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Du service public aux modèles hybrides : l’émergence d’une nouvelle économie
Depuis les débats qui entouraient l’ouverture des données publiques il y a une dizaine d’années, le paysage français de la data s’est considérablement étoffé. Data.gouv.fr centralise aujourd’hui plus de 60 000 jeux de données, tandis que les collectivités locales ou les grandes organisations publiques multiplient les initiatives (citons, par exemple, entre autres projets stimulants, Rennes Métropole avec data.rennesmetropole.fr, Marseille avec data.ampmetropole.fr, ou encore les géoservices de l’IGN qui proposent un accès libre et gratuit à leurs données).
Cette logique étatique, qui participe utilement à la transparence démocratique, a longtemps fait office de stratégie nationale pour la donnée, cantonnant le sujet à une sphère experte et limitant l’horizon économique à la seule gratuité. Un nouveau chapitre de cette saga déjà ancienne est en train de s’ouvrir : celui de l’appropriation des stratégies data par l’ensemble des organisations et d’un changement complet d’échelle.
L’origine de cette évolution est multiple. Tout d’abord, la prise de conscience européenne que l’économie de la connaissance était une économie de la donnée et qu’il s’agissait d’y engager résolument l’ensemble des forces vives via de nombreuses (et complexes) législations : le Data Governance Act, applicable depuis septembre 2023, le Data Act entré en vigueur en janvier 2024, le renforcement progressif du Règlement général pour la protection des données (le désormais fameux RGPD), la mise en œuvre du règlement DORA (Digital Operational Resilience Act) pour les services financiers depuis janvier 2025, etc.
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Émergence de modèles d’affaires
Les modèles d’affaires se multiplient dans la foulée de ces évolutions législatives : tout d’abord, la donnée comme service (data as a service ou DaaS - des plateformes, comme DataInfogreffe.fr, proposent, par exemple, des accès à leurs jeux de données via des API, moyennant des abonnements ou des forfaits), dans une logique de consommation fluide qui s’inspire directement du cloud computing et transforme la donnée en "commodity", le modèle de licence d’accès privilégie, de son côté, une approche contractuelle, avec des droits et des obligations précis, l’échange de données peut aussi être pratiqué dans une logique de mutualisation et de réciprocité, via des modèles d’économie collaborative mobilisant la blockchain (voir, par exemple, la plateforme Axone.xyz, qui propose une infrastructure de partage sophistiquée, organisant la réciprocité des contributions des opérateurs d’un espace de données).
Ces évolutions interrogent frontalement le droit des contrats et appellent une lecture critique du droit de la concurrence, dès lors que certaines plateformes captent de grands volumes de données essentielles. Cette tension entre bien commun et actif marchand révèle par ailleurs un enjeu fondamental : comment concilier les principes d’ouverture avec la nécessité de financer des infrastructures durables ? L’équation n’est pas simple, d’autant que les coûts de collecte, de traitement et de mise à disposition des données sont réels et croissants.
Des "data spaces" sectoriels comme pivot de la souveraineté européenne des données
Face aux défis de la souveraineté numérique, l’Union européenne a choisi de miser sur les "data spaces" sectoriels. Cette approche, moins visible que les grandes plateformes généralistes, n’en est pas moins stratégique. En France, plusieurs initiatives se sont engagées dans cette dynamique.
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Le AgDataHub connecte exploitants agricoles, industriels et pouvoirs publics autour d’un partage contrôlé des données. L’objectif : optimiser les pratiques culturales tout en préservant la confidentialité des informations stratégiques. Le modèle repose sur une gouvernance multiacteurs et des standards d’interopérabilité exigeants. Plus controversé, le Health Data Hub centralise la valorisation des données de santé à des fins de recherche et de pilotage des politiques publiques. Malgré les débats sur la protection des données personnelles, cette plateforme illustre le potentiel de l’approche sectorielle pour des domaines sensibles.
Plus récent, l’European Legal Data Space (ELDS) réunit les acteurs de la chaîne juridique autour d’initiatives de normalisation et d’exploitation des décisions de justice, contrats et référentiels juridiques. Pour les professionnels de l’information juridique, cette initiative ouvre des perspectives inédites de valorisation et d’innovation. Enfin, TEMS Dataspace explore les synergies entre médias, mobilités et aménagement du territoire, révélant des interconnexions jusqu’alors peu exploitées.
Des solutions clés en main pour valoriser ses données
Ces "data spaces" s’adossent à des infrastructures européennes structurantes, comme Gaia-X, qui ambitionne de doter l’Europe d’une souveraineté numérique face aux géants américains et chinois. Des opérateurs privés, comme OpenDataSoft et Dawex, complètent cet écosystème en proposant des solutions techniques clés en main pour les organisations souhaitant valoriser leurs données.
Mais, au-delà des promesses techniques, les difficultés résident souvent dans la gouvernance, la standardisation et la capacité à créer une véritable adhésion des écosystèmes concernés. L’interopérabilité reste un défi majeur, que celle-ci soit technique (formats, API), sémantique (vocabulaires communs) ou organisationnelle (modèles de gouvernance partagée).
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Vers une professionnalisation de l’écosystème
L’observation de ces transformations au gf2i nous a permis de révéler quatre leviers essentiels pour le développement harmonieux de cet écosystème :
- La qualité des données
Elle constitue le préalable à toute chaîne de valeur : sans données fiables, récentes et bien documentées, aucun service innovant ne peut émerger. Cela suppose des processus d’évaluation, de documentation (métadonnées) et de révision permanente, souvent sous-estimés par les porteurs de projets,
- L’interopérabilité
Déjà évoquée, elle conditionne la circulation effective des données entre systèmes et organisations ;
- La gouvernance multiacteurs
Elle garantit l’adhésion des utilisateurs grâce à des instances de dialogue, des comités éthiques et des chartes d’usage claires.
- Le soutien public
Celui-ci demeure indispensable, non seulement pour l’amorçage de plateformes mutualisées, mais aussi pour l’accompagnement des parties prenantes.
Des questions juridiques complexes
Ces transformations s’accompagnent de questions juridiques complexes. La réutilisation des données doit concilier les principes d’ouverture avec les droits spécifiques reconnus aux producteurs, notamment les droits"sui generis" sur les bases de données. Les modèles de tarification interrogent : faut-il plafonner les prix d’accès à certaines données essentielles ? Comment éviter les effets d’accaparement ou de barrières à l’entrée ?
La confiance numérique exige des garanties juridiques robustes pour la traçabilité, l’auditabilité et la pseudonymisation des données sensibles. Le droit européen, avec le Data Governance Act et le Data Act, propose des réponses, mais celles-ci doivent être complétées par des instruments techniques et des standards sectoriels adaptés.
Conclusion : l’information au cœur d’un nouveau paradigme
Pour les professionnels de l’information, ces évolutions ouvrent des perspectives considérables. L’intelligence artificielle transforme les capacités de valorisation automatisée des données, les API permettent l’intégration fluide de services externes et les approches collaboratives redéfinissent les chaînes de valeur traditionnelles.
Cet écosystème complexe, mais dynamique, dessine les contours d’une nouvelle économie de l’information. Entre ouverture et contrôle, entre intérêt public et valorisation privée, entre normes nationales et aspirations européennes, les professionnels de l’information ont un rôle clé à jouer dans sa structuration. L’enjeu ne consiste plus seulement à suivre ces transformations, mais à y contribuer activement. Cela suppose une capacité d’anticipation, une sensibilité à l’évolution technologique, et une réflexion éthique renouvelée sur le statut des données dans nos sociétés contemporaines.
Une nécessité professionnelle
Les stratégies data ne sont plus une option, mais bien une nécessité professionnelle. Pour les métiers de l’information, le défi consiste à passer d’une posture de veille à une approche proactive d’intégration et de valorisation. Dans cette perspective, la collaboration entre acteurs publics, privés et associatifs, incarnée par des structures comme le gf2i, devient plus que jamais stratégique. L’économie de la donnée se structure sous nos yeux, à nous de la façonner dans le sens de l’intérêt général et de l’innovation responsable.
Thomas Parisot
[Président du groupement français de l’industrie de l’information (gf2i)]