La protection juridique du patrimoine immatériel de l'entreprise

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1-Les enjeux

Il apparaît de plus en plus évident que la valeur d’une entreprise ne se mesure plus exclusivement à la valeur de ses biens matériels, exprimés sous forme d’actifs constatés au bilan de l’entreprise. Il est tout un pan de la richesse de l’entreprise largement ignoré par le système comptable : le patrimoine immatériel, tellement immatériel qu’il n’est pas mesuré, pas financièrement, ou pas à sa juste valeur – la valeur d’une marque dépasse largement les seuls frais de dépôt ou de renouvellement de la marque à l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle), seuls constatés par la comptabilité.

Par-delà la dimension financière, il est un autre enjeu de taille : la protection de ce patrimoine immatériel, par des mesures techniques de protection, mais aussi des mesures juridiques.

2- Les protections classiques

Dans l’arsenal des protections offertes par le droit, il est tout le système de la propriété dite intellectuelle, également qualifiée d’immatérielle. Et c’est historiquement le rôle de la propriété industrielle de protéger les inventions et créations intellectuelles destinées à l’exploitation commerciale et industrielle. Voyons-les rapidement.

la propriété industrielle

  • brevets

Tout nouveau processus de fabrication peut être déposé sous forme de brevet. Ce n’est pas l’idée de mêler par exemple telles ou telles substances qui est protégeable, mais le processus détaillé de fabrication. Le système protège essentiellement l’innovation, ce qui explique que le brevet protège une invention nouvelle pour une durée qui ne dépasse pas vingt ans.

  • marques, enseignes et signes distinctifs

Tout signe de ralliement de la clientèle mérite également une protection. C’est ainsi que la marque est la plus puissante protection de ce type de signe, l’enseigne ayant une portée plus locale. D’autres signes distinctifs peuvent être protégés, au titre desquels on pourrait citer les noms de domaine sur internet, encore que ceux-ci présentent des propriétés juridiques différentes des marques. Les marques françaises sont protégées pendant dix ans à partir de leur dépôt et indéfiniment renouvelables.

  • dessins et modèles

La législation des dessins et modèles a été aménagée pour que des créations esthétiques – telles que des modèles de carrosseries ou de flacons de parfum, sans rapport fonctionnel avec une invention – puissent être protégés.

  • le secret de fabrique

Plus intéressant pour notre sujet, le secret de fabrique constitue une protection juridique en négatif : le code de la propriété intellectuelle institue un délit de violation d’un secret qui lui, est institué par l’entreprise (art. L.621-1, renvoyant à l’art. L.1227-1 du code du travail). Nous y revenons plus loin.

les noms de domaine

Déjà cités au côté des marques, les noms de domaine sont un dispositif permettant de protéger le nom du site de l’entreprise. Pour éviter le parasitisme ou des contre-sites dénigrants, il importe de sécuriser le nom de domaine d’un site en le déposant, d’une part, sous plusieurs graphies (exemple : defidoc.com et defi-doc.com) et, d’autre part, sous plusieurs domaines supérieurs (.com, .org, .net, .eu. .fr…).

le droit d’auteur

Le droit d’auteur offre une protection non négligeable et pas seulement pour les créations qui relèvent de ce droit (textes, images, sons, etc.). Ainsi, un logo ou une marque non déposée, étant déjà une création intellectuelle relevant du droit d’auteur, sont déjà l’objet d’une propriété intellectuelle. Mais celle-ci sera plus difficile à faire valoir, sauf à se ménager tous les moyens de preuve de paternité de la création, alors que le seul dépôt d’une marque à l’Inpi fait foi.

3- la protection du savoir-faire

Mais il est des richesses immatérielles de l’entreprise qui n’entrent dans aucune des catégories de protection évoquées. Ce sont notamment tous les savoir-faire, méthodes intellectuelles et autres procédures qui constituent le plus souvent l’avantage concurrentiel d’une entreprise et qu’il est donc stratégique de protéger. Ce sont les Anglo-Saxons qui ont imaginé voici plusieurs décennies des techniques de réservation du know-how ou savoir-faire.

les méthodes contractuelles

Le meilleur outil dans le domaine des affaires, pour protéger un savoir-faire, est le contrat.

  • rapports entre partenaires ou entre client et prestataire/fournisseur

Lorsque deux entreprises se rapprochent en vue de travailler en commun, soit en partenaires, soit en relation de client à prestataire ou fournisseur, il leur est possible de commencer par conclure un accord entre eux – appelé abusivement « pré-contrat » puisqu’il s’agit d’un vrai contrat, certes préalable à une relation contractuelle plus concrète –, précisant que chaque partie s’engage à ne pas révéler les savoir-faire et méthodes qu’elle viendrait à connaître chez l’autre dans le cadre des relations d’approche. Ces contrats peuvent être assortis de clauses prévoyant des sanctions pécuniaires en cas de non-respect de la confidentialité.

Cette pratique s’est largement répandue en France et il n’est pas rare qu’une société soit amenée à signer de tels accords, avant même de signer un contrat de prestation avec le client.

  • rapports avec les collaborateurs de l’entreprise

Le même système peut être pratiqué avec les collaborateurs de l’entreprise. Cela devient même une obligation lorsque des contrats de confidentialité sont signés avec des clients ou partenaires, qui obligent le prestataire à faire respecter la confidentialité par ses salariés. Il peut s’agir soit d’un accord de confidentialité autonome, soit de clauses insérées dans le contrat de travail. Dans ce cas, au-delà des interdits évidents (diffusion des noms des clients, motif de la prestation…), l’entreprise gagne à définir soigneusement le périmètre des informations qui sont classées confidentielles.

le rite initiatique

On en arrive ainsi au rite initiatique… L’entreprise érige en secrets de fabrique ou en secrets des affaires toute une série d’informations, méthodes, procédures qui au sein de l’entreprise sont considérées comme confidentielles, voire « sanctuarisées » lorsque des méthodes de travail exclusives doivent être protégées. Ces secrets sont listés dans un règlement intérieur de l’entreprise qui doit être respecté par tout salarié. Et, d’autre part, seuls les collaborateurs ayant besoin d’en connaître sont initiés à certaines de ces informations et savoirs confidentiels.

Dans la mesure où ces secrets relèvent du secret de fabrique, au sens du code de la propriété intellectuelle et de la jurisprudence, le délit de l’art. L.621-1 peut être mis en œuvre. Ou bien il s’agit de secrets d’une nature moins formelle (dits secret des affaires) et, dans ce cas, l’arsenal de la responsabilité professionnelle (sanctions disciplinaires du droit du travail) et civile (action en réparation du préjudice subi pour divulgation d’informations confidentielles), sur la base des articles 1382 et suivant du code civil, pourra être mis en œuvre. Mais aucune sanction pénale n’existe actuellement dans notre droit (voir ci-contre la proposition de loi Carayon).

des protections indirectes

Il existe encore quelques astuces de protection indirecte de certains savoir-faire.

C’est ainsi qu’une méthode de travail originale peut être soigneusement décrite dans un document (de procédure, par exemple) où la structuration du texte (plan) colle exactement avec les phases de la méthode. Le plan de l’œuvre ainsi créée étant protégé de la même manière que le texte lui-même par le droit d’auteur, appliquer la méthode sans accord de l’auteur revient à plagier le texte et tombe sous le coup de délit de contrefaçon.

Un grand éditeur juridique, ayant mis au point une présentation originale de ses ouvrages pratiques, avait pris le soin de déposer la présentation en marque et en dessins et modèles pour renforcer sa protection et éviter d’être imité…

la proposition de loi Carayon

C’est en constatant le manque d’une sanction pénale spécifique pour la violation du secret des affaires que Bernard Carayon, député UMP et ancien Monsieur Intelligence économique du Gouvernement, a déposé une proposition de loi comblant cette lacune.

Il s'agit de créer un délit de violation du secret des affaires condamnant « le fait de révéler à une personne non autorisée à en avoir connaissance, sans autorisation de l’entreprise ou de son représentant, une information protégée relevant du secret des affaires de l’entrepris » (projet d'article 325-2 du code pénal).

La notion de « secret des affaires » est définie par le projet d'article 325-1 du même code, de même que la notion de « mesures de protection spécifiques » propres à ces secrets, dont un décret en Conseil d'État précisera les contours.

Ce dispositif est assez logique et rejoint la pratique en entreprise : les collaborateurs de l'entreprises signent un accord de confidentialité par référence à un document qui définit quelles sont les informations confidentielles relevant du savoir-faire protégé de l'entreprise. La proposition de loi se propose donc de donner des contours légaux à des dispositifs de ce genre, pour mieux les protéger en les assortissant d’un délit pénal de violation de ces informations.

 

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.