patrimoine : silence, on numérise

 

Archives départementales, musées et autres institutions multiplient les projets de numérisation patrimoniale. Des projets qui nécessitent beaucoup d’intervention manuelle, de professionnalisme et des technologies de pointe. Retour du terrain.

« Les dossiers de personnes médaillées de la légion d’honneur représentent environ quatre millions de pages à numériser », se félicite Christian Chabrier, dirigeant de la société Arkhênum, un prestataire spécialisé dans la numérisation patrimoniale. Un chiffre qui ne représente qu’une partie des légionnaires, nom donné aux médaillés. Le marché gagné par Arkhênum ne concerne que les personnes décédées après 1954. Les dossiers des légionnaires antérieurs font partie d’un autre marché. Comme ses compétiteurs, notamment Jouve, qui vient de racheter Safig, Diadeis ou encore les sociétés rassemblées au sein du consortium Polinum, Arkhênum bénéficie d’un mouvement de fond des institutions publiques pour numériser leurs fonds. Des collections hétérogènes : ouvrages du XIXe siècle, incunables, photos, catalogues, plans cadastraux, cartes postales… Tous les types de support sont concernés. Même diversité quant au type d’organisation à l’origine de ce type de projet. Les services d’archives départementales, autour de la moitié, ont lancé des projets de numérisation. « Nous travaillons déjà avec les archives départementales de la Somme et de la Haute-Vienne », ajoute Christian Chabrier, dont la société travaille à 95 % avec le secteur public. De nombreuses autres institutions ont initié des projets de dématérialisation patrimoniale : les musées, les bibliothèques municipales, le Quai-Branly, le Musée des arts décoratifs, la bibliothèque de documentation internationale contemporaine, des fonds paroissiaux, etc. Parmi les derniers appels d’offres gagnés par Arkhênum, on trouve, par exemple, les bibliothèques de Lyon, notamment pour les manuscrits les plus anciens. Des fonds que Google ne numérise pas.

préparation très technique

Pour répondre à ces besoins en assurant la qualité des données numérisées, les prestataires ont formalisé une panoplie de bonnes pratiques et de techniques. Première étape, la préparation des dossiers est souvent une part importante des opérations. Préparer les quelque 1 500 boîtes contenant chacune entre 100 et 120 dossiers de légionnaires a nécessité une année complète de travail. La préparation des documents nécessite, par exemple, l’enlèvement d’agrafes rouillées. Les boîtes sont conservées dans des conditions évitant toute dégradation physique. « La température et l’hygrométrie ont été fixées dans le marché afin de garantir des bonnes conditions de conservation. Ainsi, nous devons garantir l’absence de lumière naturelle directe ou de toute source de lumière artificielle capable de provoquer une élévation de plus de 2 °C », se souvient Christian Chabrier. Sans omettre d’assurer la sécurisation des locaux. Difficulté supplémentaire pour cette intervention, le prestataire devait retrouver la date du dernier document administratif dans le dossier. « Une date qui pouvait se trouver sur n’importe quelle pièce du dossier », explique Christian Chabrier. Cette date doit servir à définir ultérieurement les dossiers accessibles au vu des délais légaux pour accéder aux informations.

avec les « ajouts », 30 % de pages à scanner en plus

Contrairement aux documents administratifs, l’étape de numérisation impose une attention particulière de par la nature des supports. Chez Arkhênum, « toutes les numérisations sont réalisées manuellement par un opérateur », justifie Christian Chabrier. Les prestataires disposent de plusieurs modèles de scanners adaptés à autant de supports. Le centre de numérisation d’Arkhênum de Bry-sur-Marne compte des scanners à plat, un scanner photo, etc. Numériser un ouvrage comme celui du fonds Segou de la BNF [voir encadré cicontre], suppose de trouver un angle correct pour éviter de détériorer l’ouvrage par une ouverture complète et répétée. Dans ce cas précis, cet angle était de 120°. Une opération réalisée sur un scanner spécifique. Pour assurer la qualité du fichier de sortie, une feuille cartonnée noire est placée sous chaque page, une vitre dessus. L’opérateur centre ensuite la page pour assurer un bon cadrage. Problématique spécifique sur nombre de registres des légionnaires, les pages comportent souvent plusieurs retombes. Comprendre des parties de feuilles collées sur les originaux pour compléter ou corriger les informations. Comme ces retombes comportent et masquent des informations, « la prise de vues multiples pour une même page peut être nécessaire. À chaque fois, la page est scannée intégralement pour laisser les données dans leur contexte », précise Christian Chabrier. Conséquence, le nombre de pages à scanner peut augmenter de 30 %. Malgré toutes les précautions, les fichiers images issus des numérisations ne présentent pas toujours la qualité graphique demandée. Certains prestataires proposent des services de retouche d’images. Chez Arkhênum, « nous livrons des bruts de scan, ajoute Christian Chabrier ; par exemple, pour conserver les teintes sépia d’une photo ancienne ». Les fichiers numériques doivent ensuite être indexés. Une étape qui dépend de chaque institution.

de 30 à 300 pages à l’heure

Pour assurer le stockage des données, les prestataires disposent d’une architecture informatique conséquente. Arkhênum est sur deux sites à Bry-sur-Marne et à Bordeaux. Au total, les deux sites hébergent près de 20 téraoctets de données. Parce que les opérations ne sont pas automatisées, les coûts de ce type de projet restent élevés. « Il est difficile de parler de moyenne. La numérisation d’un document qui ne nécessite aucun traitement particulier, par exemple un acte d’état civil, peut démarrer à 12 centimes d’euro par page numérisée. Et monter jusqu’à trois euros par page pour des documents fragiles, tels ceux datant du Moyen Âge », explique Christian Chabrier. Corollaire, les cadences peuvent varier de 30 à 300 pages à l’heure. Quelles que soient les difficultés techniques, la numérisation patrimoniale fait l’objet d’un nombre important de marchés publics.

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.