Les studios Universal, qui ont tenté de cacher l'ampleur de la perte de leurs archives musicales pendant des années, sont aujourd'hui rattrapés par une enquête du New York Times.
Il s'agit du "plus grand désastre de l'histoire de l'industrie de la musique", selon le New York Times, qui vient de publier une très longue enquête sur l'incendie qui a détruit, en juin 2008 à Hollywood, environ 500 000 enregistrements originaux réalisés par les studios Universal. Cette destruction de leurs archives, parmi lesquelles celles des plus grands artistes de la scène américaine que sont par exemple Billie Holiday, Chuck Berry, Louis Armstrong ou encore Cat Stevens, Joan Baez et Eric Clapton, est une perte cataclysmique pour l'histoire du genre. Pourtant, Universal a tenté de la dissimuler au grand public pendant plus de dix ans.
Les archives parties en fumées
Rappelez-vous. Le 1er juin 2008, au petit matin, disparaissait dans les flammes une partie des studios Universal, à Hollywood, ravagés par un incendie. Parmi les nombreux bâtiments touchés, le numéro 6197 : un immense entrepot en métal ondulé surnommé "the video vault" (le coffre-fort vidéo). C'est là qu'étaient stockées les archives d'Universal : les deux tiers du bâtiment consacrés aux bandes video et aux bobines de films de la société mère d'Universal Studios (NBCUniversal) et le reste à la bibliothèque d'enregistrements sonores.
Parmi ces archives, la plupart des documents historiques les plus importants d'UMG - des enregistrements originaux à partir desquels toutes les copies ultérieures sont dérivées - s'y trouvaient et ont été engloutis dans les flammes.
Mensonges d'Universal Studio au sujet de ses archives sonores
Si l'incendie a été relayé dans la presse dès le lendemain, l'accent a surtout été mis sur la perte des images vidéo et télévisées. Mais des responsables d'Universal Studios affirment ce matin-là dans le New York Times que "le matériel détruit n'était en aucun cas la seule copie d'une oeuvre".
Aucune archive musicale n'est alors évoquée. Aucun décompte précis n'est transmis.
Face à l'inquiétude légitime concernant les archives sonores stockées dans le bâtiment, un autre représentant anonyme de la maison de disques assure ensuite dans la presse que très peu de documents ont été détruits dans l'incendie et qu'ils avaient déjà tous été numérisés "pour que la musique soit encore là pour de nombreuses années".
Patrimoine musical perdu
En réalité, un document confidentiel de mars 2009 listant les pertes subies par UMG fixe à 118 230 le nombre d'actifs détruits. Un autre document préparé pour une réunion baptisée "Vault Loss Meeting" (pertes du coffre-fort), en mars 2009, indique que "la chambre forte de la côte ouest a péri dans son intégralité" et qu'un "immense patrimoine musical a sans doute été perdu dans le feu".
Un autre rapport, lui aussi confidentiel, publié plus tard en 2009, affirme qu'environ 500 000 titres des plus grandes figures de la musique américaine (Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Duke Ellington, ou encore Bing Crosby) ont alors été perdus. Les pertes sont en effet apocalyptiques.
Les masters de tubes à succès détruits
Il ne reste probablement plus aucun des masters de Billie Holiday et de Chuck Berry que détenait le catalogue d'UMG. Idem pour l'ensemble des enregistrements réalisés par le label et ses filiales, y compris l'essentiel de la production de Muddy Waters, Willie Dixon, Bo Diddley, Etta James, ou Little Walter. La plupart des masters d'Impulse de John Coltrane ont été perdus, comme ceux publiés par Ellington, Count Basie, Sonny Rollins, Charles Mingus et d'autres grands noms du jazz.
"Les masters de dizaines de tubes à succès canoniques ont été détruits, précise The New York Times, dont le 'Rock Around the Clock' de Bill Haley and His Comets, 'Rocket 88' de Jackie Brenston and His Delta Cats, "Bo Diddley / I'm A Man" de Bo Diddley, 'Enfin', d'Etta James, 'Louie Louie' des Kingsmen et 'People Get Ready' de The Impressions. Une véritable catastrophe historique.
L'histoire de la musique populaire amputée
Parmi ces archives, ce sont des dizaines de milliers de disques de gospel, de blues, de jazz, de country, de soul, de disco, ou encore de disques classiques qui ont été définitivement perdus. Les masters de disques et d'albums d'artistes légendaires de la musique populaire des 20e et 21e siècle ne pourront plus jamais être écoutés ou utilisés. Parmi eux, citons des enregistrements de Benny Goodman, Cab Calloway, les Andrews Sisters, Ray Charles, Sammy Davis Jr, Fats Domino, Big Mama Thornton, Loretta Lyn, BB King, Quincy Jones, Joan Baez, The Mamas and the Papas, Cat Stevens, Gladys Knight and the Pips, Al Green, Eric Clapton, et bien d'autres. Pour l'industrie musicale, ces pertes sont irréversibles.
La mission de conservation des maisons de disques
Malgré le secret tenu par UMG, quelques voix (souvent anonymes) de professionnels se sont élevées pour dénoncer le manque de sérieux des grands labels en matière de préservation. "Pendant des décennies, l'industrie de la musique était exclusivement une affaire d'actualité, de publication à chaud, de charts de la semaine - de hits, pas d'histoire, explique le NYT ; 'Personne ne se souciait du catalogue', déclare un vétéran de l'industrie. 'Un truc qui avait cinq ans pourrait aussi bien avoir 1000 ans'."
Pourtant, la mission de conservation des maisons de disques est tout aussi essentielle que celle des musées et des bibliothèques. "La disparition d’un master, c’est comme si l’on n’avait plus qu’une photo des toiles de Léonard de Vinci", commente un expert.
Gestion de crise
Malgré tout, la nouvelle de la perte de ces milliers de documents n'était jusque-là pas arrivée aux oreilles du grand public. Il s'agit là d'un véritable succès de la gestion de crise menée par les responsables d'UMG, qui n'ont eu de cesse de prendre la parole dans les jours qui ont suivi l'incendie pour en minimiser les pertes.
Selon le NYT, il est même probable que les musiciens dont les masters ont été détruits l'ignorent encore.
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