
RETROUVEZ CET ARTICLE ET PLUS ENCORE DANS NOTRE MAGAZINE : CONSTRUIRE ET ENTRETENIR SON STORYTELLING AVEC LES ARCHIVES
Au sommaire :
- Construire et entretenir son storytelling avec les archives : les agences témoignent
- Fédérer les équipes autour du patrimoine : quand la mémoire des marques permet d’innover
- Storytelling et archives : qui pour porter le projet ? Mieux vaut-il piloter ce projet en interne ou faire appel à des experts ?
- Réseaux sociaux : un gisement d’archives à valoriser ? Comment collecter et valoriser ces contenus ?
Et si les différents designs de Mickey, les coulisses de la fabrication de "Blanche Neige", les objets créés pour le film "Toy Story" et les costumes de la saga "Star Wars" n’étaient pas juste des reliques à collectionner ? Depuis 1970, The Walt Disney Company dispose de son propre centre d’archivage. Situé à Burbank en Californie, il concentre les documents d’étude, les scripts originaux, les accessoires et costumes, les photographies de tournage et tout autre information ou artefact témoignant de l’histoire des studios…
"Fondées par Dave Smith (premier archiviste de la Walt Disney Company), les Walt Disney Archives constituent une ressource essentielle pour l’ensemble de l’entreprise, ainsi qu’un centre de recherche important pour les universitaires, chercheurs et auteurs spécialisés dans Disney", peut-on lire sur le site du club officiel des fans de Disney’s D23, qui héberge les informations et communications du centre d’archives. Le fabricant de rêves et de divertissements se sert aussi de son patrimoine comme outil stratégique. Une façon d’écrire son storytelling et de s’adresser aux aficionados de la maison de Mickey : "rappelez-vous qui nous sommes et suivez-nous pour la suite des aventures" !
Dans ses communications, The Walt Disney Company n’hésite pas à mettre en scène ses archives pour convoquer des émotions à foison chez son public (et, bien sûr, pour les pousser à consommer ses divers produits). Mais ces archives ne sont pas uniquement utilisées pour nourrir des campagnes publicitaires. Depuis 2023, une grande exposition mobile parcourt le monde pour fêter les cent ans de Disney, avec, à la manœuvre, Walt Disney Archives. Par ailleurs, sur le site de D23, les internautes peuvent utiliser "Ask Archives" pour interroger l’histoire de l’entreprise. Chaque question est publique, avec une catégorisation par thématique.
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Les exemples d’utilisation des archives pour communiquer avec son audience sont multiples et protéiformes. "Le patrimoine d’une organisation est fondamental et très précieux", explique Anne de Forsan de Gabriac, fondatrice et CEO de l’agence de relation presse StoriesOut. "Il permet notamment d’asseoir la légitimité de son ambition. Par exemple, le Groupe Ceme France, spécialisé en génie électrique, climatique et dans la maintenance, a lancé une offre pour des data centers. Nous nous sommes plongés dans son histoire pour comprendre qui ils sont et comment nous allions en parler."
Les moments forts d’une organisation sont souvent l’occasion d’interroger son passé. "Il y a des éléments déclencheurs", constate Anaëlle Guérin, gérante de l’agence Bird, dont la spécialité est la collecte et la valorisation des archives orales. En premier lieu, la volonté de garder une trace : "le recueil permet de documenter le passé, d’apporter une meilleure compréhension et de garder une trace des personnes qui sont parties ou qui vont partir", explique-t-elle. Vient ensuite la volonté de se faire connaître : "la communication peut être destinée à l’interne, à un cercle restreint ou à quelque chose de plus ouvert". Et, enfin, vient la volonté de fédérer : "le patrimoine peut servir la création d’un sentiment social et intergénérationnel."
Se comprendre pour mieux se faire comprendre
Il existe ainsi plusieurs manières d’articuler archives et communication. Certaines agences utilisent les archives comme une véritable matière première scientifique pour construire un récit. Dans le cadre du centenaire du Parc des expositions de la porte de Versailles, son gestionnaire Viparis a fait appel à l’agence d’ingénierie culturelle S’toria pour accompagner son service communication et marketing. "Nos recherches préalables ont ainsi été un support pour la rédaction du dossier de presse retraçant l’histoire des lieux, de 1925 à nos jours, ainsi que la composition d’une exposition", explique S’toria. "Celle-ci se décline sur plusieurs panneaux grand format, positionnés à l’intérieur du Parc des expositions de la porte de Versailles, mais également le long de ses grilles, permettant à tous les passants de découvrir l’incroyable histoire de ces lieux."
Une telle démarche s’ancre dans l’histoire avec un grand "H". "C’est le principe de l’"historytelling"", explique Radouan Andrea Mounecif, responsable du pôle archives & histoire au sein de l’agence Perles d’Histoire. "Nous ne réécrivons pas l’histoire d’une marque, nous l’étudions à partir de sources fiables, que nous soumettons aux méthodes critiques des historiens et des sciences humaines. Cette rigueur change tout, car, dans une logique d’"heritage marketing", un discours qui s’appuie sur une démarche scientifique possède une solidité et une crédibilité bien différentes de celles d’un récit construit sur des images ou des éléments de langage."
Perles d’Histoire propose également un service autour des archives sensibles. "Il peut-être intéressant pour les entreprises d’écrire leur "histoire des temps difficile", qui peut être moins comprise et acceptée, plutôt que de cacher son passé derrière un récit artificiel", détaille Radouan Andrea Mounecif. "C’est une façon de se reconstruire, de montrer qu’il y a une prise de conscience et des choix qui évoluent avec la société."
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Faire le lien entre archives et communication
Dans la pratique, comme l’illustrent les exemples cités précédemment, les archives peuvent être valorisées de plusieurs façons pour se dévoiler auprès des différents publics (clients, grand public, etc.). "Les formats sont très divers et dépendent du niveau de maturité des organisations", confirme Radouan Andrea Mounecif. Pour ses cent ans, Stockmeier France (entreprise spécialisée dans la distribution de produits chimiques) a fait appel à Perles d’Histoire. "L’objectif était de travailler sur leur "historytelling" afin de raconter leur ADN, leurs valeurs fondatrices, pour mettre en lumière leur capacité de réinvention et pour inspirer les équipes."

Deux livrables sont nés de cette collaboration. "Nous sommes partis des archives internes et nous avons mené des recherches au sein d’archives privées et publiques", poursuit Radouan Andrea Mounecif. Ainsi, l’agence d’ingénierie archivistique, historique et culturelle a réalisé une collecte d’archives orales auprès d’anciens et d’actuels collaborateurs pour créer un film diffusé en interne - "qui a été très bien accueilli !" -. Un livre a aussi été publié pour être diffusé au-delà de l’entreprise. "Il y a souvent une prise de conscience lorsque nous intervenons", remarque Radouan Andrea Mounecif. "Les gens ne font pas forcément le lien entre les archives qu’ils ont sur leur bureau ou chez eux et un projet historique."
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Quand les archives dialoguent
Pour Anaëlle Guérin, l’usage des archives permet de rendre les choses plus "vivantes". "Le recueil de témoignages apporte une dimension humaine et un vécu", explique-t-elle. "D’abord, les témoins se sentent reconnus et valorisés, puis cela fait boule de neige : nous créons une proximité, un lien entre le passé et la personne qui écoute ou lit l’histoire." Dans ses restitutions, la gérante de Bird tient à intégrer différents formats d’archives. "C’est un travail que j’apprécie et qui donne une résonance intéressante. Sur des formats vidéos, nous pouvons inclure des images qui viennent illustrer ce que la personne raconte. Ainsi, les archives se nourrissent entre elles."
Et l’IA dans tout ça ?
En ces temps où l’intelligence artificielle est (presque) devenue incontournable, celle-ci a aussi sa place dans l’élaboration d’un storytelling, que ce soit au service de la recherche et de la conservation des archives ou pour la restitution en tant que nouveau format de communication. Ainsi, le Parlement européen a lancé Ask the EP, un outil développé en collaboration avec la société américaine Anthropic. Cette IA générative met à la portée de tous l’histoire politique européenne à travers des archives numérisées. Elle est en mesure de répondre à des questions directes comme "Qui était Simone Veil ?" ou "Que stipulait le traité de Maastricht ?".
De son côté, pour ses cent-trente ans, l’Office du Tourisme d’Annecy a diffusé un film d’animation de sept minutes mettant notamment en scène des personnes prises en photo au début du XXe siècle. L’intelligence artificielle développée pour l’occasion a permis de remettre en mouvement le quotidien et les paysages de la ville d’Annecy à partir de 23 images d’archives et de cartes postales.

Mais une question se pose. Les images et vidéos générées par les IA génératives auront-elles leur place et de la légitimité dans le récit des organisations ? "L’IA et les nouvelles technologies peuvent permettre de faire des choses merveilleuses", souligne Anne de Forsan de Gabriac. "Grâce à elles, j’ai récemment pu écouter un enregistrement de mon arrière-grand-mère, chanteuse de music-hall et première femme juive à monter sur scène en Algérie - un moment émouvant. Mais il y a aussi des deep fakes visuels et sonores. Comment deviendront-ils des éléments de la mémoire collective ?" Ces médias et autres documents créés seront-ils demain considérés comme des archives à part entière ? À suivre…










