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Ghislaine Chartron : "Je ne transformerai pas mes étudiants en data scientists"

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    "Plutôt que de parler de nouveaux métiers, il est plus pertinent pour le moment de parler de nouvelles compétences qui sont progressivement intégrées dans des branches sectorielles comme de nouvelles spécialisations" (Pixabay/StartupStockPhotos)
  • Dossier

    Ghislaine Chartron est professeure en sciences de l'information et de la communication. Titulaire de la chaire ingénierie documentaire du Cnam, elle est également directrice de l'INTD. Elle s'exprime sur les opportunités que pourraient trouver les professionnels de l'infodoc dans un environnement big data.

    Depuis quand le big data a-t-il commencé à intéresser les différents métiers de l'infodoc ?

    Bien que nous nous soyons penchés sur ce sujet dès que celui-ci a commencé à émerger, cela ne fait qu'un an ou deux que l'idée de se positionner et de voir ce que nos professionnels pourraient y faire a vraiment pris corps.

    On a le sentiment que les professionnels de l'infodoc peinent à s'emparer du sujet. Qu'en pensez-vous ?

    Non, je ne pense pas qu'ils aient vraiment tardé à s'y intéresser. Mais il est vrai que le big data touche beaucoup de compétences et n'impacte réellement les nôtres qu'à la marge. Que nous soyons un peu attentistes par rapport aux compétences centrales convoquées pour le big data et qui sont le coeur des savoir-faire des informaticiens, des mathématiciens ou des statisticiens est tout à fait normal. Rappelons que c'est dans les écoles d'ingénieurs que le phénomène a d'abord percé et progressivement dans les écoles de commerce pour la dimensions management stratégique.

    Il faut selon moi rester modeste quant à notre rôle dans le big data, qui est aujourd'hui loin d'être le nouveau challenge des documentalistes ou des gestionnaires de l'information pour l'emploi ! Nous n'avons d'ailleurs pas les compétences pour gérer le coeur des stratégies big data. Ce ne sont pas celles que nous transmettons en priorité à nos élèves.

    A quel niveau de tels projets les professionnels de l'infodoc peuvent-ils intervenir ?

    Pour l'instant, certainement en amont et en aval.

    En amont, dans la gestion des données (identification, qualification, classification et gestion des plans de données). Bien que nous ne soyons pas les seuls sur ce créneau, il s'agit d'une extension de nos métiers. Certains de nos élèves s'y sont d'ailleurs positionnés, notamment dans les laboratoires de recherche. Nos compétences peuvent également intervenir de façon plus stratégique en participant justement à 

    l'articulation entre les métiers et les stratégies data. L'idée est de se positionner toujours plus dans l'analyse et la compréhension des besoins data pour ensuite articuler toutes ces données disponibles autour de solutions de gestion de l'information, ce qui est le propre de nos métiers.

    En aval, il y a bien évidemment tout ce qui a trait à la datavisualisation et à la fouille de données, qui sont d'ailleurs plus liées à la data en général qu'au big data, et sur laquelle l'INTD s'est très tôt positionné. Nos compétences peuvent être en effet très utiles pour imaginer de nouvelles façons de communiquer et d'analyser ces flux de données, toujours plus nombreux, notamment en les "médiant" et en les rendant les plus intelligibles possible. 

    On parle beaucoup du nouveau métier de data scientist, concomitant du big data. Y en a-t-il d'autres ? 

    Il est vrai que le data scientist est identifié comme un métier émergent. Mais en réalité, ce sont surtout des équipes projet : le data scientist qui aurait mis seul en place des cellules autour du big data et de l'exploitation de données n'existe pas. Ce sont surtout des équipes de mathématiciens, de statisticiens, d'informaticiens et de représentants de ces métiers. Une formation qui préparait à toutes ces facettes existera peut être un jour, mais ce n'est pas encore le cas.

    Plutôt que de parler de nouveaux métiers, il est plus pertinent pour le moment de parler de nouvelles compétences qui sont progressivement intégrées dans des branches sectorielles comme de nouvelles spécialisations. L’avenir dira si la création de nouveaux métiers marque réellement l’évolution. ​Certaines dénominations, comme "responsable de projet numérique" sont montées en puissance en même temps que le buzz autour du big data, mais elles sont très génériques et veulent souvent dire tout et n'importe quoi, prétendant balayer d'autres métiers. 

    Selon moi, le big data sera une facette supplémentaire de nos métiers, mais la priorité aujourd'hui est de répondre aussi aux autres besoins tels que la gestion des documents et les risques des entreprises. Nous venons d’ouvrir un Mooc en ce sens piloté par Michel Cottin (records manager, Orange). Une part importante des emplois pour les professionnels de l'infodoc s'y trouvera demain, probablement plus que dans le big data. Je ne transformerai donc pas mes élèves en data scientists et ne leur ferai pas prendre la place des informaticiens et des mathématiciens qui pilotent en première ligne ces sujets. On ne nous attend pas en priorité sur ce genre de poste. La gestion, la qualification des data, ainsi que les nouvelles interfaces utilisateurs nous concerneront en revanche comme d’autres défis numériques.

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    Si, dans les entreprises, les données s'accumulent, des stratégies big data ne s'y sont pas pour autant généralisées. Les interrogations que le big data suscite sont nouvelles, comme les modèles de développement économiques, les outils ou les compétences.
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    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
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