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Wikimédia face à la gestion de conflits

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    Wikimedia a mis en place une ligne d’écoute encadrée par des psychologues pour ses contributeurs. (Amantha5/Freepik)
  • Comme sur toutes les plateformes numériques, les projets Wikimédia sont le théâtre de nombreux conflits mettant en scène des personnalités internes ou externes à la communauté. Pour protéger ses contributeurs et ce commun numérique précieux, Wikimédia France a mis en place plusieurs leviers d’action.

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    En France, Wikipédia compte près de 60 000 contributeurs et recense près de 30 millions de visiteurs uniques par mois (chiffre Médiamétrie). Cette encyclopédie libre et collaborative fait partie d’un ensemble de projets (Wikicommons, Wikidata, Wikispecies…) soutenus par l’association Wikimédia France. L’objectif de ces différents Wikis ? Promouvoir l’accès libre à la connaissance. Mais, comme sur la plupart des plateformes numériques, des actes cybermalveillants s’y produisent (propos haineux, harcèlement, conflits…) qui n’existeraient — peut-être — pas dans un autre contexte.

    Rémy Gerbet, directeur exécutif de Wikimédia France, confirme qu’il existe plusieurs formes de cyberconflits au sein des projets Wikimédia. "Sur Wikipédia, cela peut par exemple impliquer des personnes extérieures qui ne connaissent pas les règles et codes de la communauté", explique-t-il. "Ils interviennent ainsi sur des pages de manière brutale, allant jusqu’au vandalisme. Ces cas sont généralement rapidement repérés et gérés par les administrateurs (des bénévoles élus par les membres contributeurs) qui disposent d’outils supplémentaires pour bloquer des comptes ou protéger des pages".

    Mais certaines personnes malveillantes, très motivées et qui connaissent bien le fonctionnement de Wikipédia, obligent parfois plusieurs contributeurs à intervenir. "La situation peut alors durer, faire perdre du temps aux bénévoles et les discussions s’enveniment.", poursuit Rémy Gerbet. Sachant qu’il est très difficile de supprimer complètement du contenu, chaque modification est documentée et publique.

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    Les conflits intercommunautaires entre contributeurs sont aussi monnaie courante. Des désaccords personnels, éloignés du débat éditorial, envahissent alors les pages de discussions personnelles ou celles de Wikipédia [Ndlr : chaque page et chaque internaute enregistré dispose d’un espace de discussion]. "Les problèmes qui touchent la communauté peuvent également déborder en dehors de Wikipédia, notamment sur les réseaux sociaux, où des contributeurs se retrouvent parfois harcelés en raison de leur activité", souligne Rémy Gerbet.

    Des attaques violentes

    En janvier dernier, l’entrepreneur Elon Musk, membre du gouvernement américain et propriétaire de X, ciblait à nouveau Wikipédia. Cela fait déjà plusieurs années que le milliardaire s’en prend à la plateforme, souvent à coup de tweets, et dénonce — selon lui — sa partialité. Il n’hésite pas à mobiliser sa communauté, les "Muskies" (ses fans inconditionnels), pour boycotter l’encyclopédie libre, quitte à lancer des vagues de haine contre ses membres. En France, c’est Le Point qui s’est lancé dans une tentative d’intimidation, en particulier contre un membre très actif. Non content des dernières mises à jour sur sa page, le magazine menaçait de révéler son identité et sa profession.

    remy_gerbet_wikimedia-gestion-conflits.jpgCes conflits sont souvent exacerbés par les grands événements sociétaux, les tensions géopolitiques et idéologiques, ou encore lors des périodes électorales. "Les sujets d’actualités sont une vraie source de discussion dans la communauté", confirme Rémy Gerbet. Durant les dernières élections présidentielles, en 2022, Wikimédia France n’avait d’ailleurs pas hésité à rappeler aux candidats (et à leurs équipes de campagne) d’observer une certaine exemplarité. Un contributeur ayant pris parti pour l’un deux et s’adonnant à de la désinformation avait vu son compte suspendu.

    Une ligne d’écoute encadrée par des psychologues

    L’association Wikimédia France, et plus largement la Fondation Wikimédia (Elle héberge, finance et encadre techniquement les projets Wikimédia à l’international. Elle reconnait et collabore avec les associations locales, comme Wikimédia France, sans intervenir dans leur gouvernance), qui est la responsable légale du contenu, ont activé plusieurs mécanismes pour gérer les conflits autour de leurs projets.

    Des espaces de médiation servent de lieux d’échange pour désamorcer des tensions entre les membres de la communauté. Chaque contributeur peut y solliciter de l’aide, un avis ou demander des explications. Il trouve également de très nombreuses informations sur les résolutions de conflits, l’accompagnement ou encore de la formation sur "le bistro" (l’espace communautaire principal de Wikipédia). Par ailleurs, des "Patrouilleurs" œuvrent très régulièrement pour détecter les modifications récentes et lutter contre le vandalisme.

    Des rendez-vous virtuels entre ces membres permettent d’échanger sur les points bloquants ou les projets en cours pour la résolution de problèmes. Les cas plus graves sont signalés à l’équipe Trust and Safety de la fondation Wikimédia, qui peut alors prendre des décisions plus lourdes, comme des bannissements à l’échelle internationale.

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    "Le harcèlement de contributeurs depuis l’extérieur s’est renforcé ces dernières années", observe Rémy Gerbet. "Nous avons donc mis en place un système de soutien juridique et des modules de formation autour de la protection de l’identité, par exemple". En 2023, l’association a aussi engagé un partenariat avec PsyFrance, une entreprise spécialisée dans la gestion et la prévention des risques psychosociaux (RPS) en entreprise.

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    Depuis, les contributeurs disposent d’une ligne d’écoute ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. "Les problématiques rencontrées chez Wikimédia sont très similaires à celles que nous traitons au quotidien, avec d’autres publics : harcèlement, agressions (verbales, physiques), mal-être psychologique… ", explique Patricia Buisson, psychologue chez PsyFrance. "Les réseaux sociaux facilitent l’expression de la colère ou de l’agressivité. Les échanges peuvent rapidement dégénérer, avec des comportements extrêmes, ce qui crée une forme d’insécurité. Et dans l’univers numérique, les personnes agressées ont parfois du mal à se détacher de la situation, qui déborde dans la sphère privée".

    Outre cette ligne d’écoute gratuite, PsyFrance a également réalisé des formations auprès de la communauté Wikimédia. "Le nombre important d’inscriptions à ces formations témoigne du réel besoin d’écoute et d’information sur les sujets de RPS et de VSSHD (violences sexistes et sexuelles, harcèlements et discriminations)", souligne Patricia Buisson.

    Par e-mail ou via des bandeaux visibles uniquement pour les membres contributeurs, l’association Wikimédia relaye largement l’ensemble des leviers mis à leur disposition pour les aider et les accompagner, mais aussi pour protéger le commun numérique que constituent les projets.

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