"changeons de référentiel, la gratuité rapportera gros"

 

Archimag. Votre ouvrage propose une réflexion sur les réseaux d’échange entre internautes(P2P). Quelle en est la genèse ?

Alban Martin. Ce livre se situe dans la continuité demon mémoire de fin d’études que j’ai réalisé à HEC etqui a obtenu le Prix de la Fondation HEC 2004. Ilexiste peu d’ouvrages en langue française sur le sujet.Mon ambition est de prendre le contre-pied des idées reçues les plus répandues, selon lesquelles le piratageou les échanges de fichiers détruisent de la valeur. Au contraire, si l’on change de référentiel économique, on se rend compte que la gratuité peut rapporter gros.
 
Le coeur de votre argument repose sur la notion de cocréation de valeur.
 
En effet, le changement de référentiel économique quej’évoque est le suivant : au lieu d’affirmer que seulel’entreprise crée de la valeur en inventant des produits,je crois que, de l’autre côté de la caisse enregistreuse,le client apporte également de la valeur. Par leursusages, les clients vont produire à leur tour de lavaleur pour l’entreprise. L’entreprise doit abandonnerla situation de monopole de création de valeur se plaçantdans un système de cocréation de valeur. Elle doitinteragir avec les clients, ne plus les condamner enbout de chaîne dans une position passive. Aucontraire, elle a intérêt à les impliquer en amont et leplus tôt possible. De cette nouvelle démarche résultentdes produits personnalisés.
 
Sur quelle base une entreprise peut-elle associer les usagers à ses créations ?
 
Souvent l’usager lui-même émet le voeu de s’impliquerdans la cocréation, surtout parmi la frange la plus jeune des consommateurs. Selon une étude réalisée en décembre 2005 par l’institut de recherche Pew, 54%des adolescents vivant aux Etats-Unis sont créateursde contenus, blogs, musique, photos et vidéos. Les futurs clients de l’industrie du divertissement manifestent une attitude active dans leurs loisirs. Pour eux, il faut ouvrir l’interaction. L’entreprise y trouvera son compte en termes d’améliorations à apporter aux produits grâce à une remontée d’informationi presque immédiate, ou bien de promotion réalisée par les usagers eux-mêmes.
 
Du coup, le statut du créateur est revisité. Le créateur, artistique ou industriel, doit-il tenir compte de l’avis des usagers ?
 
Cela dépend des produits. Dans l’art, le créateur doit construire son oeuvre selon sa sensibilité et son inspiration. Il peut malgré cela ouvrir son univers en demandant à ses auditeurs quelles chansons ils souhaiteraient entendre en concert,quels sont les bonus qu’ils aimeraient écouter ou bien, pour un cinéaste, quel type de making-of les spectateurs souhaiteraient visionner. En ce qui concerne le domaine industriel,c’est autre chose. La cocréation de valeur s’applique à tous les secteurs. Un constructeur de bateau, parexemple, peut inviter ses futurs clientssur sa chaîne de production pour personnaliser le navire selon leur volonté.Cela entraîne une baisse des coûts pour le constructeur. L’ensemble de la production sera écoulée, car réalisée en fonction de la demande expresse duclient. En France, la société Lafraise.com connaît un certain succès en produisant des T-shirts personnalisés selon la demande des internautes. Le client exprime très précisément ce qu’il a envie d’acheter. Cette société ne fabrique que des produits en phase avec le souhait des acheteurs et évite ainsi les invendus.
 
Le type de modèle économique que vous décrivez inspire des doutes, voire de la méfiance. Comment le rendre crédible ?
 

C’est un modèle économique qui permet d’enclencher une collaboration entre les entreprises et les clients. Eneffet, certains d’entre eux commencent à avoir plus de pouvoir que certaines sociétés de communication et deviennent des sources d’influence. Pourquoi ne pasmettre sur pied un modèle d’interaction profitable pour l’entreprise et les clients ? Cette théorie permet à l’entreprise de passer du stade passif au stade proactif,d’anticiper l’évolution des marchés. Une entreprise qui héberge un forum de discussion sur son site peut très rapidement repérer des problèmes et répondre aux clients.
 

Le monde économique contemporain estextrêmement compétitif. Les coups bas sont une réalité. Une entreprise ne s’expose-t-elle pas à des risques de déstabilisation en ouvrant ainsi des forums à des clients qui peuvent être des concurrents masqués ?
 
Certes, elle prend le risque de s’exposer à des attaques ; mais sa proximité avec les clients constitue un atout. La statistique suivante est plutôt rassurante :pour qu’un service fonctionne et s’améliore, il suffit decompter 90 % de personnes de bonne volonté et10 % de malveillantes. Si ce rapport est préservé, le service monte en compétence et génère un cercle vertueux. Dans le monde de l’internet">i, on ne peut pas prétendre qu’il y ait 10 % de gens malveillants.
 
Vous affirmez que la cocréation de valeur dégage des bénéfices financiers.
 
Oui, certains acteurs majeurs de l’industrie musicale finissent par s’en rendre compte. Universal vient de conclure un accord avec la plate-forme de téléchargement de fichiers Spiralfrog pour proposer gratuitement des morceaux de musique. Cette initiative sera financée par la publicité. Il s’agit d’une avancée, carl’industrie musicale comprend enfin que ce n’est pas parce que les internautes téléchargent de la musique qu’ils n’achètent plus d’albums ou d’autres produits musicaux. On sait que l’argent économisé grâce aux réseaux P2P se reporte vers les concerts. Depuis 1999,le prix des places de concert aux Etats-Unis a doublé et n’empêche pas de remplir les salles. En France, les festivals musicaux se portent très bien.
 

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.