CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°386
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Le Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale (PJGN) rassemble près de 540 femmes et hommes, militaires ou civils, et 75 métiers. Cette "centrale", située à Pontoise dans le Val-d’Oise, a pour mission d’appuyer les différentes unités de la gendarmerie à travers la France. Elle accueille en son sein l’Institut de recherche criminelle (IRCGN), le Service central de renseignement criminel (SCRCGN) et différents plateaux d’investigation. C’est ici qu’officie le Plateau d’investigations sur les faux et la fraude à l’identité (Piffi) créé il y a tout juste un an.
"C’est pour répondre à des demandes de plus en plus diversifiées, complexes, plus ou moins prioritaires et avec des thématiques transverses que le Piffi a été créé", explique le lieutenant-colonel Pierre Ledroit, adjoint à la division des opérations du SCRCGN et coordinateur du Piffi. "Le système de ce plateau est sans équivalent en France et peu répandu à l’international". En effet, celui-ci dispose d’une quinzaine de profils éclectiques, réunis au même endroit et luttant tous contre la fraude documentaire et principalement contre la fraude à l’identité.
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"Le Piffi est composé d’environ 50 % d’analystes et d’enquêteurs spécialisés et de 50 % d’experts en forensique (Ndlr : anglicisme qui désigne une méthode scientifique utilisée pour éclairer les circonstances d’une affaire judiciaire) et en fraude à l’identité capables de réaliser des analyses techniques poussées sur les encres, les méthodes d’impressions ou les moyens de sécurité utilisés par les fraudeurs", précise le lieutenant-colonel. En tant qu’unité opérationnelle, le Piffi est en charge de cas complexes et sensibles : "nous nous déplaçons sur le terrain lors de perquisitions ou d’autres opérations en France et dans le monde", ajoute-t-il. "Le plateau est une porte d’entrée et de sortie unique qui fournit une réponse complète sur de larges thématiques, quel que soit le requérant".
La formation est aussi au cœur des missions du Piffi. "Quinze personnes pour répondre aux demandes de près de 100 000 gendarmes, ce n’est pas suffisant !", souligne le lieutenant-colonel Pierre Ledroit. "Et de faux documents, il y en a partout en circulation !". Le plateau fonctionne donc comme une chaîne, et même si les briques d’enseignement existent depuis plus de vingt ans, celles-ci ont également été repensées. "Nous formons des personnes à différents niveaux de qualification qui vont elles-mêmes diffuser leur savoir jusqu’aux unités territoriales", poursuit-il.
L’enquêteur fraude documentaire
Le premier échelon de formation dispensé par le Piffi concerne les connaissances de base autour des documents, les réflexes à observer ou encore le développement de compétences d’analyse de détection et d’utilisation de matériels. 14 000 gendarmes ont déjà été formés sur deux jours à la "centrale" à ce programme. "Nous les appelons les contrôleurs de titres sécurisés (CTS)", reprend le coordinateur du Piffi. "Ils sont capables d’analyser la plupart des documents d’identité courants". Parallèlement, des formations d’une semaine sont destinées aux formateurs de contrôleurs de titre sécurité (FCTS), voués à être des relais auprès des différentes unités en France.
Enfin, le Piffi forme sur quatre semaines un autre métier : celui d’enquêteur fraude documentaire (EFD). "Il est compétent pour ouvrir des enquêtes, interpeller les porteurs de faux et démanteler les réseaux de fraude documentaire", précise le Piffi. "Il dispense également des formations de "Lutte contre la fraude documentaire" auprès des militaires de la gendarmerie, d’agents administratifs des préfectures, sous-préfectures, mairies, collectivités locales, mais également auprès de sociétés privées (La Poste, grandes enseignes commerciales…)".
Aujourd’hui, près de 700 EFD ont suivi cette formation et se trouvent maintenant dans nos différents départements. "Ceux qui viennent suivre nos sessions n’ont pas de bagage particulier, mais ils ont une expérience professionnelle et un vécu", précise le lieutenant-colonel Pierre Ledroit, lui-même ingénieur chimiste de formation. "Nous sommes tous des passionnés du sujet et de l’enquête criminelle de manière générale. Nous résolvons des affaires, nous interpellons des auteurs et nous rendons justice à des victimes. Il y a une réelle satisfaction et un véritable sens du service".
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Le Piffi est aussi chargé d’animer l’ensemble de son réseau en diffusant régulièrement des informations : notes de renseignement criminel, fiches techniques sur des tendances de fraudes… Ces échanges réguliers via l’intranet ou les outils de chat de la Gendarmerie font office de formation continue et sont "recyclés" tous les cinq ans. Un ratio coût/intérêt qui permet malgré tout de rester à jour.
Les outils à la disposition du Piffi
Car se maintenir à jour est indispensable face aux avancées technologiques et à l’évolution des typologies des fraudes et de fraudeurs. "Les procédures judiciaires concernant la fraude à l’identité ont augmenté de plus de 90 % en 10 ans", explique le coordinateur du Piffi. "Notamment avec la numérisation des titres et la démultiplication de l’offre de fraude sur internet et sur les réseaux sociaux". Les réseaux de délinquants sont internationaux et souvent développés par des profils scientifiques ou informatiques.
De leur côté, les enquêteurs ont plusieurs outils à leur disposition. "Nous avons déjà l’outil régalien", poursuit-il. "Celui-ci nous permet de vérifier si le titre est référencé dans nos bases de données. Si c’est le cas, nous appliquons la méthode du "toucher, regarder, incliner", afin de dégrossir et de détecter les anomalies du document". Les EFD disposent ensuite d’outils optiques permettant une analyse plus poussée : techniques d’impressions utilisées, analyse du papier, des encres ou des éléments de sécurité (hologramme, bande MRZ…). "Nous sommes en lien avec l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), avec l’Imprimerie nationale et avec nos homologues internationaux (lorsque nous sommes confrontés à des titres de ressortissants étrangers) pour faire des vérifications, mais aussi pour les informer des failles".
Bien sûr, comme lors de l’arrivée des logiciels de retouche image "mainstream", les outils d’intelligence artificielle, et notamment d’IA générative, sont autant de nouvelles problématiques, car ils permettent de produire des faux très réalistes. "Dès que les fraudeurs utilisent une technologie, nous devons également nous en emparer", souligne le lieutenant-colonel qui était expert "empreinte digitale" durant huit ans à l’IRCGN. "Nous travaillons avec des entreprises privées pour développer des outils d’assistance à l’analyse de documents basés sur l’IA".
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La démocratisation de l’identité numérique soulève aussi des interrogations. Si les documents physiques restent pour le moment le plus gros des enquêtes, le Piffi travaille avec d’autres services de la gendarmerie sur les points de vulnérabilité que les fraudeurs pourraient exploiter.
"L’objectif d’un contrôle d’identité, d’une prise d’empreintes ou d’un prélèvement ADN, que ce soit sur le bord de la route ou dans un cadre judiciaire, c’est l’obtention d’une identité", conclut le lieutenant-colonel Pierre Ledroit. "Tout part de là et l’ensemble d’une procédure judiciaire peut s’écrouler si l’identité de la personne que nous poursuivons n’est pas sûre à 100 %".