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Au sommaire :
- Quel futur pour le stockage de données ? De nombreux enjeux à surmonter, des volumes à la souveraineté, en passant par la conformité et le coût environnemental.
- Entre quête de puissance et de sobriété : la course folle des data centers. Réduction des coûts énergétiques, intégration urbaine, valorisation de la chaleur fatale : les innovations se multiplient.
- Les supports de stockage innovent : vers l’éternité numérique ? ADN, quartz, cristaux liquides ou diamants : panorama des supports d'archivage de demain.
L’ADN : la mémoire dans les gènes
C’est un mot imprononçable, mais l’acide désoxyribonucléique (ADN) est à la base de la plupart des organismes vivants. Cette molécule contient toute l’information génétique nécessaire au développement, à la croissance et au fonctionnement d’un organisme.
Mieux : elle peut également se transformer en stockage documentaire : "le stockage d’informations numériques sur ADN est une technologie émergente qui constitue une solution durable, non énergivore et extrêmement compacte", explique Stéphane Lemaître, directeur de recherche au sein du laboratoire de biologie computationnelle et quantitative du CNRS.
En réalité, le recours à l’ADN comme support de stockage n’est pas nouveau. Il avait été suggéré dès 1959 et une première démonstration avait vu le jour en 2012. Mais c’est en 2021 qu’un pas symbolique a été franchi en France, avec le dépôt d’une archive encodée sur ADN au sein des Archives nationales.
Outre le CNRS, ce dépôt a bénéficié du concours de Sorbonne Université et d’entreprises privées (Twist Bioscience Corporation, Imagene et Biomemory). Un partenariat qui a donné naissance à un algorithme baptisé DNA Drive et qui ouvre des perspectives inédites : une séquence ADN peut être convertie en informatique binaire qui sera ensuite décompressée numériquement afin de retrouver le fichier d’origine.

Capsules contenant deux textes encodés sur ADN. (Stéphane Lemaître/CNRS - Sorbonne Université)
Archivage massif d’images
En Suisse, l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) développe de son côté une norme internationale de compression d’image adaptée au stockage sur ADN. Une initiative qui ouvre la voie à une solution durable et à long terme pour l’archivage massif.
Mais alors, le stockage sur ADN remplacera-t-il bientôt les supports numériques ? À court terme, c’est peu probable. Son coût est estimé à environ 1 000 euros pour 1 mégaoctet (Mo), ce qui le rend trop onéreux pour devenir opérationnel, bien que des marges de progression permettent d’envisager une réduction des coûts. Autre écueil à surmonter : les temps d’écriture et de lecture sont encore longs, ce qui exclut, à ce jour, une utilisation dédiée aux "archives chaudes".
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Les cristaux liquides : le stockage passe en 3D
"Stocker de l’information sur une surface en deux dimensions est devenu facile, il est donc temps de le faire dans le volume", affirme Franck Camerel, directeur de recherche CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes. Ses recherches portent sur la possibilité d’encoder des données dans des cristaux liquides combinés à des lasers.
Objectif : dépasser le stockage en deux dimensions, tel que nous le connaissons depuis plusieurs décennies (CD, disques durs) pour.développer une méthode de stockage de données en trois dimensions dans des cristaux liquides (matériaux qui coulent comme un liquide tout en organisant leurs molécules de manière ordonnée, comme un cristal, ce qui leur donne des propriétés optiques et électroniques uniques).
Au lieu de pixels, l’information serait encodée dans des "voxels" (mot-valise composé des mots volume et pixel, utilisé pour désigner un pixel en trois dimensions) à l’intérieur d’un film flexible de cristaux liquides. Les lasers sont alors utilisés pour cibler un voxel spécifique en profondeur.
L’écriture des données s’effectuerait par absorption à plusieurs photons, où le matériau change d’état en absorbant simultanément plusieurs photons. La lecture, quant à elle, se ferait par génération de seconde harmonique, qui émet un photon plus énergétique.
Une température encore trop élevée
Les cristaux liquides sont prometteurs, car ils peuvent être déposés sur des supports flexibles et permettent de modifier la structure moléculaire en profondeur sans affecter la surface. Un bémol cependant : une fluidité trop élevée pourrait faire bouger les voxels, ce qui rend la conservation des données difficile.
À ce jour, les recherches ont permis d’écrire et de lire des données, mais le système est basé sur un phénomène de photodécomposition irréversible et fonctionne à une température trop élevée pour une application grand public. Les travaux se poursuivent pour trouver un matériau qui permette une réécriture à température ambiante.
Le cristal : transformer les imperfections en stockage
Avez-vous entendu parler du cristal d’oxyde d’yttrium ? Il s’agit d’un matériau révolutionnaire qui pourrait, demain, stocker un impressionnant volume de données. En utilisant des techniques quantiques, une équipe de chercheurs de l’Université de Chicago, aux États-Unis, explore en effet une piste qui pourrait bouleverser l’avenir du stockage.
Les scientifiques Leonardo V. S. França, Shaan Doshi, Haitao Zhang et Tian Zhong proposent d’utiliser les "défauts" minuscules présents dans des cristaux déjà utilisés dans la filière numérique pour y "piéger des données", c’est-à-dire pour y inscrire et y conserver des informations. Il ne s’agit pas de transistors ou de puces électroniques, mais de véritables "imperfections" de la matière, capables de piéger et de libérer des électrons.
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Des téraoctets de données dans un millimètre de cristal
D’après l’étude publiée par ces chercheurs en février 2025, l’opération se fait grâce à la lumière : une lumière ultraviolette sert à écrire et une lumière verte à lire, un peu comme si le cristal devenait à la fois l’encre et la page. Selon l’équipe de recherche, un morceau de cristal de la taille d’un millimètre pourrait contenir plusieurs téraoctets de données, ce qui dépasserait largement les capacités des mémoires actuelles. L’avantage est également énergétique, puisque ce système consomme peu et fonctionne à température ambiante.
L’ensemble du processus n’en est, pour le moment, qu’au stade expérimental. La vitesse d’écriture est encore trop lente pour rivaliser avec les supports que nous utilisons au quotidien et la lecture, quant à elle, doit être fiabilisée afin que les données ne soient ni perdues ni déformées au fil du temps.
Se pose également la question de la durée de conservation : les chercheurs doivent prouver que les informations gravées dans le cristal résisteront sur plusieurs décennies, condition indispensable pour intéresser les acteurs de l’archivage et de l’informatique. Restera ensuite à fabriquer ces cristaux en masse, avec une qualité irréprochable et un prix abordable…
Un verre de quartz pour la postérité
Dans les laboratoires de Microsoft, l’équipe de chercheurs du projet Silica s’attèle depuis 2017 à la quête d’un stockage éternel. Elle travaille autour du verre, et plus particulièrement du verre de quartz (silice fondue), pour sa robustesse et son faible coût. À ce jour, Microsoft peut stocker jusqu’à 7 téraoctets de données sur une plaque de verre de 2 millimètres d’épaisseur et 75 millimètres carrés de surface.
Silica s’articule autour de quatre laboratoires qui s’occupent des grandes étapes du projet. Le "Write Lab" désigne celle de la gravure et de l’incrustation des données, rendue possible grâce à un système de laser à impulsions ultra-courtes. Les data sont ici encodées en voxels. Le "Read Lab" développe de son côté l’outil de lecture des plaques de verre. "C’est un microscope contrôlé par un ordinateur d’une grande précision pour repérer rapidement les éléments gravés", explique Ariel Gomez Diaz, chercheur chez Microsoft spécialisé en optique.

Pour l’équipe de Silica, le stockage sur verre de quartz constitue une réponse à l’archivage des données sur le long terme. (Microsoft)
Une bibliothèque passive de données
Le "Decode Lab" s’intéresse ensuite au traitement des informations incrustées. Enfin, le "Library Lab" constitue un point central du projet Silica : "lorsque quelqu’un a besoin d’une donnée, le système Silica envoie un robot chercher le morceau de verre", décrit David Sweeney, principal industrial designer. "La complexité du projet vient aussi de la création de ce système." Il convient de noter que, mis à part ce robot, le reste de la bibliothèque ne consomme pas d’électricité.
Si le projet Silica a dépassé le stade théorique, il n’est pas encore commercialisé et industrialisé à grande échelle. De plus, ce système de stockage se destine à l’archivage des données qui n’ont pas pour vocation d’être sollicitées régulièrement.
Un jeton 3D comme coffre-fort
Et si un simple morceau de plastique pouvait protéger vos données ? C’est le pari audacieux de S.A.M. (Signature et Authentification des Matériaux), une jeune entreprise issue de la recherche académique, portée par le CNRS, l’Université de Lorraine et l’Inria, grâce aux chercheurs Samuel Kenzari et Sylvain Lefebvre, aux côtés du cofondateur Cédric Prins.
Ils ont mis au point un jeton imprimé en 3D à partir d’un filament spécial, conçu par S.A.M., une sorte de clé physique inviolable qui réunit deux couches complémentaires. Au cœur, la matière elle-même joue le rôle de stockage, puisque l’application S.A.M. génère, pour chaque impression, un jeu d’instructions spécifique qui guide l’imprimante dans la mise en forme du jeton. Mais c’est surtout la composition du matériau -porteur d’une signature cristallographique unique et impossible à dupliquer - qui garantit l’authenticité de l’objet.

Impression d’un token. (S.A.M)
Informations encodées dans un labyrinthe
En surface, le token présente un motif en relief, baptisé labyrinthe, qui rappelle le design d’un QR code. Ce motif encode des informations, mais celles-ci ne peuvent être validées que si elles correspondent à la signature interne du matériau.
La vérification est simple : il suffit de déposer le jeton sur le lecteur dédié, qui compare la géométrie du labyrinthe et l’empreinte cristallographique de la matière, avant de confirmer l’authenticité. Ce procédé ne nécessite ni puce ni électronique - uniquement de la matière - ce qui rend le système robuste face aux attaques numériques et particulièrement adapté à la lutte contre la contrefaçon.
L’innovation n’est cependant pas sans limites : les utilisateurs doivent employer le filament et le lecteur spécifiques, fournis par l’entreprise, et si le jeton est perdu ou détruit, les données disparaissent avec lui…
Les diamants sont éternels
Une équipe de chercheurs de l’Université de science et de technologie de Chine a réussi à intégrer 1,85 téraoctet de données (14,8 térabits) par centimètre cube de diamant. Si la technique n’est pas nouvelle, la quantité de données stockées est une première, et l’exploit a été publié dans la revue scientifique britannique Nature Photonics. À titre de comparaison, un disque optique en diamant de la taille d’un disque Blu-Ray peut contenir 100 téraoctets de données (l’équivalent de 2 000 Blu-Ray).
Pour réussir une telle prouesse, ces chercheurs se sont intéressés aux défauts ponctuels que l’on trouve dans les solides cristallins, appelés défauts de Frenkel. En utilisant des lasers à impulsions ultrarapides sur un morceau de diamant de quelques millimètres d’épaisseur, l’équipe a pu déplacer les atomes de carbone dans la structure du diamant. Ces espaces laissés vides (à l’échelle atomique), appelés "centres de lacunes fluorescents", sont ainsi exploités comme unité de stockage.
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"Une longévité extraordinaire"
Les données peuvent ensuite être lues à l’aide d’un microscope confocal à fluorescence. "Une fois que les structures internes de stockage des données sont stabilisées à l’aide de notre technologie, le diamant peut atteindre une longévité extraordinaire sans nécessiter aucune maintenance", explique Ya Wang, coauteur de l’étude. La partie écriture et la partie lecture prises en compte, cette technique comprend un très faible taux d’erreurs, avec une fidélité estimée à 99,48 %.
Bien que cette innovation reste encore très coûteuse, Ya Wang estime qu’à court terme, "les agences gouvernementales, les instituts de recherche et les bibliothèques qui se consacrent à l’archivage et à la préservation des données seraient probablement très désireux d’adopter cette technologie".
Kaëlig Alléaume, Sivagami Casimir et Bruno Texier











