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Salomé Kintz : "les ateliers info-intox de la BPI permettent d'aller au-delà du premier clic"

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    "il y a une forte demande autour de la fiabilité de l’information en ligne" Salomé Kintz, BPI. (Freepik/Rawpixel)
  • Salomé Kintz est bibliothécaire au sein de la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou (département "lire le monde", service des ressources électroniques). Elle a mis en place les ateliers "info-intox" à destination des élèves, tout en devant aussi répondre à une demande des adultes.

    Salomé-KintzPour quelles raisons la BPI a-t-elle décidé de mettre en place des ateliers info-intox ?

    Le service développement des publics de la BPI propose traditionnellement au public scolaire des ateliers ou visites dans le cadre du parcours "éducation artistique et culturelle" (EAC). L'éducation aux médias et à l'information en constitue un volet important et c’est dans ce cadre que la BPI a mis en place fin 2016 les ateliers info-intox. Avec bien sûr en arrière-plan le débat médiatique autour des fake news...

    Sous quelle forme se présentent ces ateliers et à quel rythme sont-ils proposés ?

    Nous accueillons des classes de collégiens et de lycéens le matin en dehors des horaires d’ouverture de la BPI. Les élèves travaillent par petits groupes. Chacun de ces groupes est suivi par un bibliothécaire qui les invite à travailler sur un sujet particulier. Pour effectuer leurs recherches, les élèves disposent d’un poste informatique connecté à internet et des ressources en ligne de la bibliothèque. 

    Ils disposent d’une cinquantaine de minutes pour effectuer leurs recherches. Les élèves préparent ensuite une restitution qui est présentée devant toute la classe. Un tour de table final permet de formaliser ce qui a été vu pendant l’atelier. 

    Pendant la phase de recherche, les bibliothécaires font prendre conscience aux élèves d’un certain nombre de choses : importance des mots-clés, fonctionnement d’un moteur de recherche, différences entre les moteurs de recherche, évaluation des sources, décortiquer une URL, architecture d’un site…

    Nous avons choisi des sujets qui prêtent à discussion et à rumeur : "les Américains n’ont jamais marché sur la lune", "les attentats du 11 septembre 2001 ont été organisés par la CIA", "des monstres marins vivent dans les abysses"...

    Les deux premiers sujets ont-ils été choisis délibérément pour leur aspect polémique ?

    Tous les sujets choisis présentent volontairement un aspect polémique. Nous voulons plonger les élèves dans un environnement qu’ils pensent connaître afin de leur faire prendre conscience qu’ils ne maîtrisent pas internet comme ils l’imaginent. Nous leur montrons qu’il faut aller au-delà du clic sur le premier résultat venu.

    Comment réagit ce jeune public ?

    Plutôt bien ! Les élèves jouent le jeu et nous sommes agréablement surpris. Ils s’emparent des sujets que nous leur soumettons. Ils apprécient d’être pris au sérieux : nous ne nous sommes par censurés dans le choix des sujets abordés. De la même façon, nous ne les “censurons” pas dans la recherche sur internet (en dehors des sites bloqués par le proxy de la BPI).

    Nous constatons également que cela leur permet de se confronter à certains fantasmes, comme par exemple quand un groupe de jeunes garçons s’est plongé dans la lecture du site d'Alain Soral (essayiste, idéologue d'extrême droite et chef d’entreprise franco-suisse - Source Wikipedia). Ils en avaient beaucoup entendu parler, mais n’avait jamais pu ou eu l’occasion de lire vraiment ces discours. 

    Face à ce type de site, quel est votre rôle ?

    Nous essayons de faire comprendre conscience aux élèves d’un certain nombre de choses : qui parle ? Avec quel vocabulaire ? Pour quel public ? Nous leur montrons comment explorer la structure d’un site et les invitons à repérer les différentes rubriques. Nous leur conseillons également de faire des recherches sur l’auteur d’un article. 

    Les postes informatiques sont-ils bridés pour empêcher l’accès à certains sites ?

    Nos postes informatiques passent par un proxy qui bloque l’accès à certains sites. 

    Comment réagissez-vous lorsqu’un élève conteste votre parole ?

    Nous n’allons pas faire changer d’avis quelqu'un qui est convaincu de la véracité d’une théorie complotiste en deux heures. Notre rôle n’est pas de dire “c’est vrai” ou “c’est faux”. Nous les invitons d’abord à s’interroger sur ce qu’ils lisent ou voient sur YouTube. Nous travaillons sur la méthode, nous ne sommes pas dans l’affirmation. 

    D’où viennent les élèves qui assistent aux ateliers info-intox ?

    Pour des raisons pratiques, il s’agit surtout d’élèves venant de Paris et de la proche banlieue. Nous avons également reçu des classes venant d’autres régions.

    Comment un établissement scolaire peut-il accéder à ces ateliers ?

    Le service du développement des publics propose une newsletter à destination des enseignants, dans laquelle sont proposés des ateliers, des visites de la bibliothèque et des programmes autour des expositions. Les établissements peuvent ensuite nous contacter pour participer à l’un de ces programmes. 

    En ce qui concerne les ateliers info-intox nous constatons une forte demande. Depuis cette rentrée, nous avons complété cette proposition avec un parcours média autour de deux thématiques : "le métier de journaliste" et "construire son opinion". 

    Existe-t-il en France et à l'étranger des initiatives similaires ?

    Oui bien sûr, partout et dans tous les types de bibliothèques. C’est un sujet dont on entend beaucoup parler depuis l’élection présidentielle américaine de 2016, Trump, les fake news...

    Mais il faut rappeler que tout ce qui tourne autour de la recherche d’information et de l’évaluation des sources a toujours fait partie du cœur de métier des bibliothécaires : les formations à la recherche documentaire en bibliothèque universitaire abordent ces thématiques, la BNF propose depuis longtemps des ateliers autour de ses collections de presse, les ateliers numériques en bibliothèque de lecture publique aident les usagers à mieux se repérer en ligne...

    En ce moment, on assiste à un véritable emballement médiatique autour du sujet. Les bibliothèques réagissent en rappelant leurs missions. Elles se sont positionnées dans le débat à travers des guides pratiques destinés à reconnaître la désinformation, des dossiers sur les réseaux sociaux, des ateliers pratiques, comme nos ateliers info-intox.

    Aujourd’hui nous sommes entrés dans une nouvelle phase : il nous faut prendre le temps d’assimiler et de construire des actions plus approfondies peut-être, en faisant coopérer différents acteurs (bibliothécaires, journalistes, enseignants). C’est l'occasion aussi de nous interroger sur les compétences que nous devons acquérir et maîtriser pour rester des interlocuteurs essentiels. 

    Plus largement, comment les bibliothèques peuvent-elles s'engager pour incarner les valeurs de la République (La bibliothèque André Malraux à Strasbourg a organisé une journée d'étude "Bibliothèques et valeurs de la République”, le 12 novembre 2018, à laquelle Salomé Kintz a participé) ?

    Vaste question ! Il pourrait déjà être nécessaire de débattre de ce que les uns et les autres entendent par “les valeurs de la République”. Plutôt que de devoir incarner, symboliser des valeurs, on pourrait voir les bibliothèques comme un outil qui permet aux citoyens de s’émanciper et de tendre vers ces idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.

    En fonctionnant selon un principe de diversité et de neutralité des collections, en proposant des accès à internet pour que chacun puisse accéder aux mêmes informations, des formations au numérique etc., elles essayent de s’adresser à tous.

    Et le bibliothécaire est là - et de plus en plus nécessaire - pour faire le médiateur entre les collections, les services et les usagers. 

    Les ateliers info-intox sont aujourd’hui réservés aux collégiens et aux lycéens. La BPI envisage-t-elle de les ouvrir à un public plus large ?

    Oui, c’est déjà le cas. Depuis 2012, nous proposons à destination d’un public adulte des ateliers informatiques pour débutants : comment créer sa boîte mail, découvrir l’ordinateur… Petit à petit, nous avons mis en place à côté de ces ateliers pratiques, des séances plus axées “culture numérique”, sur les réseaux sociaux, la sécurité sur internet... Ce n’est pas parce que les personnes ne sont pas à l’aise avec la manipulation des outils qu’elles ne se posent pas de questions. Nous venons de lancer un atelier dédié à l’évaluation de l’information sur internet, il y a une forte demande autour de la fiabilité de l’information en ligne.

    Contrairement au public scolaire, qui n’a pas de problème avec les outils mais se montre peut-être trop confiant, nous essayons de rassurer ce public adulte en lui donnant des repères. 

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