Article réservé aux abonnés Archimag.com

Comprendre le droit d'auteur : les cas de pluralités d'auteurs

  • auteurs.jpg

    L’œuvre de collaboration est gé- rée sous le régime de l’indivision (L.113-3), c’est-à-dire qu’il faut l’accord unanime de tous les coproprié- taires (coauteurs) de l’œuvre pour décider de n’importe quel acte d’exploitation de celle-ci. (Visualhunt)
  • Après avoir planté le décor général du statut d'auteur dans notre précédent article (Comprendre le droit d'auteur : qui est auteur ?), nous abordons ici les cas où plusieurs auteurs interviennent dans la réalisation d'une même œuvre. Dans ce cadre, le Code de la propriété intellectuelle, article L.113-2, distingue trois types d'œuvre : de collaboration, composite, collective.

    1. L'œuvre de collaboration

    Comme son nom le suggère, il s'agit d'une œuvre "à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques" (L.113-2 al.1er). Il faut et il suffit que les auteurs aient "concouru", c'est-à-dire réalisé ensemble et en même temps une même œuvre. C'est le cas d'un article ou d'un ouvrage écrit à plusieurs mains et publié sous plusieurs signatures, à condition que les contributions des auteurs ne soient pas individualisées. Ainsi ne serait pas une œuvre de collaboration un ouvrage dont chaque chapitre est rédigé par un auteur différent. Mais la collaboration de chacun des auteurs peut être cependant identifiée dans les cas où on a affaire à des contributions de genres différents. C'est le cas de la chanson, de l'opéra ou de l'opérette, où il est aisé de distinguer l'apport du parolier ou librettiste de celui du compositeur. Mais l'œuvre qui en résulte est cependant unique : exploiter la musique sans les paroles ou l'inverse n'est plus exploiter l'œuvre de collaboration, mais la contribution isolée de chaque auteur. Il en est de même pour certaines bandes dessinées, entre scénariste et dessinateur.

    Au titre des œuvres de collaboration figure notamment l'œuvre audiovisuelle : les personnes qui contribuent à la réalisation intellectuelle de l'œuvre sont les contributeurs d'une œuvre de collaboration. Cependant, compte tenu de la particularité du cas, la loi a aménagé un statut spécifique pour ces œuvres.

    Régime de l'indivision

    L'œuvre de collaboration est gérée sous le régime de l'indivision (L.113-3), c'est-à-dire qu'il faut l'accord unanime de tous les copropriétaires (coauteurs) de l'œuvre pour décider de n'importe quel acte d'exploitation de celle-ci (édition, publication, reproduction, représentation, traduction, adaptation…)

    Et cette œuvre tombe dans le domaine public, classiquement 70 années civiles, mais après le décès du dernier des coauteurs.

    2. L'œuvre composite

    Celle-ci s'oppose en partie terme à terme à l'œuvre de collaboration puisqu'il s'agit d'une "œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière" (L.113-2 al.2). Rares sont en pratique les hypothèses d'œuvres composites. On peut cependant citer le cas d'un catalogue intégrant des illustrations d'objets réalisées par ailleurs par un photographe. Le catalogue est l'œuvre composite, intégrant les œuvres du photographe sans que ce dernier collabore audit catalogue. On peut encore citer les cas historiques de l'opéra Le Prince Igor de Borodine, achevé après la mort du compositeur par deux de ses élèves, Rimsky-Korsakov et Glazounov, ou encore de l'orchestration des Tableaux d'une exposition de Moussorgski par Ravel.

    Logiquement, pour réaliser une œuvre composite, l'accord de l'auteur de l'œuvre préexistante est nécessaire, comme pour toute autre exploitation de cette œuvre (L.113-4).

    3. L'œuvre collective

    La notion d'œuvre collective est assez complexe à comprendre, du moins à la lecture de l'article L.133-2 al.3. et parce qu'elle introduit en quelque sorte une couche supplémentaire de droit d'auteur.

    • Les critères de l'œuvre collective

    Il s'agit d'abord d'une œuvre "créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale" : notons à ce sujet qu'il s'agit de la seule et unique fois qu'une personne morale puisse être auteur ; l'auteur est en principe une personne physique (voir notre précédent article), sauf précisément cette unique exception.

    Ensuite, pour être auteur, il est prévu que cette personne "l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom" ; deux critères nouveaux apparaissent :

    1. Il faut que l'œuvre soit éditée, publiée et divulguée sous le nom de la personne.
    2. Et il faut surtout que la personne ait dirigé la réalisation de l'œuvre. En d'autres termes, il doit y avoir un travail de coordination des divers contributeurs. Et contrairement aux prescriptions de l'article L.113-5, la jurisprudence exige la preuve de cette direction.

    Ensuite toujours, l'œuvre collective est celle "dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue" : conséquence logique de l'existence d'une direction effective, chacun des coauteurs va travailler en vue d'insérer sa contribution dans un ensemble pensé et conçu par l'auteur de l'œuvre collective.

    Pour finir, la loi introduit un critère sibyllin relativement aux auteurs contributeurs, "sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé", entraînant un temps des divergences doctrinales et jurisprudentielles. En réalité, il faut et il suffit que chacun des coauteurs ne puissent prétendre à un droit personnel sur la totalité de l'œuvre collective, ce qui est parfaitement logique s'ils se sont bornés à réaliser leur part de l'œuvre, leur propre contribution. Mais a contrario, ils restent maîtres de leur contribution (voir-ci-dessous). Par ailleurs, peu importe que le nom des contributeurs apparaissent.

    • Des cas d'œuvres collectives

    Le cas emblématique proche de nos métiers est celui des revues ou des journaux : un rédacteur en chef ou un comité de rédaction, au nom de l'éditeur de presse, réalise la direction et la coordination des diverses contributions insérées dans la revue ou dans le quotidien.

    Il faut bien entendu considérer qu'un site internet ou intranet relève également de l'œuvre collective : une équipe de coauteurs travaille sous la houlette d'un coordinateur, pour le compte de l'éditeur du site qui le publie et le divulgue sous son nom.

    • Quid du droit des auteurs contributeurs ?

    Une mémorable jurisprudence est venue apporter un élément de réponse non négligeable sur les droits des contributeurs, au moins pour certains cas d'œuvres collectives.

    L'ensemble des articles du quotidien Le Figaro ayant été mis à disposition du public sur une base de données d'archives de presse payante, à l'initiative de la direction, les journalistes ont assigné leur employeur en contrefaçon au motif qu'ils n'avaient pas donné leur accord pour cette nouvelle exploitation de leurs œuvres. La cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 10 mai 2000, balaie l'argument soulevé par la direction selon lequel les journalistes étant salariés, elle est propriétaire de leurs œuvres : elle constate sur ce point que le salaire versé au journaliste ne rémunère que la reproduction de l'article dans le support papier du journal, puisque c'est sa mission. Mais pour cette autre exploitation qu'est le transfert des articles dans une base de presse, l'accord exprès des auteurs était indispensable.

    Mais surtout pour notre sujet, la cour d'appel ajoute un argument laconique, mais explicite pour un juriste : "(…) il importe peu que le journal constitue ou non une œuvre collective".

    En termes plus explicites, un quotidien peut être considéré comme une œuvre collective, mais cette œuvre collective ne contrevient pas au fait qu'on reconnaisse un droit plein et entier à chaque coauteur sur sa création.

    • Des droits respectifs entre l'auteur de l'œuvre collective et les auteurs contributeurs

    Dès lors, la qualification d'œuvre collective apparaît singulièrement rétrécie et ne règle en rien les rapports entre un employeur prenant l'initiative d'une œuvre réalisée par ses salariés et ceux-ci.

    Il faut donc bien comprendre en quoi consiste l'œuvre collective : c'est le tout, en tant qu'œuvre unique et finie, par exemple, le journal du jour. Mais dès l'instant que les diverses contributions sont "sorties" du contexte de l'œuvre collective, et par exemple reproduites une à une dans une base de presse, chaque auteur retrouve des droits pleins et entiers sur ses œuvres.

    La qualité d'œuvre collective ne protège donc, au bénéfice de son initiateur, personne physique ou morale, que le "bloc" constituant la réalisation collective, mais n'efface pas les droits de chaque coauteur sur sa propre création, pour les cas où celle-ci pourrait être extraite de l'œuvre collective, ce qui était le cas pour Le Figaro.

    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com


    + repères

    • À retenir

    Lorsque plusieurs auteurs interviennent dans la réalisation d'une même œuvre, ce peut être une œuvre de collaboration lorsque des individus la réalisent ensemble ou une œuvre composite lorsqu'un auteur emprunte une œuvre préexistante. Indépendamment de ces deux cas, il peut s'agir d'une œuvre collective dirigée et publiée sous le nom de celui qui en a pris l'initiative et qui peut inclure des contributions de divers auteurs.

    • Droit applicable

    Code de la propriété intellectuelle, articles L.113-2 à 113-5.

    Cet article vous intéresse? Retrouvez-le en intégralité dans le magazine Archimag !
    Besoin de préserver des informations et des documents vitaux ou à valeur probante ? La mise en place d’un système d’archivage électronique (SAE) s’impose. Il convient de se conformer à une méthodologie rigoureuse qui permettra de le gérer sur le long terme.
    Acheter ce numéro  ou  Abonnez-vous
    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
    Publicité

    sponsoring_display_archimag_episode_6.gif