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Archives sinistrées : les gestes qui sauvent

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    "Il suffit d’une pluie torrentielle, de la rupture d’une canalisation ou d’un incendie accidentel pour que des documents de grande valeur soient gravement menacés". (.sarahwynne. via Visualhunt / CC BY-NC)
  • Un sinistre frappe souvent sans crier gare. Et le risque zéro n'existe pas. Plus la préparation d'un service d'archives à ce type d'événement est faible, plus le traumatisme matériel et psychologique sera généralement lourd. Alors, comment anticiper pour réagir au mieux face à l'urgence ? 

    Difficile d'oublier le terrible effondrement du bâtiment des archives municipales de Cologne, en Allemagne, le 3 mars 2009. En quelques secondes, cet immeuble de six étages s'écroulait en sous-sol, où des travaux étaient réalisés pour construire une ligne de métro. La catastrophe fait alors deux morts et met en danger des milliers de documents. « Tout le magasin des archives a glissé dans le tunnel du métro comme dans un entonnoir, explique Marion Verborg, chef de projet et manager des ateliers de restauration des archives de la ville de Cologne, en juillet 2015 ; de plus, des canalisations souterraines ont rompu, noyant de très nombreux documents ». Si les archives les plus anciennes sont miraculeusement préservées de la catastrophe, certaines de grande valeur sont, encore aujourd'hui, dans un état déplorable.

    Une cellule de crise constituée du maire, de pompiers, du personnel des archives et de nombreux volontaires est alors rapidement mise en place. Les documents sont très vite évacués. « Le hangar du lycée le plus proche fut réquisitionné pour le stockage, poursuit Marion Verborg, chaque caisse remplie de documents fut étiquetée très précisément. Les archives mouillées ont été passées au jet d’eau, emballées dans de la cellophane puis envoyées dans des congélateurs industriels ». 65 personnes ont été réquisitionnées. De nouveaux bâtiments sont actuellement en construction sur un nouveau site, mais l'équipe continue, sept ans après, à gérer les suites de la catastrophe. 

    « Personne n'est à l'abri »

    Un tel événement semble rarissime. Pourtant, « personne n'est à l'abri », martèle Marie-Dominique Parchas, chargée de mission pour les questions de conservation au sein du Service interministériel des archives de France (Siaf) ; il n'existe pas de risque zéro, d'où l'importance de se préparer en amont". En effet, de nombreux services d'archives se pensant à l'abri se prémunissent souvent mal contre des catastrophes qu'ils jugent impossibles. « Il suffit pourtant d'une pluie torrentielle, de la rupture d'une canalisation ou d'un incendie accidentel pour que des documents de grande valeur soient gravement menacés », poursuit-elle.

    Les institutions responsables de biens culturels ayant établi des plans de sauvegarde et d'urgence sont aujourd'hui trop rares. « Les services d'archives risquant d'être impactés par des sinistres ont pourtant l'obligation d'en établir un, rappelle Marie-Dominique Parchas ; c'est inscrit dans le Code du patrimoine ! » Cette démarche leur permettrait notamment de 

    demander à ce que leur établissement soit classé en « Établissement répertorié » (Etare) par les services départementaux d'incendie et de secours. Ce classement permet aux pompiers de prendre connaissance des lieux et des collections en amont afin d'intervenir, le jour venu, de la façon la plus rapide et adaptée possible aux collections conservées.

    Traumatisme

    Régine Pinelli, responsable des archives de la ville de Montbrison, dans la Loire, se souvient encore de l'incendie qui a ravagé une partie du fonds de l'hôpital un samedi d'octobre 2007. « Je voyais le local brûler, se souvient-elle, c'était extrêmement traumatisant ». Sur les 100 mètres linéaires que compte le fonds, datant du 12e au 20e siècle, 2 mètres linéaires sont alors totalement inondés et le reste partiellement mouillé par l'intervention des pompiers. Une fois le bâtiment sécurisé, l'opération de sauvetage commence. Une dizaine de demandeurs d'emploi est alors recrutée pendant dix jours afin de transférer les archives dans une usine désaffectée pour les sécher. Les documents détrempés sont de leur côté stockés dans des sacs-poubelle au sein des congélateurs du centre technique municipal. Ils seront par la suite décongelés puis lyophilisés. « Tout est allé très vite, car nous avions peur de ne plus pouvoir identifier les documents », raconte Régine Pinelli. Bien que sauvées, les archives sont pourtant toujours non communicables au public. « Je travaille seule et n'ai malheureusement pas le temps de les reconditionner et de les reclasser, déplore l'archiviste. Je le fais ponctuellement, mais trois mois seraient nécessaires pour tout remettre en ordre ».  

    Les bâtiments d'archives font l'objet de normes très précises actualisées régulièrement par des organismes internationaux tels que l'Ifla et le Conseil international des archives. L’ensemble des normes de conservation est édité dans la norme Iso 11799 « Prescriptions pour le stockage des documents d’archives et de bibliothèques », et concerne aussi bien la construction que la sécurité et la sûreté des bâtiments. Au-delà de ces normes, Marie-Dominique Parchas conseille aux services d'archives la mise en place d'actions simples afin de se préparer au mieux à d'éventuels sinistres :

    • Se renseigner auprès de sa municipalité sur les risques qu'encourt la commune, notamment via les Documents d'information communaux sur les risques majeurs (Dicrim), réalisés et consultables en mairie. 
    • Protéger ses archives par des gestes simples relevant du bon sens. Par exemple, si celles-ci sont conservées en sous-sol, il est recommandé de les surélever d'une dizaine de centimètres. Il est également conseillé de conserver les archives dans des boîtes de qualité, qui permettent de retarder l'éventuelle dégradation et d'extraire plus facilement les documents en cas d'inondation.
    • Sélectionner les collections qui devront être sauvées en priorité, les numériser et conserver les fichiers numériques ailleurs.
    • Sélectionner, répertorier et créer des liens en amont avec et entre les différents acteurs intervenant en cas de sinistre (pompiers, responsables des bâtiments, transporteurs, loueur d'un local de repli, entreprise de nettoyage, etc.) afin de préparer au mieux les équipes.
    • Former le personnel et sensibiliser le plus grand nombre. S'appuyer sur ceux qui ont déjà connu de pareilles catastrophes et ne pas hésiter à mutualiser les moyens.

    Mutualisation

    La mutualisation, c'est justement la solution qu'ont trouvée huit archivistes du bassin houiller de la Loire pour se préparer à un éventuel sinistre. Un an après l'incendie de Montbrison, en novembre 2008, les archives municipales de la commune voisine de Rive-de-Gier sont inondées suite à des pluies torrentielles. 50 mètres linéaires de documents sont alors trempés et maculés de boue. Face à ces deux catastrophes, certains archivistes du département réalisent qu'aucun d'entre eux n'est réellement à l'abri d'une pareille épreuve. Un groupe de travail est alors monté entre les services d'archives de huit municipalités afin de formaliser une entraide. Son objectif : la mutualisation du personnel et du matériel en cas de besoin. Cette réflexion a débouché sur la rédaction d'une délibération en mars 2010 listant le matériel que chaque commune devra avoir en stock et celui à mutualiser. « Nous savons désormais que nous pourrons être réactifs, ce qui est crucial pour des archives, conclut Régine Pinelli ; nous espérons, malgré tout, ne jamais avoir à appliquer cette délibération ».


    + repères

    Le Bouclier Bleu

    Face à un sinistre, un service d'archives n'est pas seul au monde, loin de là. En plus du Siaf, dont le conseil et le soutien font partie des missions, il est possible de se tourner vers l'association Archivistes sans Frontières, mais aussi vers Le Bouclier Bleu. Cette association fondée en 2001 a pour but la sensibilisation et la formation des publics à la fragilité du patrimoine culturel (monuments, archives, bibliothèques, musées, etc.), mais aussi l'intervention et l'accompagnement en cas d'urgence.

    « Nous nous adressons à tous ceux qui pourraient en avoir le besoin, quel que soit le type de documents ou de patrimoine, confirme Jocelyne Deschaux, présidente de l'association ; pour ce faire, nous développons un maximum d'antennes locales, de type la Croix Rouge, prêtes à intervenir sur place, en cas de sinistre ». 

    Fin 2015, 192 membres individuels et 57 collectivités, institutionnels et entreprises étaient adhérents de l'association. 

    -> www.bouclier-bleu.fr

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