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Internet nous enferme-t-il dans une bulle ?

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    “La méconnaissance de nos biais cognitifs est au moins aussi importante que nos biais méthodologiques et que les mécaniques propres des outils” Jérôme Bondu (LoboStudioHamburg / Pixabay)
  • L’idée que nous nous enfermons dans une bulle informationnelle a été lancé dès 2011 par Eli Pariser, chef exécutif du site Upworthy (il a lancé l’expression « filter bubble ») . Selon lui, internet nous présente en « miroir » des opinions, croyances et perspectives similaires aux nôtres, ce qui finit pour nous enfermer dans un cercle vicieux.

    Le concept est revenu sur le devant de la scène avec le Brexit et l’élection de Trump : les analystes politiques n’auraient rien vu venir parce qu’ils étaient enfermés dans leur propre bulle informationnelle. Dans cet article nous allons nous interroger sur la réalité de cette bulle, notamment en nous basant sur les pratiques des internautes, puis voir comment s’en protéger.

    Réalité de la bulle informationnelle

    Les bulles ont toujours existé. Un lecteur du Temps ou de l’Illustration au début du siècle dernier était aussi enfermé dans sa bulle. Il ne s’agit donc pas de pointer une nouveauté, mais d’en définir les modifications et contours actuels. Car avec la révolution numérique et les espoirs que toutes les révolutions engendrent, on aurait pu croire à une plus grande liberté de s’informer, de partager, de s’enrichir. Or si l’on (re)parle d’une bulle informationnelle aujourd’hui, c’est...

    ...que l’on se rend compte qu’internet a simplement déplacé le problème. Comment se manifeste-t-il sur le web ? Pour le mesurer, mettons-nous dans la peau d’un internaute lambda et cheminons sur le web.

    2/ Analyse des pratiques des internautes

    Une des portes d’entrée sur le web est le moteur de recherche. Commençons donc par là. Car justement une première bulle (ou une première « couche » de la bulle) s’opère, liée au fonctionnement des moteurs de recherche et à notre ignorance de leur mode de fonctionnement, il faut bien l’avouer.

    Le fonctionnement même de la recherche par mots-clés tombe sous le coup de ce que l’on appelle le biais de confirmation. On tape des mots-clés dans la fenêtre de recherche… que l’on va ensuite voir apparaître dans les résultats. Ainsi, pour donner un exemple caricatural, un frontiste cherchera “victoire Le Pen” tandis qu’un socialiste “victoire Hamon” ou “victoire Macron”. Cette première « couche » est donc plus le fait de notre mauvaise manière de rechercher que des moteurs eux-mêmes.

    responsabilités des moteurs

    Mais les moteurs ont aussi leurs responsabilités. Le moteur de recherche Google a plus de 70 % des parts de marché dans le monde (94 % en France). Il convient donc de faire un point sur son fonctionnement. Le modèle économique de Google est celui d’une régie publicitaire (comme TF1, RTL ou 20 minutes). Il cherche donc à mieux nous connaître pour nous « offrir » une publicité ciblée et des informations adaptées.

    L’enfermement dans une bulle est donc consubstantiel à son modèle économique. Il est « dans son rôle » quand il cherche à nous fidéliser et nous apporter une publicité qui nous correspond. Si en plus nous utilisons Gmail, le navigateur Chrome, Youtube, un téléphone sous Androïd (bref une bonne partie de la panoplie Alphabet), nous lui offrons autant d’occasions de nous tracer : en effet les mails sont scannés, la navigation pistée, les habitudes de visualisation scrutées, les déplacements et appels téléphoniques analysés…

    Le fait que Google soit en position monopolistique rajoute à l’angoisse d’un monde sous surveillance de « big brother Google ». C’est la deuxième couche.

    aspirer nos comportements

    En outre, Google n’est pas le seul outil qui cherche à aspirer nos comportements. Tous les outils gratuits sur internet ont peu ou prou ce modèle. Facebook est un spécialiste en la matière.

    Empruntons ce nouveau chemin. Facebook paramètre notre fil d’actualité pour nous maintenir sur le support. L’algorithme sélectionne des contenus et hiérarchise des informations que nous serions susceptibles d’aimer, en fonction de ce que nous avons déjà aimé, en fonction de ce que nos contacts ont aimé, en fonction de notre emplacement… Bref, en fonction de 100 000 critères, nous apprend Facebook. Un bel article explique que Facebook n’est pas un réseau social, mais un aspirateur à comportement, « un scanner qui nous numérise.» Nous sommes sur la troisième couche.

    réseaux sociaux

    Et LinkedIn, Twitter et consorts ? Le fonctionnement des réseaux sociaux en général renforce la bulle. Voyons trois éléments avec les yeux des sociologues :

    1. on se créé un réseau de relations virtuelles qui correspond à ce que nous voulons entendre. Dans la vraie vie, même si un ami a un avis différent, on ne le chasse pas pour autant. Sur les médias sociaux, on se désabonne très facilement ;
    2. en plus, il y a un phénomène de polarisation et de « chambre d’échos. » Lorsqu’un groupe de personnes partagent des opinions similaires, chacun ressort avec des positions plus tranchées après avoir été conforté par les autres ;
    3. pour finir, le survol d’une problématique nous donne le sentiment de la maîtriser et renforce nos convictions. Le sociologue Gérald Bronner détaille bien ceci dans son ouvrage « La démocratie des crédules » (Puf, 2013). Tout cela explique les phénomènes de radicalisation. C’est la quatrième couche.

    mécaniques intellectuelles qui nous échappent

    On voit ici toute l’importance de bien comprendre ce que l’on appelle les « biais cognitifs ».Nous sommes soumis à des mécaniques intellectuelles qui nous échappent. « Nous aimons tous nous raconter que nous prenons des décisions rationnelles et que nos choix sont avant tout guidés par la raison. Cela nous donne un sentiment de maîtrise sur nos vies, sur notre environnement… Sauf que ce n’est pas vrai ! Les sciences cognitives ont mis en évidence que nos actes et nos décisions sont largement régis par une foule de raccourcis mentaux – ou biais cognitifs – dont nous n’avons pas conscience », écrit très bien Céline Rolland sur le blog Digimind (6).

    Allons plus loin. Nous n’avons pas tous le bagage intellectuel suffisant pour décoder les informations qui nous parviennent. 50 % de la population souffrirait « d’analphabétisme fonctionnel » (on sait lire, mais pas agir en fonction de ce que l’on a lu). Ne comprenant pas tout, on en retire ce qui nous arrange. Et si ce phénomène n’est pas propre à internet, il est exacerbé par la facilité à trouver tout et n’importe quoi.

    On voit donc que la méconnaissance de nos biais cognitifs est au moins aussi importante que nos biais méthodologiques et que les mécaniques propres des outils. C’est ce triptyque qui forme notre bulle. Que faire ?

    3/ Comment se protéger ?

    Reprenons tous les points développés plus haut et essayons d’éclater les bulles.

         1. moteurs de recherche

    En ce qui concerne l’utilisation des moteurs de recherche, on peut préconiser les choses suivantes :

    • utiliser des moteurs de recherche convenablement : il est essentiel de maîtriser les techniques de recherche avancées, et notamment les opérateurs de recherche ;
    • toujours en ce qui concerne les moteurs : il faut savoir sortir de sa zone de confort, c’est-à-dire faire un effort pour trouver les bons mots-clés, ceux qui nous font sortir de notre vision étroite. Il faut savoir aussi détecter des sources différentes.
    • on peut (et même doit) utiliser les moteurs de recherche alternatifs : par exemple le franco-allemand Qwant. Moins efficace que Google, mais qui nous permet d’éviter la constitution d’un monopole googlien !
    • allons plus loin et envisageons de pouvoir se dégoogliser et utiliser par exemple les outils promus par Framasoft

         2. réseaux sociaux 

    Sur Facebook :

    • éviter de « cacher une publication » quand elle ne nous plaît pas ;
    • continuer à s’informer sur des sources diverses et fiables ;
    • intégrer des « marginaux sécants », des personnes en connexion avec différents univers.

         3. biais cognitifs

    • Connaître les biais cognitifs et notamment le « biais de confirmation » ;
    • développer son esprit critique (voir le travail du sociologue Gérald Bronner.)

         4. connaissance d’internet

    • Surfer avec différents navigateurs. Utiliser Firefox ou même oser utiliser Tor. Utiliser des trackers de cookies et de mouchards ;
    • cessons d’avoir une vision angélique d’internet. Nous vivons la cinquième révolution informationnelle et, comme à chaque révolution, il y aura des gagnants et des perdants. Croire à une révolution heureuse pour tous est une utopie dangereuse. Elle nous met en position de repos alors que nous devons être sur nos gardes. Internet est un champ de bataille. Snowden a prouvé que nous sommes soumis à une surveillance généralisée. Les liens entre les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et les services de renseignements américains sont souvent évoqués;
    • nous sommes aux balbutiements d’un nouveau monde. Nous voyons émerger cette innovation sous nos yeux et sommes émerveillés. En réalité, nous sommes comme un lapin au milieu des « routes de l’information », ébloui par les phares surpuissants des Gafam qui nous foncent dessus, nous sommes totalement tétanisés. Sortons de là tant qu’il en est encore temps !
    • il faut avoir une démarche proactive sur internet. Etre vigilant quant aux dérives qui peuvent advenir. Les professionnels de la documentation, de la veille et de l’intelligence économique ont une responsabilité particulière. Étant sensibilisés plus que d’autres aux enjeux liés à une bonne gestion des informations, on pourrait s’attendre à ce qu’ils prennent des positions plus tranchées. La relative atonie de la profession est étonnante.

    4/ Éduquer les internautes

    Nous pouvons maintenant répondre à la question posée dans le titre « internet nous enferme-t-il dans une bulle ? » Oui, la bulle informationnelle existe. Elle a existé et existera toujours. Elle s’est transformée avec internet. Elle trouve aujourd’hui son origine dans les « outils numériques », dans notre mauvaise manière de les utiliser, et dans nos biais cognitifs.

    Nous sommes entrés dans une époque de « dérégulation du marché cognitif » (Gérald Bronner). Il est important d’éduquer les internautes. Cet article cherche très modestement à y contribuer. Et, pour finir, il me semble que l’expression de « bulle » est trop douce. Je préfère personnellement l’expression de « tunnel informationnel » qui a le mérite de souligner l’illusion d’une mobilité. On se déplace sur la toile, mais notre parcours est contraint. Et au moindre incendie, c’est l’enfumage !


    table ronde

    Une table ronde avait été organisée par I-expo 2017 sur le thème “Les bulles de filtres : comment effectuer votre veille à l’heure de la désinformation et des bulles de filtres ?”. Animée par Thibault Renard, responsable intelligence économique, CCI FRANCE, elle avait fait intervenir Serge Courrier, consultant et formateur, Jérôme Bondu, directeur d’Inter-Ligere.fr, Thomas Durand, Youtuber, chaîne La Tronche en biais, et Luc Didry, administrateur systèmes, Framasoft.→ 

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    Discrète la gestion de contenu ? Il est vrai que depuis quelque temps, on entend plus facilement parler de dématérialisation ou de transition digitale que d’ECM. Pourtant, les éditeurs du domaine sont loin d’avoir mis la clé sous la porte et semblent même bien se porter. D’autant que les métiers eux-mêmes en sont devenus adeptes. Signe que, face aux nouveaux besoins des entreprises et à la concurrence des technologies du cloud, la gestion de contenu a su évoluer pour rester indispensable.
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    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
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