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Conduite du changement et collaboration : liaisons et perspectives

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    Les atouts de la veille collaborative ne sont plus à démontrer : la mise en commun de connaissances collectées par les uns et les autres permet de faire gagner beaucoup de temps aux organisations. (Pixabay/Hebi65)
  • Jusqu’à quel point conduite du changement et collaboration ont ou devraient avoir affaire ensemble ? Mise en perspective.

    La conduite du changement est une discipline relativement jeune, pourtant certains remettent en cause récemment ses approches car ils les jugent trop linéaires et directives, elles ne seraient plus adaptées aux organisations dans l’environnement actuel. Ils demandent notamment qu’elles intègrent plus de collaboration entre les parties prenantes. Par ailleurs, le fonctionnement en mode collaboratif est de plus en plus demandé aux organisations pour répondre à leurs différents enjeux dont la vitesse d’exécution des actions et la réactivité par rapport aux évolutions de leur environnement.

    L’objet de l’article est d’étudier les deux types de liaison entre conduite du changement et collaboration de manière à en faire ressortir les éléments saillants pour l’une comme pour l’autre.

    1. La conduite du changement avec l’appui de la collaboration

    Depuis ses origines jusqu’à nos jours, la conduite du changement a donné lieu à de nombreuses études et analyses. C’est pourquoi dans la mesure où le sujet reste toujours le même, à savoir la gestion de l’élément humain dans les changements, il est nécessaire d’adopter une vision historique pour prendre du recul par rapport aux approches qui ont été mises en avant au fil des années qui restent toutes plus ou moins valides.

    On positionne généralement les origines de la conduite du changement à la fin de la seconde guerre mondiale. La figure 1 présente une vue d’ensemble de l’histoire de la conduite du changement avec ses principaux intervenants.


    Les principales périodes historiques de la conduite du changement.

    On distingue généralement les trois catégories suivantes de changement.

    1 - le changement incrémental

    Les changements incrémentaux, sont des changements qui consistent à faire évoluer l’existant pour le rendre meilleur. Le nouvel état à atteindre est connu. Il s’agit juste d’une amélioration de la situation existante qui peut être due à une évolution minime de l’environnement ou du marché. Son rythme de mise en place est progressif, son mode de gestion est imposé ou co-construit et sa planification ponctuelle.

    Typiquement, la modification d’une procédure, l’évolution d’un système d’information, la résolution d’un problème technique, etc. se positionnent dans cette catégorie de changement.

    2 - le changement transitionnel

    Les changements transitionnels sont des évolutions qui vont amener une organisation, globalement ou sur un domaine, à changer en passant d’un état présent, bien connu car correspondant à la situation actuelle, à un état futur connu pour l’essentiel. Le qualificatif transitionnel fait référence à ce changement d’état, imposé la plupart du temps, avec une étendue variable et une profondeur souvent forte. Etant linéaire, son rythme peut être rapide et sa planification globale.

    Classiquement, les fusions simples de deux organisations, la mise en place d’un progiciel de gestion intégrée, un déménagement, etc. sont des changements transitionnels.

    3 - la transformation

    Les transformations sont des changements qui bouleversent une organisation sans pour autant que l’état à atteindre soit connu précisément au démarrage du processus de changement. L’organisation doit se réinventer, rapidement et de manière co-construite le plus souvent, sous ses différents aspects pour faire face à ses enjeux, en procédant de manière non linéaire par essais, erreurs, bilans et apprentissages, en se basant sur une vision de l’état futur.

    Ce que l’on appelle la digitalisation des organisations est un changement transformationnel car son résultat n’est pas connu à l’avance. En fait, il variera beaucoup en fonction de la nature des technologies utilisées ainsi que de leur appropriation par les collaborateurs pour des usages qui n’auront pas toujours été imaginés préalablement.

    besoin de collaborer

    Dans la mesure où les changements transformationnels se font de plus en plus fréquents au sein des organisations, le besoin de collaborer entre les parties prenantes pour construire le changement se fait de plus en plus fort. Cela signifie que la conduite du changement a dû évoluer pour intégrer au mieux les pratiques collaboratives. Certains proposent d’abandonner les démarches classiques et de ne plus réaliser qu’une succession d’ateliers présentiels pour mobiliser les collaborateurs. D’autres, à l’opposé, suggèrent de s’appuyer sur les réseaux sociaux d’entreprise (RSE) lors de changements notables pour traiter les réactions des collaborateurs.

    Même s’il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus car la question posée est celle de la digitalisation de la conduite du changement, il est néanmoins possible de mettre en avant les recommandations suivantes :

    • identifier la part transformationnelle dans les changements et en tirer les conséquences pratiques pour l’organisation des projets ;
    • aménager les démarches usuelles de conduite du changement de manière à les rendre plus participatives et les digitaliser autant que possible ;
    • retenir des chefs de projet possédant des compétences multiples et un leadership reconnu au sein de l’organisation ;
    • intégrer les activités de conduite du changement à la programmation des projets ;
    • intégrer le coaching individuel et d’équipe dans les activités de conduite du changement ;
    • viser l’internalisation des compétences de conduite du changement à travers notamment la formation des chefs de projet à ses différentes approches et outils.

    2. La conduite du changement pour déployer la collaboration

    La collaboration, autrement appelée travail collaboratif, a déjà une histoire substantielle tel que le montre la figure 2 :


    Les principales étapes du travail collaboratif dans les organisations.

    C’est à partir du début des années 80 que se sont déployées dans les entreprises industrielles les pratiques du travail collaboratif à travers les travaux dans des petits groupes. Plusieurs objectifs étaient visés. Ces opérations étaient ponctuelles ou alors réalisées dans le cadre d’un projet d’entreprise sur le domaine industriel. Dans tous les cas, il s’agissait de faire travailler de manière collaborative au sein de petits groupes les opérateurs avec les différents spécialistes fonctionnels pour obtenir des résultats notables sur la réduction du temps de cycle de production ou de la taille des stocks (just in time, JIT), la qualité des productions (total quality control, TQC) ou la productivité des équipements (total productive maintenance, TPM). A ce niveau, seul un appui au management intermédiaire à été fourni et aucune conduite du changement n’a été mise en place.

    émergence du chef de projet

    Au milieu des années 90 s’est déployé le travail multifonctionnel dans les entreprises industrielles au sein du processus de développement des produits nouveaux sous le nom d’ingénierie simultanée (concurrent engineering). Il s’agissait de faire collaborer de manière organisée le marketing, la R&D, les services de méthodes industrielles, la production et la qualité pour réduire le délai et les coûts de développement des produits nouveaux. De fait, l’organisation était très hiérarchique et le processus de développement des produits nouveaux très cloisonné. A sa place, les organisations on fait émerger la fonction de chef de projet et développé un fonctionnement plus multifonctionnel et intégré se basant sur la définition et la mise en place d’une charte de développement des produits nouveaux ainsi que sur le management de projet dans une perspective plus ouverte qu’auparavant.

    Ces opérations qui se sont déroulées avec l’appui d’une conduite du changement pragmatique ont été en règle générale réussies et les groupes industriels ont vu les délais et les coûts de développement des produits nouveaux se réduire.

    En revanche, il a fallu des évolutions technologiques dans les outils logiciels, l’arrivée du groupware, pour voir la généralisation des pratiques collaboratives dans l’ensemble de l’organisation. Il s’agissait avec le groupware de relier les individus dans une logique sociale et de permettre le travail collaboratif en cohérence avec les outils bureautiques. D’emblée le groupware s’est positionné comme un dispositif organisationnel et logiciel permettant de faciliter l’interaction synchrone comme asynchrone à partir de lieux principalement différents. De manière détaillée les services suivants ont été considérés comme relevant du groupware : messagerie électronique, forum de discussion, agenda électronique partagé, base documentaire, workflow, etc.

    règle des trois tiers

    S’agissant de la réalisation des projets de groupware, elle n’était pas considérée comme celle de classiques projets informatiques. Certains ont même formulé une règle pour décrire les différents aspects d’un tel projet. Il s’agissait de la règle des trois tiers : un tiers de management, un tiers d’organisation, un tiers d’informatique qui était une première approche de conduite du changement. Au final, de très nombreux projets de groupware ont été réalisés avec un succès certain dans différents secteurs et pour différentes fonctions.

    Le concept de communauté de pratique est apparu au début des années 90, mais ce n’est qu’à la fin de ces mêmes années que des mises en œuvre d’ampleur ont été réalisées dans les groupes anglo-saxons. C’est au début des années 2000 qu’elles se sont développées en Europe. De nombreux groupes industriels, de service ou bancaires ont mis en place des communautés de pratique dans le but d’apporter de l’assistance entre les membres, faciliter le partage des connaissances au sein de leurs équipes réparties à l’international, trouver des solutions à des problèmes opérationnels, mettre au point des référentiels métier…

    des dispositifs personnels d’incitation

    Le déploiement des communautés de pratique s’est appuyé pour l’aspect logiciel sur des espaces collaboratifs et documentaires intégrés ou non à des portails. C’est une conduite du changement principalement basée sur des dispositifs personnels d’incitation qui a été déployé pour mobiliser les collaborateurs. La principale valeur ajoutée reconnue aux communautés de pratique est d’avoir permis le partage transversal des expériences et des connaissances entre professionnels principalement d’un même métier, situés dans différents lieux ou pays, dans une perspective d’amélioration de la performance opérationnelle. Par contre, leur mise en place n’était pas aisée, notamment car leur déploiement pouvait être très consommateur de ressources parce que restant fortement présentiel.

    dimension sociale

    Le milieu des années 2000 a vu, dans le contexte du web 2.0, le déploiement sur internet de Facebook, Twitter, LinkedIn... qui ont été appelés par analogie réseaux sociaux car ils facilitaient la mise en rapport des individus et le partage d’information. Comme cela s’était passé pour les portails un peu plus tôt, les organisations ont été sommées de mettre en place des réseaux sociaux. C’est comme cela que sont apparus les RSE. Pour répondre à cette injonction, des éditeurs de logiciels sont apparus et ont développé des solutions adaptées aux organisations en s’inspirant dans un premier temps des pratiques des internautes. Sans vouloir citer tous les éditeurs qui se sont lancés dans l’opération, de manière plus ou moins progressive, il est possible de citer BlueKiwi, Chatter, Jalios, Jamespot, Jive, KnowledgePlaza, Newsgator, Yammer, YoolinkPro. Mettant en avant fortement la dimension sociale en plus du collaboratif, ce qui était relativement nouveau, la mise en œuvre des RSE a préoccupé de nombreuses organisations.

    C’est dans ce contexte que se pose actuellement la problématique de la conduite du changement pour le déploiement du travail collaboratif. Sur la base d’une enquête réalisée au premier trimestre 2013 avec l’EMLyon, KnowledgeConsult a proposé une approche de mise en œuvre (2) qui doit être modulée suivant la maturité de l’organisation par rapport au travail collaboratif et à la communication transverse. Elle est présentée dans la figure 3.


    Démarche de mise en œuvre d’un RSE.

    Dans cette démarche, quasiment toutes les étapes ont une composante relevant de la conduite du changement aux différents niveaux (organisation, groupe, individu). Certaines en ont cependant une vocation plus affirmée. Il faut retenir que pour déployer le travail collaboratif avec succès, il est nécessaire :

    • d’avoir une vision claire de la cible visée et que celle-ci soit aisément appropriable pour la culture de l’organisation ;
    • de bien considérer les différents niveaux d’une organisation pour les actions qui vont être déployées afin de mobiliser les collaborateurs (organisation, groupe et individu) ;
    • d’adopter une démarche de projet qui soit structurée, mais qui reste ouverte ;
    • de posséder une connaissance partagée des différents dispositifs que l’on veut mettre en place (groupe de travail, équipe projet, communauté de pratique, espace de communication…) ;
    • de ne pas considérer l’animation de ces différents dispositifs comme un métier en soi, mais plutôt une compétence à acquérir ;
    • de célébrer le plus fréquemment possible les résultats notables lorsqu’ils sont atteints.

    Dans la mesure où les évolutions de la conduite du changement mettent en avant la nécessité d’être plus collaboratif et où le déploiement de la collaboration nécessite une conduite du changement, ne faut-il pas au final réfléchir aux manières d’intégrer les deux activités ? 

    Denis Meingan (Directeur associé - KnowledgeConsult)

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