue où j’ai signé un contrat territoire lecture) et de souligner l’importance de ces équipements menés par leurs territoires et leurs élus, car ils sont au cœur des communes et des départements, au plus près des populations. Ce sont les premiers lieux de contact avec le livre, donnant une ouverture sur d’autres supports culturels. Il est aussi important d’accompagner la dimension numérique des offres, notamment lorsque des fonds patrimoniaux peuvent ainsi être mis en valeur, comme c’est le cas à Grenoble (fonds Stendhal), à Roubaix (musique) ou encore à Valenciennes. Aujourd’hui, les médiathèques ne sont pas seulement des lieux d’étude, mais des lieux de vie et de sociabilité, avec des expositions, des rencontres, des aides à la recherche d’emploi ou à la formation. Les médiathèques ont partie liée avec l’ensemble de la chaîne du livre. Il ne devrait pas y avoir de soutien aux bibliothèques qui ne soit pensé en fonction d’une conception globale de cette chaîne. C’est pourquoi j’ai lancé des groupes de travail dès la fin juin afin que soient examinées des solutions pour que les achats des bibliothèques puissent se faire davantage auprès des libraires de leurs territoires, en étudiant la possibilité de plafonner les rabais ou de revoir les règles applicables dans les marchés publics. Mes services travaillent aussi à des solutions économiquement viables et respectueuses du droit des auteurs afin que les médiathèques puissent à l’avenir prêter des livres électroniques à leurs usagers.
L’évolution considérable des pratiques de lecture, la diffusion d’outils comme les tablettes changent la donne. Les programmes de numérisation de fonds des grandes bibliothèques sont une richesse formidable qui aura sans doute des développements inédits. Il nous faut réfléchir afin d’adapter les médiathèques et leur conserver leur rôle d’accueil et de découverte. Il y a donc plusieurs leviers d'action que nous allons coordonner et développer.
Propos recueillis par Clémence Jost
(1) Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet.
+ repères
TVA sur le livre : valse des étiquettes
Le 1er avril 2012, le gouvernement en place faisait passer la TVA sur le livre et les spectacles vivants de 5,5 % à 7 % ; une mesure balayée le 31 juillet par la loi de finances rectificative de l’Assemblée nationale, décidant de la rétablir à 5,5 % dès le 1er janvier 2013. Le 6 novembre dernier, le Premier ministre Jean-Marc Ayraut annonçait, parmi les mesures destinées à améliorer la compétitivité et l’emploi, l’abaissement du taux de TVA réduit (portant, entre autres, sur les biens culturels et donc sur le livre) de 5,5 à 5 % pour le 1er janvier 2014. Il s’agira du troisième changement de TVA pour le livre en moins de deux ans. Mais ce n’est pas tout : c’est la question du montant de la TVA sur le prix du livre numérique, réduite au Luxembourg et en France (1), qui agace maintenant Bruxelles. Considérant le livre numérique comme un service, la Commission européenne a sommé fin octobre ses deux membres dissidents de revaloriser leur TVA, arguant qu’un taux réduit n’était pas justifié et contraire aux règles communautaires. Maintenant sa position, la France s’est déclarée « pour la neutralité fiscale dès lors que les livres disponibles par voie de téléchargement et les livres imprimés présentent le même contenu ». Un entêtement français loin d’être du goût de Bruxelles, qui annonce des propositions à venir pour 2013.
(1) Fixée à 3% au Luxembourg et alignée en France sur celle du prix du livre papier.
+ repères
Aurélie Filippetti en quelques dates
1973 : naissance à Villerupt, en Meurthe-et-Moselle. Son père, mineur de fond fut maire communiste d’Audun-le-Tiche de 1983 à 1992, puis conseiller général de 1979 à 1985.
1999 : normalienne et agrégée de lettres classiques, elle devient professeur de lettres.
2001 : conseillère du 5e arrondissement de Paris en tant que tête de liste des Verts.
2003 : auteure de Les Derniers jours de la classe ouvrière (Stock).
2006 : après avoir quitté les Verts, elle devient conseillère spéciale (environnement, culture, éducation, sujets de société) dans l’équipe de campagne de Ségolène Royale.
2007 : députée de la 8e circonscription de Moselle et porte-parole du Parti socialiste à l’Assemblée nationale. Auteure de Un homme dans la poche (Stock).
2010 : co-auteure de J’ai 20 ans qu’est-ce qui m’attend ? (théâtre).
2012 : ministre de la Culture et de la Communication.