En payant les auteurs à la page lue, Amazon pourrait saboter la création littéraire

  • kindle.jpg

    Si l'acte de lecture n'était déjà plus confidentiel, il prend désormais une dimension financière très inconfortable. (Pixabay/pixolga )
  • Quand les algorithmes et les données disponibles prennent le pas sur la création littéraire...

    Certains se demandent depuis longtemps si le numérique enterrera (ou pas) l'édition traditionnelle, et avec elle la librairie, à l'image de l'industrie du disque en crise depuis le début des années 2000. D'autres moins pessimistes, misent sur l'apparition de nouveaux modèles économiques pour que tous les acteurs du domaine puissent s'en sortir sans y laisser trop de plumes. 

    Mais The Atlantic a relayé le 20 juin dernier le nouveau projet d'Amazon en matière de rémunération des auteurs, véritable pavé dans la mare (déjà plutôt agitée) de l'édition numérique : le géant américain du commerce électronique vient en effet d'annoncer que ses auteurs (les autopubliés) seront rémunérés dès le mois de juillet prochain en fonction du nombre de pages supposées lues (affichées sur l'écran suffisamment longtemps) par les lecteurs. 

    Lecture à la découpe

    Ce projet concernera les ouvrages autopubliés par le biais de la plateforme Kindle Direct Publishing et appartenant aux programmes de type Netflix développés par Amazon (Kindle Unlimited et Kindle Online Lending Library) permettant de lire plus de 800 000 titres en illimité. Adieu, donc, au modèle classique d'une rémunération forfaitaire en fonction du nombre de ventes... bienvenue à un nouveau modèle : celui de la "lecture à la découpe" !

    Les auteurs l'ont dans l'os

    Cette annonce fait suite à une grogne née chez certains auteurs de livres "longs" rémunérés au sein de l'abonnement illimité d'Amazon, lesquels avaient crié à l'injustice, se plaignant d'être payés autant que les auteurs de livres "courts". Le géant du commerce en ligne les a pris au mot, au point de risquer finalement de transformer leur rapport à l'écriture et à la création :

    "Pour la plupart des auteurs qui publient directement via Amazon, ce nouveau modèle pourrait changer les priorités et les choix d'écriture, explique The Atlantique ; un système avec une rémunération à la page lue est un système qui récompense et valorise en priorité les "cliffhangers" et le suspens au-dessus de tous les autres "genres". Il récompense tout ce qui garde les lecteurs accrochés" ("hooked"), même si cela se fait au détriment de l'emphase, de la nuance et de la complexité."

    Comme l'a très bien résumé Slate.fr

    "Donc si vous êtes Monsieur A, que vous avez écrit un roman de 650 pages, dont seules les 50 premières sont excitantes, vous serez moins rémunéré que Madame B, qui a écrit un roman de 200 pages, mais dont l'entièreté est excitante..."

    Tous ces livres que nous ne finissons pas

    De quoi bouleverser totalement le processus d'écriture littéraire ! Car comme vous l'expliquait Archimag le mois dernier, les "mouchards numériques" installés sur nos liseuses et tablettes permettent d'en savoir beaucoup sur nos habitudes, annihilant toute confidentialité dans nos pratiques de lecture :

    "Eric Zemmour a vendu plus de 400 000 exemplaires de son essai "Le suicide français". Mais seulement 7,3 % des lecteurs l'ont lu jusqu'à la fin ! L'économiste Thomas Piketty fait un peu mieux : 9,7 % des lecteurs ont terminé son pavé de près de 1 000 pages (Le capital au XXI​​ème siècle). Encore mieux, le dernier roman de Patrick Modiano, Prix Nobel 2014 (Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier) affiche un honorable taux de 44 %. Quant à Valérie Trierweiller (Merci pour ce moment), son score d'achèvement est, de loin, le meilleur : environ 66 % des lecteurs sont allés au terme des mésaventures sentimentales de l'ex compagne de François Hollande."

    Et impossible de tricher : The Atlantic précise qu'il sera impossible pour les auteurs d'utiliser pour leur livre numérique une police de caractères plus grosse afin de faire gonfler le nombre de pages de l'ebook, car Amazon l'a standardisée.

    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    La photographie possède un pouvoir fascinant : celui de capturer un instant et de le figer pour l’éternité. Elle raconte des histoires, qu’elles soient personnelles ou collectives, qui traversent le temps et façonnent notre passé, notre présent et notre futur. C’est pourquoi les albums de famille jouent un rôle si important dans la construction de nos souvenirs. Mais avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative, capable de créer des images de plus en plus proches de la réalité, une question se pose : comment cette technologie va-t-elle influencer notre mythologie familiale ? Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, explore depuis longtemps nos relations avec les technologies. En cherchant à recréer une photographie de son enfance, il s’est intéressé aux liens entre mémoire, photographie et intelligence artificielle. Il revient sur l’origine de son livre "Le jour où j’ai tué mon frère - Quand l’IA fabrique la photographie de nos souvenirs", publié aux Éditions Lamaindonne.

    sponsoring_display_archimag_episode_6.gif