« à l’ère des connaissances, l’entreprise est relationnelle »

 

Denis C. Ettighoffer vient de publier son livre « Netbrain Planète numérique » aux éditions Dunod. Il dresse un état des lieux sur l'impact des Tic dans les entreprises et dans les sociétés humaines.

Archimag - Votre ouvrage porte sur la bataille des  nations savantes. Qu'est-ce qu'une nation savante?
 
Denis C. Ettighoffer - une nation savante est une nation riche en actifs immatériels tels qu'on pourrait dire qu'ils sont devenus supérieurs à ses actifs matériels. Ce patrimoinei est composé de brevets, de licences, des enseignements disponibles qui alimentent des entreprises devenues savantes, si savantes d’ailleurs qu’elles participent à l’éducation ou à la formation de leurs clients… À partir de là, on peut observer que de nouveaux critères de compétitivité émergent entre les nations : c'est le passage de l'ère tertiaire à l'ère quaternaire, c'est-à-dire l'ère des connaissances.
 
Vous affirmez que la France possède un patrimoine immatériel considérable. En sommes-nous conscients et savons-nous l'exploiter?
 
Nous n'en sommes pas conscients car nous ne sommes pas habitués à raisonner en termes d'actifs immatériels et de leur commercialisation. Il y a donc un travail de pédagogie à mener afin de sensibiliser les Français à l’accumulation considérable des connaissances qui constituent notre patrimoine dans bien des domaines tels que la médecine, la chimie ou la pharmacie par exemple. La France est une nation savante car elle possède un secteur tertiaire supérieur important et des chercheurs de premier plan. En revanche, nous avons un problème car nous sommes défaillants lorsqu'il s'agit d'exploiter et de vendre ces actifs immatériels. Nous devons donc nous engager dans deux types de changements: nos entreprises doivent d'abord s’habituer à libérer les idées qui existent en leur sein afin d'innover, de créer des ruptures technologiques et proposer de nouveaux modèles économiques. Il faut ensuite favoriser les échanges d'idées et de connaissances, ce qui implique de cesser de surinvestir dans les technologies et les outils de coordination et de mieux investir dans les réseaux relationnels et les comportements des individus dans le travail collaboratif.
 
Remettez-vous en cause les modes d'éducation traditionnels ?
 
Non, c'est plutôt le déficit d’éducation dans le travail d’équipe et l’ouverture aux autres qui posent problème : si vous mettez dix Prix Nobel dans une pièce mais qu'ils ne veulent pas travailler ensemble faute de s’entendre, vous n'avez qu'une bande de couillons ! De même, si vous êtes savant mais que vous êtes incapable d'échanger avec autrui, vous n'êtes qu'un âne savant.
 
D'où votre insistance sur la notion d'échange ?
 
Mais bien sûr ! Souvenez-vous de l'histoire de l'économie. On a d’abord privilégié la productivité du travail – produire plus avec moins de travail – puis la rentabilité du capital – créer le plus de valeur possible pour un capital donné. En ce qui concerne l'intelligence, c'est différent. Ici, il ne s'agit pas d'être toujours plussavant mais plutôt d'échanger intensément avec d’autres. Les modes de collaboration sont devenus vitaux pour les entreprises. Nous sommes passés dans nos organisations d'une logique de la fonction à une logique de la relation.
L’entreprise du quaternaire est une entreprise relationnelle !
 
Existe-t-il des nations ou des entreprises qui misent plus que d'autres sur l'échange ?
 
Il existe des entreprises qui font des efforts importants et qui considèrent que la connaissance n'est pas un outil de pouvoir mais de création de valeur. Ces entreprises savent que ce n'est pas forcément dans les seuls laboratoires de recherche et développement qu'on produit le maximum d'innovation. Il y a dans l'entreprise beaucoup d'acteurs qui sont à l'origine d'idées novatrices. Il faut libérer ces idées ! En même temps, il faut protéger ces innovations grâce aux brevets car les entreprises se livrent et se livreront à des batailles d'autant plus rudes que le marché des licences représentera une part croissante de leurs revenus. Chez IBM cela représente si j'ai bonne mémoire plus de 25 % de son résultat netInternet">i.
 
 Que doivent faire les entreprises pour mieux exploiter leur patrimoine immatériel?
 
D'abord, elles ne doivent pas jeter le passé par-dessus bord. Boeing pour son nouvel avion Dream Liner a rappelé des ingénieurs à la retraite pour mieux comprendreles erreurs qu'il avait pu commettre lors de la conception des 737. Ensuite il faut libérer les échanges de connaissances et des idées. Les États-Uniens ont lancé la notion de jardin d'idées qui sont enrichies régulièrement par des campagnes d'idées sur les sujets les plus divers. En Europe, Saint-Gobain ou l'Oréal, par exemple, font remonter des idées et des connaissances provenant de leurs collaborateurs mais aussi de chercheurs venus d’horizons différents. Ces entreprises ont compris qu’elles devaient utiliser mieux les émetteurs d'idées venues du mondeentier. Saint-Gobain lance chaque année des véritables concours d’innovation interne et Virgin comme Google favorisent des individus parfois atypiques mais qui ont des idées innovantes… Tout cela doit bien sûr être accompagné par une solide organisation et des méthodes de suivi de gestion des idées. En fait, l’important est de savoir créer un dialogue ouvert et d’accepter que les idées puissent provenir d’ailleurs que de la R&D ou du service marketing de l’entreprise. Les clients ainsi que les collaborateurs de l’entreprise sont des sources d’idées qui peuvent elles aussi avancer l’entreprise.
 
Les entreprises sont-elles en retard sur la société civile en matière d'échange d'informations ?
 
Absolument. La société civile est en avance sur les entreprises et sur les gouvernements car elle a su s'emparer des technologies pour les utiliser de façon ouverte et sans les contraintes d’un ingénieur système. On blogue, on tchate, on communique de façon ouverte dans des forums entre citoyens là où même les entreprises favorables à la création de forums internes les réservent aux cadres uniquement ! C'est une vision très hiérarchisée de la liberté de communiquer.
 
Existe-t-il des blocages psychologiques à l'échange d'informations dans les entreprises?
 
Ces blocages existent car nous ne savons pas nous faire confiance. Pour contourner ces blocages, il convient d’utiliser les réseaux pour y faire passer autre chose que des données formatées : du plaisir, de l’imagination, des idées de telle sorte que les collaborateurs de l’entreprise s’habituent à pratiquer le don. Pour cela un travail d'animation est essentiel avec l’aide de médiateurs ou d’animateurs car un réseau n'est pas spontanément en situation de communiquer et nous ne sommes pas spontanément coopératifs.
 
Vous affirmez que les batailles desnations savantes « ne seront pas moins âpres que les guerres de conquête des siècles passés »…À quoi ressembleront ces batailles?
 
Hier on se battait pour accéder à des territoires ou à des matières et cela reste vrai, en particulier pour les matières premières et notamment le pétrole. Demainon se battra pour s'emparer de blocs de connaissances dans les domaines les plus variés. À l’exemple de ce que l’on observe déjà en matière de génome humain ! On utilisera les lois sur les brevets ou on les détournera afin d'en faire des dispositifs de guérilla juridique destinés à affaiblir les PME innovantes qui seront alors incapables de préserver leur patrimoine. De plus en plus, le secteur privé cherche à s'emparer de blocs de compétences dont une partie devrait rester au sein des biens communs. On pourrait jusqu’à imaginer qu'un État nationalise un ensemble de brevets afin de les maintenir dans le domaine commun, à l’exemple souvent cité des médicaments contre le sida. Ces guérillas juridiques dont les enjeux pèsent des millions de dollars risquent d’être sanglantes tout en bloquant ou en ralentissant parfois l’innovation dans de nombreux secteurs aujourd’hui en pointe.
 

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Pour cet épisode spécial Documation, nous nous sommes penchés sur une autre grande tendance de l'année 2024 : la cybersécurité, et plus particulièrement la sécurité dans le domaine de la gestion des données. La protection des données contre les menaces internes et externes est non seulement cruciale pour garantir la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données, mais aussi pour maintenir la confiance des clients. Julien Baudry, directeur du développement chez Doxallia, Christophe Bastard, directeur marketing chez Efalia, et Olivier Rajzman, directeur commercial de DocuWare France, nous apportent leurs éclairages sur le sujet.